Auteure et réalisatrice de documentaires et courts métrages pour la télévision, Lavinie Boffy a récemment présenté au public corse son premier long métrage La vie ou la pluie,coproduit par Omnicube, la société de production de Pierre Gambini & France 3 Corse ViaStella. Entièrement écrit, produit et réalisé en Corse, ce film choral très personnel, entre documentaire et autofiction, dénonce, à travers le prisme de l’histoire des femmes de sa famille, le poids du jugement des autres omniprésent dans la société insulaire.
Par Karine Casalta
Le film retrace ainsi l’histoire de quatre générations de femmes. Des femmes fortes mais éprouvées par la vie. Et d’autant plus meurtries qu’elles sont soumises au regard permanent des autres ; un regard sans concession qui les juge et les condamne dès lors que leur parcours de vie les conduit à s’affranchir de la norme. Elle évoque également à travers la figure de son père, qui fait le choix de s’installer au village pour y être berger, la pression sociale qu’exerce une société qui impose de réussir et de briller pour être considéré. La réalisatrice met ainsi en scène son enfance au sein d’une famille constituée essentiellement de femmes au parcours chaotique et livre en images ses doutes, ses interrogations et les difficultés éprouvées pour grandir et trouver sa place dans une société où tracer librement sa vie n’est pas toujours aisé. Des souvenirs d’enfance où les hommes sont souvent absents ou sources de drames et de souffrances. « Par conséquent, dit-elle, petite fille, je m’interrogeais beaucoup sur le couple. La vie d’adulte, l’amour, la maternité, mais tout autant la solitude m’effrayait, j’avais peur de grandir.»
Le récit d’une construction
Née en 1975 à Ajaccio, Lavinie a ainsi passé durant son enfance beaucoup de temps avec ses grands-mères, qu’elle a longuement observées. Du temps passé à Coggia avec Angèle, où les journées de solitude et d’isolement au village s’étiraient à n’en plus finir, laissant libre court au développement de son imagination, à celui passé avec Lavinie, femme libre, indépendante et instruite, qui outre son prénom, lui a transmis des valeurs de tolérance et de respect et donné le goût de la culture, chacune à leur manière ont largement influencé sa personnalité. Adolescente tourmentée, en échec scolaire, elle trouve dans l’écriture et le théâtre qu’elle découvre au lycée, une échappatoire à son malaise. Un goût du théâtre qui ne va plus la quitter et sera au point de départ de sa carrière. Elle part ainsi quelques années plus tard étudier le théâtre à Paris à l’Atelier Blanche Salant. Elle se formera aussi durant plusieurs années en Corse, au contact de nombreux metteurs en scène approchés à l’occasion des Rencontres internationales de théâtre créées par Robin Renucci à Poggiola, auxquelles elle participe durant plusieurs étés dès 1998, et qui, dit-elle, « lui ont beaucoup appris ». Créant sa propre compagnie en 2001 à Ajaccio, elle commence donc sa carrière par de l’écriture et de la mise en scène pour le théâtre, qui font rapidement naître l’envie de faire de la fiction. Totalement autodidacte, elle réalise alors un premier court métrage Antoine qui, dans un univers masculin, parle aussi de transmission et de violence, de génération en génération. Elle poursuit dès 2006 par une série de documentaires qui lui offrent de pouvoir vivre de son travail. Tous sont toujours nourris et empreints de fictions. Elle réalise ainsi de nombreux portraits d’artistes, ou encore un documentaire de création Écho(s), construit autour de la pièce musicale « Albe sistematiche » composée par Pierre Gambini.
Un propos universel
Ce mélange de documentaire et de fiction que l’on retrouve jusqu’à aujourd’hui dans son long métrage est sa signature. Des images qui lui permettent d’exprimer tout en pudeur et sensibilité le rejet de toute forme de violence. Une violence qui s’ancre dans l’identité insulaire à travers ce poids du jugement des autres qui en porte insidieusement le germe,prend souvent corps avec les mots et se se finalise par des actes.Film humaniste porté par un regard de femme, La vie ou la pluie aborde ainsi une multitude de problématiques qui touchent la société corse au travers de thématiques tant liées à la construction d’une identité féminine, qu’au poids des héritages ou à la honte et au rejet social. Un propos souligné tout en délicatesse par la musique de Pierre Gambini – également coproducteur – qui fait écho à l’histoire de nombreuses familles. « Le film a été très bien accueilli par le public. Par un effet de « miroir inversé », beaucoup se sont reconnus dans cette histoire et ont tenu à nous le témoigner. Le parti pris de se mettre à nu et de livrer un témoignage libéré des peurs, des hontes a véritablement touché les gens. » Une véritable récompense pour Lavinie Boffy, qui a vécu intensément cette aventure. Et porté par l’enthousiasme de sa réalisatrice et du public, il restera comme un beau regard critique posé sur la société insulaire.
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