« Le calcul économique peut se définir comme l’ensemble des méthodes qui nous permettent de comparer les solutions qui nous sont offertes en ce qui concerne l’utilisation de ressources rares à usage alternatif. » Telle est la définition que donnait il y a quelques années l’économiste Jacques Lesourne.
Par Jacques Orsoni
Professeur émérite à l’Université de Corse
Cela constitue le catéchisme des enseignements d’économie et de gestion. Pareil calcul provient de l’économie politique née libérale au XVIIIe siècle. Il mathématise les prises de décision et se veut indépendant de tout jugement philosophique ou moral. Il se dit autonome et se réclame de la Raison après s’être émancipé progressivement de différents savoirs : comme la physique s’était détachée de la métaphysique, comme la politique s’était affranchie de la tutelle des clercs, comme la philosophie s’était séparée de la théologie, l’économie devenue calculante se libérait de toute règle supérieure à elle-même. Pourtant cette méthode de calcul qui privilégie l’intérêt des agents économique – c’est-à-dire leur égoïsme – est-elle la meilleure ? Les réponses s’opposent, car les avis sont partagés relativement à cette question. Les uns – les « technocrates économistes » – prônent l’emploi de méthodes basées sur le calcul économique ; d’autres – les « humanistes » – préconisent le recours à des méthodes plus ouvertes. Le cas du foyer Notre-Dame d’Ajaccio nous laisse entrevoir que d’autres critères de choix et d’autres méthodes que la recherche de l’avantage économique peuvent prévaloir, surtout pour un choix effectué par des décideurs publics, comme le sont nos responsables politiques. Il existe à Ajaccio un bâtiment de grande qualité entouré d’un jardin : le foyer Notre-Dame qui fut longtemps un lieu d’accueil où séjournaient des personnes âgées peu favorisées par le sort. Un jour, les religieuses vieillissantes de la congrégation s’en sont allées au-delà de la mer, tandis que les derniers pensionnaires étaient dispersés ailleurs sous d’autres toits. La gestion du bâtiment Notre-Dame fut d’abord confiée au Conseil général, puis à la Collectivité territoriale, à la faveur de la fusion des deux départements.
Le cœur ou le profit
La question qui se pose maintenant à nos décideurs publics est par conséquent la suivante : que faire de ce bien ? Comment utiliser cette bâtisse afin qu’elle serve au mieux l’intérêt de la communauté corse ? Réduites à l’essentiel, deux possibilités se présentent pour décider : d’une part celle du choix économique mathématisé, aussi rationnel que possible ; d’autre part, une prise de décision qui prend en vue d’autres critères de choix que les facteurs économiques évalués selon des calculs de maximum ou d’optimum. D’un côté, la voie de la raison instrumentale, de l’autre celle du cœur, selon la distinction effectuée par Pascal avant même la naissance de l’économie politique. La voie du calcul rationnel, en schématisant à l’extrême, se subdivise en deux chemins. Celui de la théorie économique de l’entreprise qui est fondée sur le principe de maximisation du profit à long terme. Par exemple, dans le cas d’une société par actions cotée en bourse, l’objectif devient la maximisation du cours en bourse de l’action ; c’est cette grandeur en effet qui représente le mieux les intérêts des actionnaires. Le deuxième chemin est celui qu’empruntent les partisans de la théorie dite « managériale » de l’entreprise qui estiment qu’il existe un objectif commun : la maximisation de la croissance des ventes. La première théorie, celle de la recherche du maximum de profit, pourrait inspirer nos décideurs publics. Il s’agirait de trouver, pour le foyer Notre-Dame, une solution optimale au bénéfice des finances de la Collectivité territoriale : par exemple en cherchant une destination utile du bâtiment tout en minimisant le coût d’aménagement. D’où l’idée de transformer le foyer en un bâtiment administratif qui deviendrait une belle cité administrative pour Ajaccio. Le foyer est en effet, en bon état, pas très éloigné du centre de la ville et l’installation nouvelle resterait relativement peu onéreuse. La seconde voie, celle que j’ai nommée le choix du cœur, n’est plus guidée par des considérations de calcul économique, mais par un souci d’amélioration de la condition de ceux qui souffrent et qui sont nombreux dans nos villes et nos villages.
Écouter la détresse
Une destination possible du foyer Notre-Dame consisterait alors à lui garder sa vocation première, celle de l’accueil des blessés de la vie, de ceux que l’on n’ose parfois pas regarder en face et qui ne disposent d’aucun domicile fixe. De fait, les associations et les services luttant contre la précarité observent une croissance inquiétante des appels au secours, qui proviennent même de femmes accompagnées d’enfants ou de personnes âgées enserrées dans la solitude et le dénuement. En conclusion, pour prendre une décision, le décideur public doit faire le choix de la qualité de vie et pourquoi pas du bonheur des personnes qu’il a la charge d’administrer, plutôt que de l’intérêt monétaire à court terme. C’est donc la décision « du cœur » qui convient mieux que le calcul économique, dans le cas du foyer Notre-Dame. La société politique, telle surtout la communauté corse, est bel et bien un organisme, un corps social vivant au sens biologique du terme. Nous ne sommes pas des individus atomisés qui peuvent appartenir ou non à la communauté, mais des membres. Or un membre, ça ne s’arrache pas du corps, au terme d’un calcul financier.
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