Toussaint Martinetti – DES NUITS BLANCHES AUX ECRANS NOIRS 

Après dix ans passés à jouer la comédie (Marseille, Une vie violente, Fraté…),L’ACTEUR AJACCIEN qui a tracé son sillon tant à la télévision qu’au cinéma, a présenté le 6 janvier dernier à Ajaccio son premier court-métrage en tant que RÉALISATEUR Les forts ne disent rien. Tourné dans les rues de la cité impériale, le film dénonce de manière poignante les dérives du monde de la nuit et le fléau de la drogue qui sévissent parmi la jeunesse insulaire. Un passage derrière la caméra couronné de succès pour le cinéaste qui révèle ici un TALENT INDÉNIABLE pour la réalisation.

Par Karine Casalta 

Photographe Alex Pixel

Originaire d’Ajaccio,c’est à l’adolescence que Toussaint Martinetti s’est laissé happer par
la passion du cinéma. Il fréquente alors assidument les salles obscures du Laetitia et de l’Empire. Simple prétexte à flirter au départ, il va rapidement se laisser prendre par ce qui se passe à l’écran. Elles lui offrent aussi de véritables moments d’évasion hors des frontières d’une ville dans laquelle il se sent parfois à l’étroit. «Déjà je plongeais dans mon imaginaire pour refaire le film, imaginer des suites… » Une passion qui le conduira à partir étudier le 7e art à la faculté de Nice (avec son frère Philippe Martinetti, bien connu des téléspectateurs de France 3 Corse ViaStella.) Il en sortira diplômé en cinéma, sans pour autant se lancer tout de suite dans cette voie.

UNE VIE BIEN ANCRÉE DANS LA RÉALITÉ
Son parcours professionnel passera en effet par des expériences variées, qui le conduiront aussi bien à travailler dans le commerce familial, qu’à animer un atelier cinéma au lycée Fesch où encore à faire de l’assistance médicale aux personnes handicapées. Elles le conduiront aussi à travailler dans le milieu de la nuit, entre la Corse et Paris « mais sans jamais, dit-il, m’en laisser totalement imprégner, ce qui m’a sauvé ! » Des horizons très différents qui ne manqueront pas par la suite de venir nourrir son inspiration. Ce n’est qu’à l’âge de 30 ans qu’il va véritablement franchir le pas vers le cinéma. Décidé à tenter sa chance dans cette voie, il quitte la Corse pour Paris, et bien que plus attiré par la réalisation et l’écriture que par le métier d’acteur, s’inscrit à l’école Acting International. Lucide sur les réalités du métier et attentif à ne pas « se payer un fantasme », quelques remarques sur les cours dispensés lui vaudront de se faire virer en deuxième année.

SES PREMIERS PAS DANS LE MÉTIER
Désireux néanmoins de poursuivre sa formation, il est bientôt sélectionné pour intégrer la Cinemasterclass, une école où tous les intervenants sont des professionnels du cinéma. «Je ne voulais surtout pas me faire bercer d’illusions sur mes capacités, et là, pour y rentrer on devait être sélectionné par des professionnels sans concessions. Ça a été pour moi une vraie étape vers ce métier!» Elle lui offrira en effet de rencontrer des réalisateurs, acteurs, et directeurs de casting reconnus et se faire repérer, notamment par Guillaume Canet, qui lui donnera plus tard un petit rôle dans son film Rock n’Roll, ou encore Dominique Besnehard, qui l’aidera à trouver un agent et accrocher quelques castings qui le confortent dans cette voie. C’est ainsi que retenu pour jouer dans la série Mafiosa, il entame sa carrière d’acteur. S’intégrant peu à peu dans le monde du 7e art, il tourne alors dans plusieurs séries et longs métrages tels que Marseille (saison 2 sur Netflix aux côtés de Gérard Depardieu), Lebowitz contre Lebowitz sur France 2, Duel au Soleil sur TF1, ou Une vie violente de Thierry de Peretti pour ne citer que ceux-là.

EXPRIMER SA SENSIBILITÉ DERRIÈRE LA CAMÉRA
Mais s’il aime jouer la comédie, il n’en a jamais oublié pour autant son rêve de passer derrière la caméra. Car ce qu’il a toujours ardemment désiré c’est pouvoir raconter des histoires.

Et être l’architecte de ces récits en s’impliquant sur tous les aspects de leur mise en œuvre. « Jouer c’est bien, mais l’histoire ne nous appartient pas, on dépend du désir et de la vision d’un autre. Il manque une certaine liberté. Réaliser offre de pouvoir totalement exprimer sa propre sensibilité.» Un rêve qu’il a matérialisé avec Les forts ne disent rien son premier film. Un court métrage de 35 minutes tourné dans les rues de la cité impériale qu’il a entièrement écrit et réalisé, et qu’il a présenté le seulement écrit l’histoire, je suis passé par toutes les étapes du film, tous les corps de métiers : j’ai fait les repérages, travaillé avec le chef opérateur pour la lumière, participé au mixage de la musique, créé toutes les nuances que j’avais en tête, dirigé les acteurs, et joué. J’ai pu m’exprimer à 200% ! C’était important pour moi de commencer par un court-métrage, une sorte de mise à l’épreuve pour voir si j’en étais capable.» 

UNE PLONGÉE DANS LES MÉANDRESDU MONDE DE LA NUIT AJACCIENNE
Le film raconte comment la vie de Pierrot, un veuf d’une quarantaine d’années, bascule lorsque sa fille de seize ans qu’il élève seul, tombe amoureuse d’un dealer. Et son impuissance devant sa descente aux enfers. Dévoilant la patte d’un réalisateur de talent, le film nous plonge avec brio au cœur des dérives du monde de la nuit ajaccienne, gangréné par la drogue et les trafics. Au travers des différents profils que l’on retrouve mêlés dans une sombre histoire, le film pointe du doigt un fléau malheureusement bien ancré dans la réalité et montre avec subtilité ses ravages sur la jeunesse locale qui se laisse prendre au piège.

PORTRAIT

 » JE NE VEUX PAS FAIRE DU CINÉMA POUR MONTRER QUE DE BELLES IMAGES, MAIS MODESTEMENT, SANS ÊTRE LE PORTE-DRAPEAU DE QUI QUE CE SOIT,
APPORTER une réflexion et interpeler. C’EST CE QUI M’INTÉRESSE. « 

Un film poignant, qui nous entraîne par sa narration profonde et immersive, pour dénoncer avec conviction un phénomène qui prend de l’ampleur dans la société insulaire. «Je voulais raconter une histoire qui vienne des tripes, surtout, j’avais envie de beaucoup de sincérité, et forcément je suis parti de ce que je connaissais, de situations que j’avais pu vivre en travaillant dans le monde de la nuit, des vies que j’ai vues se cramer, des filles, tombées follement amoureuses de voyous, se mettre en péril… Et l’impuissance de l’entourage, l’incapacité à agir devant certaines situations ! J’aimais l’idée d’explorer ces idées. Dans un contexte corse aussi où il souvent difficile d’échapper à un destin tracé en raison du poids de son héritage familial, où la frontière est parfois ténue entre voyous et gens honnêtes, et la difficulté de parler… La ville, ici Ajaccio, tient un rôle à part entière ! » Et il faut dire que le public s’est largement senti concerné. Car comme il l’indique en ouverture de son film «Les gens des petites villes partagent un destin.»

UN CINÉMA SOCIALEMENT ENGAGÉ
Heureux que le film ait touché le public, il espère qu’il sera un moyen d’éclairer les consciences et d’alerter responsables et élus. «Je ne veux pas faire du cinéma pour montrer que de belles images, mais modestement, sans être le porte-drapeau de qui que ce soit, apporter une réflexion et interpeler. C’est ce qui m’intéresse.» Parmi d’autres projets, il travaille ainsi dans ce sens, avec un médecin et un ancien toxicomane, à un documentaire sur le service d’addictologie de Castelluccio. Avec l’idée de le diffuser en accompagnement de son film, dans les collèges et lycées de Corse. Une sensibilisation par l’image pour toucher les plus jeunes. Et un engagement sincère, qui vaut sans conteste au cinéaste une première expérience réussie dans la réalisation, et confirme son destin bien tracé dans le 7e art. 

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