Sébastien Ristori est analyste financier, directeur du groupe BARNES Corse et professeur de finance d’entreprise et finance durable à l’Université de Corse. Il est auteur et directeur de collection aux Éditions Ellipses.
Les délais de paiement
En France, la loi encadre strictement les délais de paiement entre entreprises afin de préserver la trésorerie des sociétés, notamment des plus petites, et d’éviter les abus de position dominante. Le délai de paiement standard est de 30 jours. L’Article L441-10 du Code de Commerce fixe le délai de paiement maximum à 60 jours à compter de la date d’émission de la facture, ou 45 jours fin de mois si cette option est choisie et explicitement mentionnée dans les conditions de vente et sur la facture. Il est possible de convenir de délais de paiement différents dans le cadre d’accords sectoriels ou interprofessionnels, à condition que ces accords ne portent pas atteinte de manière excessive à la situation financière des PME. Ces dérogations doivent être justifiées par les usages du secteur ou les spécificités de l’activité concernée. En cas de non-respect de ces délais, des sanctions sont prévues. L’entreprise débitrice peut se voir infliger des pénalités de retard, calculées sur la base des taux d’intérêt appliqués par la Banque Centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majorés de 10 points de pourcentage. De plus, une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 euros minimum est due au créancier en cas de retard de paiement. Les entreprises doivent également publier dans leurs comptes annuels des informations relatives aux délais de paiement pratiqués vis-à-vis de leurs fournisseurs et clients. On mesure ces écarts par le besoin en fonds de roulement, qui exprime la différence entre le moment où la société paie ses fournisseurs et encaisse les ventes réalisées auprès de ses clients.
Des impacts financiers positifs pour les uns au détriment des autres…
Pour améliorer leur position de trésorerie ou la valorisation de leurs entreprises, certaines sociétés, notamment les plus grandes d’entre elles, ne lésinent pas sur le retard de paiement à leurs fournisseurs. À court terme, retarder les paiements peut améliorer la position de trésorerie de l’entreprise, puisqu’elle conserve des liquidités plus longtemps. Cela peut être particulièrement utile dans des situations de tension de trésorerie malgré la contrepartie coûteuse, puisque les retards de paiement peuvent entraîner des pénalités, des intérêts de retard, et augmenter les coûts financiers globaux pour l’entreprise. Les retards de paiement peuvent nuire aux relations avec les fournisseurs, entraînant potentiellement des conditions moins favorables à l’avenir, comme des prix plus élevés, des conditions de paiement plus strictes, ou une réduction de la qualité du service ou des produits fournis. Mais ce dernier point est discutable lorsqu’il s’agit de grands groupes, à l’instar de Faurecia il y a quelques années qui payaient ces fournisseurs, des TPE et des PME, plus de 160 jours ! Et le pauvre petit producteur pour qui Faurecia composait 90 à 100% de son chiffre d’affaires n’avait qu’à faire avec, ou partir. En effet, ce dernier subit une pression financière : il ne dispose pas de liquidités suffisantes, doit rendre compte à sa banque qui peut accorder un financement de court terme et des lignes de trésorerie, parfois coûteuse. Également, afin de réduire un besoin en fonds de roulement (BFR)*, une entreprise qui n’encaisse pas plus vite ses clients peut préférer la hausse des délais de paiement aux fournisseurs. Cela a pour conséquence de réduire le BFR. Parce que tant qu’un fournisseur n’est pas payé, l’argent est toujours sur le compte en banque. La réduction du BFR libère des liquidités précédemment immobilisées dans le cycle d’exploitation. Ces fonds peuvent alors être utilisés pour rembourser des dettes ou investir dans des projets à forte rentabilité, ce qui peut directement augmenter la valeur de l’entreprise. La valeur des capitaux propres, et donc des actions que détient l’actionnaire, est la différence entre la valeur de l’entreprise elle-même diminuée de la valeur de la dette bancaire et financière nette du cash disponible. Si la valeur de l’entreprise est de 10, la valeur de la dette nette de 6, alors la valeur des capitaux propres et des actions est de 3. Si la société réduit son BFR de 2 en payant excessivement tard ses fournisseurs, elle conservera plus de cash disponible à l’instant T : la valeur de la société serait alors de 10 – 4 (et non plus 6) soit une valeur des capitaux propres de 6. Ou comment créer de la valeur au détriment des autres ?
La finance durable passe par là !
Les critères ESG (Environnementaux, Sociétaux et de Gouvernance) englobent différents indicateurs de surveillance dits « extrafinanciers » pour obliger les entreprises à rapporter leurs performances en matières climatiques, en matière de relations humaines et professionnelles et en matière d’éthique. Nous avons déjà évoqué de nombreuses fois ce sujet au fil des mois dans ce magazine ! Eh bien, le respect des délais de paiement fait partie des nombreuses variables qui feront l’objet d’un reporting aux investisseurs et au grand public dans le « S » de Société. Une entreprise qui ne respecte pas un délai convenable à ses fournisseurs prend le risque de détériorer les relations avec ses partenaires, mais prend également un risque réputationnel auprès des consommateurs. Le risque s’étend à l’écosystème qui peut remettre en doute la durabilité de bonne gestion de la société, notamment par les analystes et crédits des banques éventuellement prêtes à accorder un financement, ou par les analystes financiers qui peuvent sous-évaluer l’entreprise compte tenu des nouveaux risques.
C’est ainsi que Bercy à épingler, fin 2023, 40 grandes entreprises qui ont été pénalisées par des amendes sévères : Veolia (1,6 M€), Showroomprivé (1,3M€), M6 (1,1M€), McDonald’s (250k€)… Accroître la rentabilité de ses entreprises, c’est une chose, au détriment des autres, c’est autre chose ! Les nouvelles règlementations ESG viendront désormais sanctionner les sociétés les moins respectueuses de leurs parties prenantes : une bonne nouvelle pour les TPE et petites PME qui, en France, sont les meilleures élèves en matière de respect des délais de paiement.
*BFR = Stocks de matières, marchandises et produits finis + Créances clients et autres créances – dettes aux fournisseurs, dettes fiscales et sociales
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