LES INCENDIES CRIMINELS SE PROPAGENT

La révolte d’un jeune entrepreneur

Comme un néfaste pied de nez. Un engin de chantier détruit à Conca au lendemain du rassemblement de soutien à Sarrola à Romain Gaffory dont les camions ont été réduits en amas fumants lors d’un incendie criminel. Le jeune chef d’entreprise ne veut pas baisser les bras. Il est comme tant d’autre victime d’une pratique qui se répand
dans l’île alliant racket et intimidations commerciales. Des exactions qui semblent importées de pratiques notamment utilisées par la Camorra.

Par Jean Poletti

Chefs d’entreprise, habitants de la commune et des alentours, élus locaux, représentants nationalistes et des collectifs anti-mafia. Tous s’étaient rassemblés dans un élan de soutien à Romain Gaffory, dont les outils de travail furent détruits à trois reprises par les flammes criminelles. Le jeune homme alliait compréhensible dépit et absence de renoncement. Refusant de baisser les bras, il répétait en leitmotiv son souhait de continuer pour ses salariés, sa famille et ses clients. Et sans doute aussi afin de ne pas céder à ceux, qui dans la nuit protectrice, craquent les allumettes destructrices. Lui a payé un lourd tribut. D’abord des engins sur un chantier qu’il réalisait sur la Rocade d’Ajaccio. Ensuite un camion de sa société de locations de bateaux. Enfin récemment, cinq poids lourds au siège de son entreprise de bâtiments et travaux publics. Le cœur lourd, il ne se répand pas en invectives stériles. Ou supputations gratuites. Lucide, il rappelle que ces procédés s’instaurent à Corte, Porto-Vecchio et ailleurs sur le littoral et dans l’intérieur. Et d’ajouter en substance cette évidence valant constat que «des bâtons dans les roues sont mis à ceux qui veulent créer et s’investir». La preuve est faite. Ce phénomène n’est malheureusement pas isolé. Bien au contraire. Il se multiplie désormais dans toute l’île, ciblant commerces, entreprises, véhicules ou habitations. La guerre du feu devient pratique courante. À telle enseigne que les faits divers deviennent désormais un véritable fait de société.

Méthode d’asservissement

Cette multiplication dénote une inquiétante dérive reflétant une perte de repères moraux au bénéfice de sombres motivations sans foi ni loi. Cela indique aussi une nouvelle gangrène qui aggrave cette violence qui prévaut dans le grand banditisme. Désormais nul chef d’entreprise, aussi modeste fut- il, n’est à l’abri. Vengeance, coercition, intimidation, velléités de captation d’un bien ou de rançon. Autant de causes coupables qui se rejoignent dans le creuset qui détruit l’élémentaire morale. Et font voler en éclats ce particularisme que certains, contre vents et marées, ne cessent de claironner. Voilà qui s’apparente au déni de réalités. Faut-il le déplorer? Assurément.

Pour autant, il convient de déciller les yeux et admettre que cette folle surenchère n’est pas qu’un feu de paille, mais s’inscrit dans un terreau propice au développement d’une méthode criminelle ayant les flammes ravageuses pour armes de dissuasion. Et pour tout dire d’asservissement d’honnêtes citoyens. Ces volutes de fumées, sans cesse recommencées, s’inscrivent dans le paysage et le polluent. Elles témoignent avec acuité qu’une nouvelle digue s’est rompue. Sous les coups de boutoirs qui calcinent des biens et apeurent les victimes s’instaure un climat pesant. Dire ou penser qu’il serait circonscrit dans l’espace et le temps relève de l’optimise béat. Ou du fatalisme incurable. Il convient d’appréhender ce phénomène à sa juste mesure. Et sans ouvrir ici le chapitre des procès d’intention, tout indique que son ampleur et ses répétitions ne sont pas jugées avec la pertinence qui s’impose chez ceux dont la mission régalienne consiste à protéger la personne et les biens.

Pas de coordination judiciaire

Nous l’avions déjà esquissée dans une précédente édition. La succession des faits vaut confirmation. Hier comme aujourd’hui, l’équité conduit à souligner qu’en l’occurrence les investigations s’avèrent complexes. Personne n’infirme que fréquemment peu d’indices sont exploitables. Mais rien n’interdit, au regard de l’ampleur du problème, que soit imaginée une cellule dédiée, regroupant tous ces méfaits, afin de coordonner avec efficience les enquêtes. Actuellement, chacun s’affaire dans son coin aux constatations d’usage. Un dossier judiciaire est ouvert pour chaque cas et s’enlise dans le temps. Pris séparément ces spectacles de débris fumants peuvent s’apparenter à des faits divers isolés, amputés de leur dimension globale. Mais réunis dans une unique section et sous l’autorité d’un seul magistrat les recoupements, analogies, et autres éléments pourraient être bénéfiques pour la résolution des ces forfaits récurrents.

Par ailleurs, cette unicité mettrait en exergue
d’éclatante manière, qu’il s’agit d’un authentique
fait de société. Elle permettrait dès lors en saine
logique non seulement une prise de conscience populaire, mais aussi et peut-être surtout d’une implication plus volontariste de la justice. Plus aisé à énoncer qu’à mettre en pratique, disions-nous. On persiste et signe. Mais quid de l’adage stipulant que les faits précèdent toujours le droit. Et en incidence que ce dernier se doit d’y répondre.

Escalade ininterrompue

Nul besoin d’égrener les exemples. Tous sont sinon identiques sans conteste similaires. Ils embuent l’entendement et accréditent l’idée que l’île est victime d’une dangereuse accélération, qui brise jusqu’au tréfonds d’un semblant de quiétude. Depuis deux ans, le cycle des sinistres est devenu un rituel. Ici, des exploitations agricoles visées. Là, des entreprises et des bars. Même le vénérable « Son des Guitares » de Bastia ne fut pas épargné. Une escalade ininterrompue qui atteignit un paroxysme avec la destruction de trois camions des forestiers sapeurs à Serra-di-Fiumorbu. La raison chancelle. Ces engins qui sont des aides précieuses pour la population rurale, dont certains lors des frimas sont équipés en chasse-neige réduits en tôles calcinées. Les réactions courroucées furent unanimes. Et le maire, Jean-Noël Profizi, relayé par ses amis de Core in Fronte, de Gilles Simeoni et nombre d’édiles condamnèrent sans atermoiements. Dans ce droit fil, une réunion populaire signifia son écœurement. Cela a été évoqué. Mais marteler de telles évidences n’est nullement superfétatoire, tant la crise est majeure et se propage sans que rien ni personne ne semble en mesure de la juguler. L’ignominie fut également de mise avec le sort réservé à l’Attellu Mubilità. Pourquoi avoir transformé en bûcher ce garage solidaire qui avait ouvert ses portes à Calvi? Il s’agissait d’une structure d’insertion œuvrant sans relâche en faveur des personnes broyées par la précarité. C’était un symbole de la fameuse économie circulaire, et en filigrane l’exemple éloquent depuis sept ans que l’entraide pouvait trouver une application pratique. Tout en apportant sa pierre à l’édifice de ceux qui luttent avec ténacité contre l’exclusion. Lui déniant le qualificatif de fatalité.

Importation mafieuse

Philippe Andréani et toute l’équipe qui initièrent et concrétisèrent cette initiative trouvèrent un salutaire réconfort dans les nombreux témoignages reçus. Sans doute y puisèrent-ils la volonté de rebâtir ce qui fut décimé. Démontrant que l’adversité, anonyme et ignoble, ne suffira pas à renoncer aux implications pétries de noblesse de cœur. Ces quelques digressions puisées dans l’actualité plus ou moins proche témoignent de la pression insidieuse, qui s’amplifie, touchant maintenant ceux qui se sont orientés dans les domaines entrepreneurial, commercial ou agricole. Détourner le regard ou banaliser cet inhabituel mode opératoire équivaudrait, cette fois encore, à occulter la désolante réalité. Celle d’une île qui déjà en proie à bien des démons en découvre un autre. Celui-là signifie que les forfaitures ne connaissent nulle frontière. Elles sont l’apanage inépuisable de ceux qui portent en bandoulière l’imagination malfaisante. Avec en toile de fond les flammes du malheur, que subit une communauté taraudée par la crainte fréquemment diffuse, quelquefois affichée. Elle renvoie à des procédés dignes de la Camorra et autre Cosa Nostra qui en ont fait l’une de leurs sources de revenus. Mais dont pouvait penser qu’elles n’aborderaient pas sur nos rivages. Peine perdue. Réveil brutal. Croyances devenues chimères. Sans verser dans le fatalisme outrancier ou emprunter le rôle du censeur de circonstance, il paraît opportun qu’affleure une interrogation collective devant

cette maléfique spirale, qui avec d’autres ne conduisent pas vers des lendemains qui chantent.

Le mythe terrassé

Par ailleurs, avec la prolifération de la drogue et son corollaire, des dealers et du grand banditisme qui s’active à bas bruit, notre société assiste impuissante au délitement de l’État de droit. Entrant en résonance avec ce qui s’est instauré dans maintes agglomérations de l’Hexagone. Sans parler de la mainmise de voyous dans certains quartiers de Marseille. Nous n’en sommes pas à ces extrémités. Mais au risque de redite, nul ne peut adhérer aux propos incantatoires de ceux qui persistent à asséner, en foulant aux pieds l’évidence, qu’ici c’est mieux qu’ailleurs. Comme si la spécificité, érigée en mythe, était intangible et immuable. Sachons raison garder et accepter que le pire ne soit pas sûr. En contrepoint, se persuader que ces foyers scélérats ne sont pas le signe d’un nouveau mode de contraintes relève de la flagrante contre-vérité. Presque d’une complicité tacite. Transcendant commentaires et rassemblements courroucés, les brasiers du mal progressent. Ils sont, disions-nous, attisés par un sentiment d’impunité et le vent mauvais de mobiles divers et variés. Mettant sous l’éteignoir ces valeurs cardinales qui dit-on prévalent en Corse. Puissent-elles reprendre une place qu’elles n’auraient jamais dû perdre au profit d’une forme de voyoucratie que refusaient les anciens seigneurs de la pègre.

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