Le long chemin de la guérison
Era ora. Après des années de promesses non tenues, le centre hospitalier de Bastia devrait avoir un successeur. Pour l’instant il ne s’agit que de la phase initiale dévolue à financer la mise aux normes de Falconaja. Mais en corollaire est actée l’acquisition d’un terrain où s’érigerait à terme un hôpital flambant neuf.
Par Jean Poletti
Ce dossier ressemblait à un mauvais scénario. La structure qui accueille plus de la moitié des patients de l’île croulait sous les handicaps factuels et organisationnels. Vétusté, inadaptation, services obsolètes. Cette trilogie se complétait par un coût de fonctionnement systématiquement déficitaire lié à ces criantes carences. Les ministres qui se succédèrent à son chevet firent des promesses anesthésiées par l’oubli. Parmi eux Agnès Buzyn, Olivier Véran, Brigitte Bourguignon. Et autres François Braun, Aurélien Rousseau ou Agnès Firmin-Le Bodo. Il faut dire que sous les gouvernements Macron, cette fonction relevait de l’éphémère. Ils ne furent pas moins de six à l’occuper en six ans ! Voilà qui sans invoquer la théorie de l’excuse peut plaider pour une responsabilité atténuée.
Il n’empêche la cruciale urgence fut à maintes reprises exposée dans les sphères décisionnelles. Sans en faire ici le détail de précision chirurgicale, citons notamment les démarches de la conseillère exécutive Bianca Fazi, les alertes de l’Association de défense des usagers, l’implication de l’Assemblée territoriale. Une revendication également portée au Palais Bourbon par les députés insulaires et surtout par Michel Castellani qui s’était investi sans relâche depuis de nombreuses années. Sans ostentation, mais avec le sentiment du devoir accompli, il affirme que ce succès collectif n’est sans doute pas étranger « à sa pression continue sur tous les ministres. Mais aussi ses quatorze interventions orales et écrites, les diverses entrevues à l’Élysée, Beauvau ou Matignon ».
Première étape
Fin du statu quo ? Le penser est désormais réaliste même si pour l’heure il ne s’agit qu’un début de commencement. En effet, cette première enveloppe financière sera utilisée pour l’acquisition d’un terrain au lieu-dit Labretto où s’érigera la nouvelle architecture médicale. Mais à l’évidence il faudra patienter de longues années encore pour une telle inauguration. D’autant que cette échéance devra au préalable être soumise à une instruction ultérieure. Quand ? Rien n’est acté. Dans l’intervalle, le financement initial permettra d’ores et déjà la construction des services de pédopsychiatrie et de l’Ehpad déployés sur le site de Toga. Mais aussi ceux de psychiatrie, et de rééducation abrités dans le bâtiment Bracini. Sans oublier la relocalisation à Falconaja de la salle de régulation.
Nul n’en disconvient, cette première étape symbolise, au-delà des réalisations liminaires, le coup d’envoi d’un processus trop longtemps mis sous anesthésie. Au point que certains légitimement apparentaient son réveil à une irréalisable chimère. Voilà qui démontre mieux que longs discours que la ténacité et la volonté d’aboutir peut parfois vaincre la passivité ou l’hostilité diffuse d’interlocuteurs. Fussent-ils occupants des salons lambrissés de la République.
Lanceurs d’alerte
Cela témoigne aussi que l’union permet de parler d’une seule voix, rendant ainsi plus audible une revendication aussi légitime soit-elle. Elle s’enracinait dans du concret qui venait de loin avant de se concrétiser ces derniers temps. Il suffisait d’entendrele collectif de défense ayant pour porte-paroleDanielle Franceschi. Constitué de bénévoles dont fait partie Nonce Giacomoni, impliquédans le combat contre l’autisme, ce groupe de lanceur d’alerte flétrissait le choix d’un hôpitalde type Duquesnedéjà inadapté lors de sa construction en 1977. Parallèlement le collectifne cessait de mettre en exergue qu’entre cette date et actuellement les malades ont augmenté en même temps que la population d’un tiers. Sans extension de la surface de l’hôpital. Et d’ajouter « descache-misèresonéreux ont été apportés pour un léger mieux-être rapidement dépassés ». D’où le point de non-retour que les autorités ne pouvaient plus ignorer. Il cumulait l’obsolescence, la saturation, le sous-équipement. Voilà qui posait avec acuité la question de qualité des soins au niveau de l’accueilde l’hygiènevoire de la sécurité. Et le collectif d’enfoncer le clou.« Les directeurs successifs se sont contentés de gérer au mieux, ou pas, des locaux inadaptés, le manque de lits. Et surtout un déficit abyssal, des personnels épuisés. »Voilà une situation qui était en flagrante contradiction avecla circulaire du 2 mars 2006 qui stipule que les établissements de soins garantissent la qualité de l’accueil, des traitements et la thérapie. Une trilogie qui faisait depuis longtemps défaut. Elle laissait percer en incidence une injustice entre ceux qui avaient les moyens de se faire soigner sur le continent et la grande majorité qui était dans cette impossibilité. Ils ne pouvaient pas épouser l’adage «le meilleur médecin, c’est l’avion ».De nombreux vols du matin en direction de Marseille se veulent des témoignages éloquents. Facteur aggravant, les urgences fonctionnaient fréquemment avec les intérimaires, système loin d’être idéal,mais répondant au dicton « nécessité fait loi ». Un pis-aller brisé par la loi Rist qui diminua leurs honoraires.Dès lors, les véritables urgentistes ne viennent plus dans un établissement endetté et sans moyens. Faut-il rajouter à ces dysfonctionnementsle cas des services de rééducation ?Pour éviter la fermeture deux praticiens d’Ajaccio acceptèrent même provisoirement et alternativement de prendre en charge lespatients. Ubu roi !
Travaux d’attente
Fort heureusement, les trois coups du renouveau sont frappés. Le rideau devait à terme se lever sur un établissement flambant neuf. Il n’était que temps. Car lorsque sur les bords de la Seine est répétée en leitmotiv la nécessaire égalité des citoyens à l’égalité des soins, Bastia faisait figure d’exclue patentée. Sacrifiée sur l’autel d’une injustice qui insulte la citoyenneté. Désormais, il conviendra de laisser du temps au temps pour que se matérialise l’heureuse conclusion. Prendre en quelque sorte son mal en patience. Mais la pierre angulaire est posée. Osons espérer qu’elle sera le signe patent d’un édifice futur non seulement utile mais également nécessaire. La direction du centre hospitalier précise à toutes fins utiles que cette significative avancée implique en contrepoint l’abandon de la réfection complète de Falconaja qui était également dans les cartons. Pour autant, « le site demeurera en fonction durant une dizaine d’années ». Il bénéficiera durant cette période, comme indiqué précédemment, de travaux d’aménagement et de rafraîchissement. Des palliatifs qui s’imposaient pour améliorer rapidement les conditions de prise en charge des malades et la qualité de vie au travail des professionnels.
Le chemin sera encore long avant que la capitale de Haute-Corse bénéficie enfin d’un hôpital digne de ce nom. Une décennie ? Sans doute. Mais chacun doit avoir présent à l’esprit que l’opération n’était pas gagnée d’avance. Et, au risque de nous appesantir plus que de raison, nul ne doit omettre que l’échec fut évité grâce au combat de longue haleine entrepris par les édiles et la société civile insulaire.
L’autre dossier enterré ?
Sans vouloir jeter une ombre au tableau, rien n’interdit d’espérer que cette annonce ne sera pas un argument avancé par les décideurs de la capitale pour s’opposer au Centre hospitalier universitaire. Ils pourraient affirmer qu’avec Ajaccio déjà, et Bastia ensuite, l’île sera correctement pourvue en offre de soins. Cela bien sûr ne résisterait pas à l’analyse et entérinerait un arbitraire dissimulant un souci d’économie. Il passerait par perte et profit le fait qu’une telle absence et contraire à la législation qui stipule que chaque région de France et d’Outre-mer doit en posséder un. D’ailleurs, cela est le cas partout. Seule notre communauté en est dépourvue. Demeurant ainsi la seule et unique exception.
Nul ne concède qu’en l’occurrence les démarches individuelles et collectives se sont enchaînées. Rencontres, délibérations unanimes de l’Assemblée de Corse. Interventions au Palais Bourbon. Démarches réitérées auprès des ministères concernés successifs. Mais là aussi un mur du refus se dresse annihilant le cahier de doléances. Il fut en son temps initié par Corsica Libera et l’un de ses militants François Benedetti par ailleurs médecin. Depuis, il trouva tout naturellement ici un écho favorable. Mais sur le continent aussi, avec l’adhésion de nombreux praticiens. Dont Philippe Juvin, également député, et qui a des attaches insulaires. Il faut croire qu’une telle mobilisation laisse de marbre dans les allées du pouvoir.
Évidences inadmissibles
Voilà deux exemples inhérents à la santé qui rejoignent une cruelle inégalité. Le premier s’achemine vers une solution positive arrachée de haute lutte. Le second demeure encore dans les limbes de la négation et du rejet. Un questionnement affleure. Pourquoi faut-il ici se gendarmer sans relâche pour obtenir ce qui coule de source sous les cieux hexagonaux ? Est-il admissible d’être confronté à cette dichotomie qui scinde en deux catégories les habitants d’un pays ? À quand la fin du proverbe « vérité au-delà des monts, erreur en deçà ». Ou plus prosaïquement Baccala per Corsica. Hippocrate réveille-toi, ils sont devenus fous !
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