Cette fois les poncifs et autres discours lénifiants sont obsolètes. La Corse est frappée de plein fouet par une récession majeure. Les secteurs du bâtiment et du tourisme piliers de l’économie se sont fissurés. Les tribunaux de commerce redoutent de nombreuses faillites.
Par Jean Poletti
Pour certains, le point de non-retour n’est plus vue de l’esprit. Les indicateurs sont écarlates. Dans la région la plus pauvre de France où un habitant sur cinq est précaire, le pouvoir d’achat est encore rogné par l’inflation. Le petit commerce fait grise mine comme rarement auparavant. Les entreprises modestes qui tissent l’essentiel du tissu des activités affichent de tristes bilans. Certes certains ici et là tirent leur épingle du jeu, mais ce ne sont que des exceptions qui vérifient la désolante règle. Dans un paradoxe apparent, on signale des créations de boutiques, restaurants et autres unités de service. Mais rien ou presque n’est dit sur leur espoir de viabilité. À l’évidence la mortalité de ces structures est importante. Et au bout de deux ou trois années d’existence bon nombre ferment leurs portes et baissent les rideaux.
Dans une récente note de conjoncture l’Insee relève que dans la construction l’activité et l’emploi se contractent en lien avec la baisse des autorisations de construire et les mises en chantier. Scénario similaire dans le secteur de l’hébergement et la restauration où l’emploi salarié recule. En corolaire, le chômage augmente inexorablement, n’étant plus absorbé par un marché du travail étiolé.
Les piliers minés
Le constat est implacable, douloureux, incontournable. Derrière les chiffres froids et désincarnés se dissimule un mal-être sociétal dont la maléfique spirale s’amplifie.
Le bâtiment et le tourisme sont frappés et tout l’édifice chancelle. Point n’est besoin d’être grand clerc pour comprendre que ces deux piliers constituaient l’essentiel de la ressource insulaire. Les travaux publics se réduisent comme peau de chagrin, la construction individuelle bat de l’aile, les grands programmes de logements sociaux jouent l’Arlésienne.
Voilà peu encore dans nos colonnes Jean-François Luciani alors président du BTP de Corse-du-Sud martelait « Construire est devenu un acte de bravoure. » Et d’énumérer pêle-mêle l’augmentation des matériaux, la rareté des terrains, la hausse des taux de prêts. Mais cette spirale se conjugue aussi avec les attentats contre des engins de chantier et les maisons en construction. Haro sur les résidences secondaires ou supposées telles. Ces exactions contribuèrent à tarir un marché déjà fragile. Et notre interlocuteur de souligner fort à propos : « Nous ne sommes pas des aménageurs du territoire, certes nous avons une conscience, mais notre métier est de bâtir là où les décideurs ont donné leur feu vert. »
L’écume des choses
Implicitement la balle est renvoyée aux autorités qui délivrent les permis et au-delà à ceux qui ont en charge l’aménagement de l’espace. Ne serait-il pas opportun de revoir et corriger le fameux Plan d’aménagement et de développement durable ?
Il est vrai à cet égard que la prolifération des maisons dévolues aux vacances, parfois édifiées par des sociétés continentales ou étrangères à des fins lucratives, dénature les prix de l’immobilier et des terrains. Leur hausse exponentielle prive fréquemment l’habitant peu nanti d’accéder à la propriété. Ou, dans une sorte de force d’entraînement de cette dérégulation des prix, des loyers sans cesse plus élevés.
Pour autant, entre rien et tout, existe à l’évidence là aussi une voie médiane consistant à ne plus laisser le bâti s’édifier de manière quasi-anarchique au bénéfice de riches investisseurs extérieurs. À l’inverse, est-il admissible de s’en prendre à ceux qui ne font qu’exécuter des commandes, dûment estampillées des nécessaires autorisations ?
En Corse il est vrai, on a une fâcheuse propension à se tromper de cibles ou à ne percevoir que l’écume des choses.
Cherche touriste désespérément
D’un sujet, l’autre, voilà que surgit en cet automne naissant les mécomptes du tourisme. Il accumule les contre-performances. Cette fois encore le bilan est morose, couvrant l’avenir de nombreux professionnels de sombres nuages. Les continentaux ont boudé l’île. Cela est d’autant plus préjudiciable qu’ils forment l’essentiel des vacanciers. Maints professionnels sont plongés dans l’inquiétude. César Filippi, président du Groupement des Hôteliers et Restaurations, se fait avec d’autres le porte-voix du profond malaise. Tous affichent de manière sériée ou en formules lapidaires leur dépit. Tels disent qu’ils jetteront l’éponge. D’autres animés par la foi du charbonnier aspirent à persévérer malgré les vents mauvais. Et en chœur de flétrir les frais d’approche trop onéreux. Mais aussi ce qu’ils nomment l’inconstance d’une stratégie de l’Agence du Tourisme. Ils ne se lassent pas de rappeler l’absence voulue de promotion à l’orée de la saison. Puis initier, avec la compagnie aérienne régionale, une offre tarifaire moindre pour tenter d’attirer la clientèle. Un pas de deux qui renvoie pour les professionnels à une valse-hésitation, peu propice à dégager une doctrine fiable et efficiente.
Dans une réminiscence impromptue revient dans nos mémoires cette éloquente formule de Nanette Maupertuis « En Corse, nous voulons du tourisme mais pas les touristes. » L’actuelle présidente de l’Assemblée qui fut naguère à la tête de l’ATC sait assurément de quoi elle parle. D’autant que sa formation d’économiste put hier comme aujourd’hui évaluer une problématique dans tous ses aspects. Et mettre en adéquation les plausibles désagréments d’une activité subie avec la vitalité que confère la principale source de revenu insulaire.
Drapeau rouge
Bannissons l’euphémisme pour dire que la doxa ambiante s’apparente à la schizophrénie. En forçant le trait osons affirmer qu’on veut l’argent mais pas ceux qui l’apportent. Cela se retrouve dans tels commentaires trompeurs, à l’image du décompte des passagers, alors qu’il conviendrait de se concentrer sur le nombre de nuitées, les dépenses et l’avènement du para-commercialisme aux atours de concurrence déloyale. Cette conjugaison d’éléments factuels et structurels aboutit à la situation que l’on sait.
La rentrée des tribunaux de commerce se veut indicateur qui affiche le marasme. Sept millions d’impayés en Haute-Corse. Signe d’une panne sèche. En écho, le président de la juridiction d’Ajaccio affirme « craindre un point de non-retour pour l’économie insulaire ». Frédéric Benetti sur les ondes de RCFM martelait que la situation s’enracine dans une saison touristique qui vire au rouge voire au noir, mais nullement au vert. « Couleurs vous êtes des pleurs », clamait le poète. La formule imagée prend en l’occurrence tout son sens. Quand au BTP, la sentence se veut de même veine « Le carnet de commandes est vide. Et la trésorerie vient à manquer aux entreprises. »
Le président de la Chambre de commerce régionale égrène une litanie similaire, sans que perce la moindre lueur d’optimisme. En substance, il souligne que le bilan touristique fut mauvais tant dans l’avant-saison et en juillet. Août ne connut pas de rush même s’il fut moins dégradé, tandis que des indicateurs parlent d’un relatif sursaut à l’automne. Mais ces modestes fluctuations ne seront pas une bouée de sauvetage. Tant s’en faut. Et au risque de tourner le couteau dans la plaie, mais avec le souci de tenir un langage de vérité, Jean Dominici d’asséner que les deux années écoulées signent une débâcle du socle essentiel qui représente plus du tiers de notre produit intérieur. Les conséquences ? Une mise en péril directe et induite alliant faillites et en implacable effet des conséquences néfastes sur l’emploi.
Le nœud gordien
Des mesures urgentes ? Lesquelles ? Relancer dans la durée une véritable campagne de séduction de notre île ? Juguler le para-tourisme ? Mais cette stratégie relève du niveau national. Certes ici des localités prennent des mesures, mais sans être symboliques elles ne peuvent inverser la tendance. En incidence, chacun peut percevoir que dans l’Hexagone le laxisme est moins prégnant, alliant contrôles rigoureux et sanctions d’excès. Ici s’instaure une espèce de lascia core qui à bas bruit fragilise davantage encore un domaine en souffrance. Exemple significatif : à Séville, l’eau est coupée sans autre forme de procès dans les logements répertoriés comme des locations sauvages. Bien sûr parfois les médias rapportent les assertions de certains édiles. Ils disent que ces pratiques doivent cesser. Des mouvements de menton sans lendemain, puisés dans des éléments de langage assimilables aux « y’a qu’à, faut qu’on », qui aussitôt prononcés rejoignent la cohorte des promesses oubliées.
Cette incidence peut paraître anecdotique, elle met pourtant en exergue une chaîne de laxismes et d’improvisations sans qu’affleure une authentique doctrine qui transcenderait enfin la sempiternelle interrogation : quel tourisme pour la Corse ? La réponse n’est vraisemblablement pas manichéenne. Pourtant le bon sens, chose dit-on la mieux partagée, devrait d’emblée dire sans réticence que l’île a besoin du tourisme. Ensuite édicter une sorte de cahier des charges afin d’en dessiner les contours en privilégiant les retombées en espèces sonnantes et trébuchantes. Et non pas le calcul illusoire des arrivées, qui est à l’économie ce que la musique miliaire est au concerto.
Plus dure sera la chute
En péroraison relevons que la Sardaigne regorge de vacanciers et de plaisanciers. À l’image de l’île d’Elbe qui en accueille davantage qu’ici sans que sites et environnement soient flétris. Cherchez l’erreur. On dit aussi que quand le bâtiment va, tout va. A contrario lorsqu’il est en panne quelle formule employer ?
Sans jouer les oiseaux de mauvais augure, il ne semble pas usurpé de dire que nous scions la branche sur laquelle nous sommes collectivement assis. Et plus dure sera la chute !
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