Volte-face et reniements. La Corse n’est certes plus une priorité, mais elle devient aussi un théâtre d’ombres du nouveau gouvernement qui cloue au pilori les promesses, efface accords et décisions prises par l’équipe qui le précéda. Et finalement attise les braises qui risquent d’embraser une société déjà percluse de problèmes.
Par Jean Poletti
Dernier avatar en date. La nouvelle mouture de la gestion des ports et aéroports. On sait qu’ils devraient à terme rejoindre le giron de la Collectivité territoriale. Une mutation qui fut validée par la Chambre de commerce et reçut l’aval des anciens ministres des Transports après une série de rencontres et échanges entre les diverses parties concernées. Tous se dirent favorables à la création d’un syndicat mixte ouvert. Préalable passager à la finalisation du projet. Il devait être officialisé lors d’une réunion. Mais ce qui s’apparentait à une simple formalité devint foire d’empoigne lorsque le secrétaire général pour les affaires de Corse souleva un hypothétique risque juridique faute d’appel d’offres. Soudaine réminiscence ? Brutal réveil de la mémoire ? Oubli fâcheux de ce qui avait été entériné par les instances gouvernementales au fil des trois années de consultations ? Sauf à être des béotiens invétérés, osons émettre l’idée que ce fonctionnaire préfectoral n’avança pas un tel argument, venu du diable Vauvert, de sa propre initiative. Lui fut-elle soufflée afin qu’il en fasse l’annonce. Par qui ? En haut lieu ? Le sang de Gilles Simeoni ne fit qu’un tour. Une déclaration de guerre de l’État. Telle fut sa réaction avant de quitter la table, figeant dans l’immobilité celui par qui la crise arriva.
Au-delà de la forme à tout le moins cavalière d’une telle remise en cause d’accords passés, se profilait en effet l’hypothèse offerte à de grands groupes privés, continentaux ou étrangers, de mettre la main sur un pan essentiel des liaisons maritimes et aériennes. Une option inenvisageable pour le leader du Conseil exécutif, en parfaite symbiose avec Jean Dominici, président de l’organisme consulaire. Tous deux dirent leur courroux sur la remise en cause d’un processus co-construit par la représentation insulaire et l’ancien pouvoir.
Une fluctuation qui interpelle
Dans les heures qui suivirent les personnels organisèrent le blocus de l’île. Il fut levé après les gages et les assurances de Catherine Vautrin la ministre du Partenariat des territoires et de la Décentralisation et François Durovray, ministre délégué des Transports. Faisant référence à l’article 46 de la loi Pacte, ils réfutaient toute remise en cause du dispositif concocté. Et d’ajouter pour faire bonne mesure « s’inscrire dans le respect des droits des salariés, et en intégrant la volonté exprimée par la Collectivité de Corse d’une maîtrise publique des infrastructures portuaires et aéroportuaires ». Le préfet de région emprunta à la virgule près la même dialectique. Autorisant même si nécessaire la prolongation exceptionnelle du schéma actuel afin de laisser tout le temps nécessaire à la mise en œuvre du nouveau modèle. Un rendez-vous fut même organisé dans la capitale avec Gilles Simeoni pour aplanir ce hiatus qui n’aurait jamais dû se produire.
En forçant un peu le trait on peut dire, sans lui jeter la pierre, que le secrétaire général fut sacrifié sur l’autel du cafouillage et du désordre, c’est un euphémisme, dont il fut l’auteur. Mais sans velléité de le dédouaner, nombreux penseront qu’il ne fut vraisemblablement que le porte-parole de fermes suggestions hiérarchiques.
S’agit-il en l’occurrence d’amateurisme, d’absence d’élémentaire psychologie ou d’une volonté subreptice de faire table rase sur des consensus paraphés dans un récent passé par l’ancienne équipe ministérielle ? Sauf à verser dans le procès d’intention, la réalité commande à retenir que de telles rétractations impromptues ne sont pas de nature à tisser des liens fiables avec le pouvoir.
La stratégie du repli
Comparaison n’est pas raison. Mais fluctuer sur des questions par essence et définitions sensibles provoque des débordements aux lisières de l’insurrection. À cet égard, il nous souvient que voilà trente ans le cargo mixte Pascal-Paoli fut détourné par des marins qui en avaient pris le commandement. Parmi eux Alain Mosconi, figure emblématique du STC, s’opposait avec bon nombre à la privatisation de la SNCM au bord de la faillite.
D’une discontinuité, l’autre, il convient d’évoquer le repli gouvernemental s’agissant de l’autonomie. Sans préjuger de l’épilogue, chacun croyait à bon droit que le volet préparatoire était techniquement bouclé. Il appartenait au président de la République d’ouvrir le cycle parlementaire en le transmettant à l’Assemblée nationale pour un examen liminaire. Douche écossaise. Nouvelle donne. Marche arrière avant le point mort ? Michel Barnier dit lors du discours de politique générale que Catherine Vautrin intronisée aussi « Madame Corse » allait reprendre le dialogue avec la représentation insulaire. Certains ici feignent de déceler une bonne nouvelle. Comme si la régression valait satisfecit. Ou l’art de faire prendre les vessies pour des lanternes. Ce n’est pas l’avis de Gérald Darmanin qui avec des atermoiements et autres ukases boucla la première phase du dossier. Son propos est limpide comme l’eau de nos montagnes. « Je regrette le manque de précisions pour l’avenir de la Corse. » Puis de flétrir en substance le flou sur les modalités devant accompagner cette nouvelle étape. Qui elle aussi sort comme un lapin du chapeau du prestidigitateur. Si ce n’est pas un retour à la case départ, cela y ressemble étrangement.
D’une île à l’autre
Comparaison n’est pas raison, mais en regard de la Nouvelle-Calédonie l’impression de deux poids et deux mesures affleure. En effet, l’annonce concernant notre île s’apparente à un service minimum, presque contraint et à rebours du projet dument accepté voilà plusieurs mois ici et place Beauvau. Pas de commune mesure avec l’archipel où le Premier ministre annonça sa prochaine visite. Tandis qu’il demanda à Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet, respectivement président du Sénat et de l’Assemblée nationale de se rendre sur « le caillou » pour une mission de dialogue. Ajoutons pour faire bonne mesure que l’initiative de Macron de la réforme du corps électoral, qui mit le feu aux poudres, semble mise sous l’éteignoir.
Voilà remise au goût du jour l’impression diffuse ou affirmée que dans la capitale, seules comptent les réactions de colère ou de révolte. Nul n’a oublié qu’à la surprise générale le mot autonomie fut prononcé à Ajaccio par Darmanin. C’était au lendemain des débordements d’une jeunesse réagissant à l’assassinat en prison d’Yvan Colonna par un djihadiste. N’est-ce pas cette exaction qui fit revoir dans la précipitation la doctrine étatique sans qu’elle ne le souhaitât vraiment ? Ne doit-on pas se rappeler que la vision fluctuante de l’adepte du « en même temps » n’avait pas notre région comme préoccupation intangible ? Nulle parenté avec la vision de François Mitterrand qui fit élaborer par Gaston Defferre et Pierre Joxe les statuts encore en vigueur. Un président plaidait pour son fameux « Corses, soyez vous-mêmes. » Le second épousait plutôt la doctrine de Giscard « Il y a des problèmes en Corse, il n’y a pas de problème corse. »
Trop de faux-fuyants
Ces approches différentes n’exonèrent cependant pas ceux qui sont ou furent aux responsabilités depuis sept années de faire preuve de clarté. Un quinquennat s’est écoulé, l’autre déjà bien entamé. Et durant cette longue période, nous eûmes droit aux soubresauts, remises en causes et atermoiements, réponses tronquées ou éloquentes. Il serait préférable en toute hypothèse que le pouvoir dise une bonne fois pour toute sa position franche et loyale sur l’avenir de notre île. Laissant ensuite le parlement livrer son verdict. Mais rien n’est pire que ces valses-hésitations sans cesse renouvelées au gré des gouvernements successifs de la Macronie. Un affichage résolument décentralisateur s’effilochant au fil du temps, comme si en coulisses se déroulaient de sourdes et sempiternelles luttes entre girondins et jacobins. Ceci expliquant sans doute que des décisions prises soient ensuite retoquées. Il n’empêche le propos d’Alexis Kohler revient en mémoire. S’adressant voilà quelque mois à des parlementaires de Renaissance, le puissant secrétaire général de l’Élysée et alter égo du Président asséna « Ne vous inquiétez pas, ils n’auront rien. » Propos gratuits ? Reflets de discussions confidentielles au sommet de l’État ? Nul ne sait. Mais à l’inverse une chose est certaine la remise en question parait être une doctrine non écrite du pouvoir. Elle implique malheureusement de se gendarmer pour tenter d’obtenir gain de cause. Souvent aux forceps. Les exemples récents en portent une nouvelle fois témoignage.
Disons-le sans fards ni circonvolutions sémantiques. Il serait préférable en toute hypothèse qu’une bonne fois pour toutes soit dit sur les bords de la Seine ce qui est vraiment proposé à la Corse. Définir les rôles. Elle sortirait ainsi de ce clair-obscur qui dure et perdure, suscitant lassitude mêlée de rancœur au sein de la population. Le temps est venu pour une communauté de savoir si le choix s’oriente exclusivement vers le développement économique à droit constant, ou l’adhésion à une évolution institutionnelle. Le statu quo ou la réforme.
Écouter Rocard
Encore une fois, il convient de souligner qu’en l’occurrence le palais élyséen n’a pas toutes les cartes en main. Aujourd’hui encore moins qu’hier. Pourtant rien ne lui interdit de dire sa position. D’utiliser le « parler vrai » cher à Michel Rocard. Et s’y tenir. Il appartiendra ensuite, en saine démocratie, aux députés et sénateurs de trancher. Mais les rôles seront strictement définis et les responsabilités sériées.
L’île ne peut rester plus longtemps engoncée dans cette nébuleuse. Et surtout n’avoir pas la certitude que toute revendication, aussi fondée soit-elle et a fortiori chaque consentement, soit foulée aux pieds. Et qu’il soit nécessaire d’user de mobilisation populaire ou de bruit et fureur pour être entendu. Cela est aux antipodes de la saine gestion d’un gouvernement à la hauteur de ses missions. Cette attitude contribue à fragiliser le fil déjà ténu du dialogue et des échanges qui devraient pourtant s’insérer dans la normalité.
Nul n’en doute, persister dans ces méandres opaques peut donner de l’eau au moulin à ceux qui espèrent relancer ce qu’ils appellent la violence dite politique. Celle dont la population ne voulait plus, mais qui pourrait désormais rencontrer une relative adhésion tacite.
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