« Quelle vie de merde ! »
À chacun son royaume
Par Jean-Pierre Nucci
Laissez-moi vous raconter l’histoire du jeune Bakary. Un jour son père lui dit : « Demain sera ton jour ! » Le jeune homme l’écoute, son corps tremble, son esprit doute, il connaît et craint l’épreuve qui l’attend. Le lendemain matin, il partira à la chasse, affrontera son destin seul comme un grand, il traquera le gibier et pas n’importe lequel, il tuera un lion. Après bien des incertitudes, le combat tournera à son avantage. À son retour, la tribu le célébrera en héros. En traversant d’une manière glorieuse ce passage, il quittera l’enfance et entrera dans l’âge adulte.
Dans le film déchirant de beauté Le Royaume de Julien Colonna, la jeune Lésia – comme le jeune Bakary – est confrontée à un rite de passage. En l’espace d’un été, elle quittera l’enfance et entrera dans l’âge adulte. Mais pas à son avantage, plutôt à son détriment. Il n’y aura ni gloire, ni reconnaissance, seulement de l’amertume. Personne ne devrait être obligé de vivre une métamorphose aussi cruelle. À l’inverse de Bakary dont l’âme s’ouvrira au bonheur comme le font les pétales des fleurs sous la lumière du jour, la sienne restera fermée, stupéfaite d’avoir survécu sur ce chemin escarpé. Rien ne sera plus comme avant et rien ne sera aussi beau qu’avant. Elle désertera l’innocence par la mauvaise porte pour entrer dans un monde où la lucidité lui sera pénible.
« Quelle vie de merde ! » a-t-on envie de s’écrier à la fin de ce film. Oui, le cri du cœur, la scène poignante du camping le démontre avec brio. Le père, un voyou notoire, l’homme qui tue et qui ordonne de tuer, demande pardon à sa fille pour le mal qui lui fait. Il s’excuse de ne jamais l’emmener à ses côtés au grand jour, de ne jamais lui enseigner les belles choses. Jamais ils ne vont au théâtre, au cinéma, au musée, jamais ils ne vont au stade, non, leur univers se limite à son propre égoïsme, à ses seules passions, la chasse, la pêche, en catimini. Quelle misère.
Celui qui vit par l’épée meurt par l’épée
Jésus. Évangile selon saint Matthieu
Au-delà de l’aspect morbide de cette vie souterraine, cette œuvre cinématographique revêt une dimension pédagogique, le réalisateur délivre un message christique. Vous avez bien lu ! Il est dit dans les Évangiles que le soir où les Romains viennent arrêter Jésus dans le jardin de Gethsémani, l’un de ses apôtres sort un couteau et coupe l’oreille d’un légionnaire. Jésus répare sa plaie et déclare : « Celui qui vit par l’épée meurt par l’épée. » Le message est limpide.
La projection du Royaume nous fait prendre conscience des dégâts causés par le choix d’Une vie violente*. Il nous enseigne que personne ne devrait avoir envie de tenir un flingue dans sa main.
L’inéluctable recours à la sagesse
Cette philosophie est apparue aux environs des 700 ans avant J.-C. Le premier sage fut sans doute Zarathoustra. Un Aryen, hé oui n’en déplaise aux nostalgiques du Troisième Reich, les Aryens étaient d’origine indienne ou iranienne, munis d’une chevelure brune et non blonde, bref ils n’étaient pas allemands. Ce fut le début de l’introspection, de la recherche du sens donné à la vie. L’Homme s’interrogea sur le caractère précieux de son existence, sur l’utilité de sa transmission et bien d’autres questions : D’où je viens ? Qui je suis ? Où je vais ?
- À l’heure où ces interrogations semblent s’être perdues, égarées dans un monde où l’individualisme s’est imposé comme le mode de vie préférentiel, où l’esprit de groupe s’est délité au profit d’une liberté dévoyée, où chacun ne voit plus que midi à sa porte ;
- À l’heure où les pseudo-penseurs enseignent des fadaises, comme celle qu’on allait tous mourir du terrorisme à Paris pendant les Jeux olympiques (Axel Bauer) ou la Russie ne bombarderait jamais Kiev, (Luc Ferry, Dany Cohn-Bendit) où l’on nous expliquait que Poutine était un homme qui parlait quatre langues (la belle affaire) qu’il était un grand humaniste (Hélène Carrère d’Encausse), où le symbole de la réussite d’une vie est une marque de montres ;
- À l’heure où les règles démocratiques si chères à nos prédécesseurs sont bafouées, où la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est perçue par les ignares comme une tarte à la crème.
Il serait bon de mener une véritable réflexion sur le sens donné à notre propre vie au regard de celle des autres. Après la célébration de la renaissance de Notre-Dame, après la visite du pape à Ajaccio qui ébranla toute une ville, si bien que ses habitants renouèrent avec la ferveur catholique ; à l’heure où la foi renaît de ses cendres, il serait bon de mettre en cohérence sur cette île où la violence est prépondérante les préceptes philosophiques et religieux qui ont façonné « la manière de vivre » des sociétés occidentales depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.
Épictète** annonçait qu’il était inutile de répondre aux calomnies par ces simples mots : « On t’insulte, trouve la patience. » On s’éloigne du proverbe œil pour œil, dent pour dent, largement répandu dans nos montagnes et dans nos villes. Socrate enseigna que la santé de l’âme dépendait de la capacité de chacun à comprendre, à se poser les bonnes questions. Cette pratique éviterait notamment de réagir avec violence à une agression verbale ; là aussi on est loin du Royaume où la vendetta s’impose comme une coutume incontournable.
Pour aller plus loin, le Décalogue, tables bibliques écrites par Dieu et remise au peuple juif par son prophète Moïse, était destiné à borner nos actes : « Tu honoreras ton père et ta mère. Tu ne tueras pas. Tu ne voleras pas… » Si seulement.
Pour en terminer avec la spiritualité comment ne pas mentionner le message subliminal de Jésus : « Aimez-vous les uns les autres. »
Ce n’est pourtant pas compliqué à comprendre. Alors fais-le !
* Une vie violente. Film de Thierry de Peretti.
**Philosophe stoïcien. Esclave phrygien, il enseigna la philosophie à Rome avant d’en être banni par Domitien.
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