Recteur de l’académie de Corse depuis le 16 juillet dernier, Rémi-François Paolini a grandi entre les villages de Vico et Piedicorte, et a fait ses premiers pas dans l’éducation au cœur des écoles rurales de l’île. Un enracinement qui a largement façonné la sensibilité de ce haut fonctionnaire désormais en charge de la jeunesse corse, aux enjeux du territoire insulaire.
Par Karine Casalta
C’est dans le rural à Piedicorte-di-Gaggio, là où il a découvert la vie scolaire, que le Recteur a fait sa rentrée en septembre. Un hommage à sa première école et à sa première institutrice, ”Mimi” Corazzini maintenant à la retraite et dont il se souvient avec émotion. Porté aussi par la conviction que les petites écoles rurales représentent un service public essentiel à la vitalité des villages. « Sans école, les familles s ‘interrogent sur leur choix de rester vivre au village. Dans l’île, on a quand même un grand nombre d ‘écoles rurales, mais les maintenir toutes est un combat que je mesure aussi de chaque année, parce que pour certaines, on est près de la ligne de flottaison. Pas seulement pour des questions budgétaires ou de rationalisation d’effectifs, pas seulement pour des aspects administratifs, mais parce qu’à un moment donné, quand on le nombre d ‘élèves est trop bas, les conditions ne sont plus réunies pour les enfants eux -mêmes. Un groupe suffisant est nécessaire pour un effet d’entraînement, d ‘émulation et d ‘échanges. C’est important pour construire leur personnalité, leur parcours. »
Un parcours d’excellence
Poursuivant par la suite sa scolarité à Vico, il rejoindra par la suite le collège Laetitia à Ajaccio, et le lycée Fesch, avant de s’envoler pour Paris « J’ai fait mes classes préparatoires au lycée Henri IV et j ‘ai intégré l ‘École normale supérieure en spécialité Histoire. » Agrégé d’histoire, il complète alors son parcours académique avec une maîtrise de droit public et un diplôme de l’École nationale d’administration (ENA) qui le conduira à intégrer le Conseil d’État. Il mène à partir de là une carrière exceptionnelle, marquée par des responsabilités au cœur de l’État. Sans jamais se départir de l’attachement à son territoire « j’ai été 4 ans au ministère de la Justice : 2 ans au cabinet d ‘Éric Dupond -Moretti, dans des fonctions de directeur adjoint, directeur de cabinet, puis ensuite directeur des affaires civiles et du Sceau, où j ‘ai suivi aussi quelques sujets concernant la Corse. De manière générale, c ‘est un fil directeur dans tous les postes que j ‘ai occupé ; quand j ‘ai pu contribuer d ‘une manière ou d ‘une autre à des travaux concernant l ‘île, je l ‘ai fait. Je l ‘ai fait quand j ‘étais au Conseil d ‘État sur les questions d’urbanisme, qui une de mes spécialités : j ‘avais participé aux assises de la loi littoral avant le PADDUC avec Pierre Chaubon, un ami, maire de Nonza, élu à l ‘Assemblée ; puis à la Justice, à la direction des affaires civiles et du Sceau, j ‘ai suivi des affaires du foncier, notamment la question du Girtec, dont on a beaucoup parlé, qui est très utile avec le Notariat pour aider au titrement des propriétés. » Ni se départir non plus de son lien avec l’enseignement : « J’ai toujours eu la passion de l ‘enseignement. Je suis agrégé d’Histoire, et j’ai enseigné avant de faire l’ENA. J ‘ai aussi enseigné à Sciences Po Paris, à Sciences Po Lille, et j ‘ai été professeur associé en droit public à l ‘université de Lille pendant sept ans. Donc, j ‘ai toujours eu ce lien avec l’enseignement. » Ainsi, son expertise de l’administration conjuguée à sa connaissance de l’enseignement et à son enracinement insulaire en faisait un candidat idéal pour le poste de Recteur en Corse. « Il est vrai que de connaître l’île, y avoir grandi, en particulier en ce qui me concerne, c ‘est un élément qui ne peut qu’aider. Même si on peut tout à fait exercer ses fonctions sans avoir eu d ‘attaches. Mais on est quand même ici en Corse sur des particularités qu’il faut comprendre, connaître, une histoire, une culture et une langue. Le service public de l’Education Nationale est d’ailleurs très investi sur cette dernière question. »
Un Recteur de terrain
Avec une cinquantaine de déplacements depuis sa prise de fonction, Rémi- François Paolini s’efforce ainsi de bien cerner les besoins spécifiques des écoles, collèges et lycées de l’île, les choses à corriger, ou les évolutions à mettre en place. « Et je suis enthousiasmé par l’énergie, la volonté, l’envie que je constate sur le terrain » affirme-t-il. Son objectif est clair : élaborer un projet académique ambitieux et ancré dans les réalités locales.
« Nous sommes, par certains côtés, une Académie comme une autre, c ‘est -à -dire que nous avons la déclinaison des grandes politiques publiques : L’apprentissage des savoirs fondamentaux : le niveau en français, en mathématiques. Là-dessus nous avons progressé, mais nous avons des résultats qui sont perfectibles, on doit encore progresser, notamment au collège. Nous avons également les grandes politiques en matière de bien-être, de lutte contre le harcèlement. Nous sommes d’ailleurs pilotes : Nous avons signé au mois de septembre, la première convention avec la justice, les deux procureurs en Corse, après une circulaire de la chancellerie qui donnait un cadre juridique rénové. Et nous collaborons aussi avec les associations. Nous développons l ‘éducation artistique et culturelle, notamment dans le cadre des territoires éducatifs ruraux. On travaille sur le numérique, etc. Il y a tous ces sujets. Et puis, nous avons des spécificités. Et ces sujets -là sont très importants : ils sont liés d’abord à un cadre institutionnel, parce que nous avons des compétences qui sont entremêlées, notamment pour la gestion de nos établissements, avec les communes d ‘un côté pour les écoles, et la collectivité de Corse pour les collèges et les lycées. Et la Collectivité de Corse a des compétences particulières en matière de formation, en matière de gestion des bâtiments, en matière culturelle et patrimoniale. Il y a donc ces particularités et ce travail en partenariat pour la culture, le patrimoine, la langue corse. Ce sont des particularités que n ‘ont pas d’autres académies. »
Des ambitions et des priorités
Désireux de donner une direction forte et partagée à l’éducation en Corse, le Recteur vient donc de lancer l’élaboration du projet académique 2025-2030. Fruit de toutes ces rencontres de terrain, il vise à structurer les ambitions de l’académie autour de quelques axes prioritaires à mettre en œuvre de façon efficace au service de la jeunesse. « Il s’agit de donner un cap à l’Académie. « Pour moi, c ‘est très important parce qu’au -delà du projet académique, c’est un projet pour la société et pour notre jeunesse dans son ensemble » explique-t-il, prônant une approche collaborative intégrant les attentes des partenaires locaux, des familles et des enseignants. « Plus qu’une feuille de route, c ‘est vraiment le pilotage de notre travail. On est sur un projet resserré autour d’objectifs atteignables et suivis, pour les lycées, les collèges, les écoles, sans logique de catalogue, mais avec une exigence d’amélioration et de progrès, et en prenant des engagements là-dessus. »
Ainsi, au-delà des grands axes nationaux, les priorités qui se dessinent portent notamment sur la valorisation des filières professionnelles, pour défendre l’idée qu’il existe « plusieurs manières de réussir, et que chaque enfant peut réussir à condition d’être accompagné dans la construction de sa personnalité et de ses ambitions. Et de s’appuyer pour cela sur une orientation éclairée, les passerelles entre filières mais aussi une pédagogie axée sur la confiance et l’effort. « On se focalise beaucoup sur la filière générale, en Corse plus qu’ailleurs, avec un taux d ‘élèves du collège qui vont en filière générale et technologique largement supérieur au taux national. C ‘est le reflet, d ‘une voie professionnelle qui n ‘est pas encore suffisamment considérée, valorisée, accompagnée. Cela pose des difficultés, parce que nous avons des élèves qui lâchent à un moment donné, qui doivent se reconvertir. Et parfois on les perd. Cela signifie que l’orientation ne correspondait pas à leurs besoins ni à leurs envies. Il faut donc améliorer aussi l’orientation, et valoriser les filières professionnelles. Montrer qu’après un Bac pro, en fonction des appétences, des goûts, des souhaits, vous pouvez être en insertion professionnelle très rapidement, ou revenir sur la voie des études. C ‘est quelque chose qui est porté au niveau national, mais je pense qu’il faudra le porter plus fortement dans l ‘île. »
Un message fort pour un avenir prometteur
Concernant les enjeux propres à la Corse, le Recteur met aussi l’accent sur le bilinguisme, considérant la langue corse comme un patrimoine à préserver, avec l’ambition de franchir un cap qualitatif et quantitatif, « C ‘est un point essentiel. Il est important pour la jeunesse corse d ‘être bien reliée à son histoire, à sa langue et à sa culture. L’enseignement de la langue est présent dans toutes les classes du primaire avec 53 % declasses bilingues. En 6e on a encore un taux de 54 % de collégiens qui fait du Corse. Puis on a une chute après la 6e, Et ça descend encore au lycée où on est à peu près à 17 %. Donc, même s’il y a eu une amélioration, je crois qu’il est important maintenant de franchir un cap à la fois quantitatif et qualitatif, pour s ‘assurer notamment que le niveau de nos formations en langue correspond au niveau souhaité de compétences. » Il faut aussi une bonne adaptation des formations aux besoins socio-économiques locaux. L’objectif de tout cela étant que élèves soient fiers de leur territoire tout en ayant accès à des horizons plus larges, qu’ils soient académiques ou professionnels. » Il y a tout ce travail-là qui est extrêmement important au-delà de la qualité de l’enseignement. »
Faire grandir la jeunesse corse c’est bien ce qui motive Rémi-François Paolini au quotidien. Et Face à l’ampleur de la tâche, il aborde chaque défi avec résolution, investi pleinement pour cela dans son rôle de soutien et d’accompagnement pour les équipes éducatives. : « Je ne suis qu’un maillon dans la grande chaîne des services académiques de Corse. Nous travaillons tous à former notre jeunesse, pour lui donner les moyens de réussir, de s’épanouir, et d’être fière de son identité. Et si on fait ça, on aura réussi notre pari, on y aura contribué chacun. » Pour ce recteur enraciné et visionnaire, c’est une évidence, l’éducation n’est pas seulement une mission institutionnelle : c’est une promesse d’avenir pour la société corse tout entière.
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