LE REGARD ET LE FANTASME

Freud avait analysé le fantasme comme un scénario imaginaire, dont les niveaux de construction seraient soit conscient (rêverie), soit préconscient ou inconscient, en faisant intervenir un ou plusieurs personnages pour mettre en scène un désir de façon déguisée. Lacan s’était intéressé, pour un sujet divisé entre fonctionnement conscient et fonctionnement inconscient, à la logique des soubassements inconscients du fantasme entre aliénation, systèmes de représentation du sujet, un certain rapport d’impossibilité que le sujet entretient avec le sexe, enfin origine du désir causé par certains objets (sein, excrément, regard, voix). Le regard, par exemple dans l’activité de peinture, permet d’illustrer cette division du sujet et ces ressorts des scenarii inconscients.

Par Charles Marcellesi , médecin

FREUD ET LE FANTASME « ON BAT UN ENFANT »

Freud avait été interpellé par la fréquence de l’évocation d’une situation décrite par ses analysants, qui se formulait « un enfant est battu » ou « on bat un enfant » et il en repéra les différents niveaux d’élaboration : d’abord il avait fallu qu’un enfant, mettons une fillette, assiste à la correction donnée par son père à un autre enfant haï et d’en éprouver un sentiment voluptueux assorti de la proposition que si le père corrigeait l’autre enfant, c’était bien sa fille qu’il aimait. Ensuite cet épisode était refoulé, devenu conflictuel par la culpabilité éprouvée par l’enfant, et inconsciemment dans le scénario de l’enfant battu, c’est la fillette qui prend la place de l’enfant battu par le père : il ne l’aime pas, cela justifie donc qu’il la punisse, ce qui grâce au masochisme de la fillette devient une source de volupté. Dans un troisième temps se produit avec un retour du refoulé dans la conscience, une nouvelle transformation : évocation de la scène où un enfant quelconque se fait battre par un adulte non nommé, même éprouvé de sensation voluptueuse, mais dans lequel intervient cette fois-ci les enjeux de la sexualité : si tout un chacun obéit à une vocation prématurée pour son sexe, cette trompeuse naturalité est renforcée par le discours éducatif parental qui pose la distinction entre garçon et fille ; celle-ci peut être rejetée par toutes sortes d’identifications précoces (par exemple s’identifier au père, vouloir être un garçon, soit un « garçon manqué »). S’emparant de cette identification au père, le fantasme peut ainsi évoluer en fantasme masturbatoire avec cette théorie infantile que le « petit » (le clitoris) pourrait devenir grand.

LA DIVISION ENTRE CONSCIENT ET INCONSCIENT

Dans le séminaire « La logique du fantasme », Lacan avait explicité la division d’un sujet entre conscient et inconscient en ayant recours à ce qu’il situait comme le début de la pensée scientifique ; suivant Descartes, il isolait le fonctionnement conscient sous la forme d’un « Je pense donc je suis », soit l’idée d’une connexité consécutive entre la pensée et l’être. Une opinion commune, une doxologie n’admet que ce fonctionnement-là, rationnel et conscient, comme valable dans le comportement humain en fondant son aptitude aux apprentissages, éducatifs voire thérapeutique : c’est l’origine du cognitivisme. La psychanalyse, en mettant à jour l’importance des processus inconscients, déduit logiquement leur origine par une négation de ce qui est conscient : mathématiquement si « je pense donc je suis » est considéré comme l’intersection de deux ensembles, la négation de cette intersection est l’union du contraire de chacun des deux ensembles, (théorème de De Morgan) ce qui devient pour définir l’inconscient « je ne pense pas » ou « je ne suis pas » que Lacan met en relation par un dispositif (appelé en mathématiques : un « demi-groupe de Klein ») qui permet de figurer sur un quadrilatère les opérations en cause dans une cure psychanalytique ; ce demi-groupe de Klein peut en effet se figurer comme un quadrilatère dont une première diagonale du haut à droite à en bas à gauche, situe le transfert que l’analysant fait sur le psychanalyste, « sujet supposé savoir » mais qui en fait ne sait rien (c’est l’analysant qui en parlant va voir surgir la vérité de son savoir inconscient et du fantasme fondamental qui le détermine), fantasme dont il faudra isoler la cause que Lacan appelle objet a, et qui désigne notamment la perte liée à la prise de la sexualité dans le langage. L’autre diagonale du quadrilatère qui définit le système de transformation du demi-groupe de Klein concerne le travail de l’analysant entre le « Je ne pense pas » (en haut à gauche) et le « je ne suis pas » du côté opposé en bas à droite : là le sujet y est soumis à l’opération dite de la castration, opération symbolique qui détermine sa structure subjective, qui va le normer pour l’acte sexuel,, qui représente finalement toutes les contraintes que le sujet doit accepter dans sa vie, lui laissant comme possibilité restreinte un choix d’être dont le fantasme est le support.

LE FANTASME SCOPIQUE

Quand nous ouvrons les yeux après un rêve, les représentations du rêve s’inscrivent comme sur un écran invisible. Pour Lacan, cet écran du fantasme appartient à un réel, distinct de la réalité qui est construite avec de la pensée dans les instances psychiques, il est une sorte de support, de bâti, comme l’est un praticable où se joue une scène de théâtre.

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