À Corbara, le boulanger proie des malfrats

Une nouvelle fois un commerce a été détruit par les flammes criminelles. La boulangerie fut réduite en cendres la veille de l’inauguration. L’exaction s’inscrit dans les nouvelles méthodes qui allient pressions et rivalités commerciales. Ces plaies ouvertes par des procédés de brigands révèlent une violence multiforme qui n’a de mafia que le nom, mais qu’on lui accole par facilité.

Par Jean Poletti

La boulangerie fut à deux reprises ciblée par l’allumette qui ravage. L’incompréhension du propriétaire n’est nullement synonyme de renoncement. Il aspire à persévérer. Nul doute que le récent rassemblement de soutien lui fit chaud au cœur. Attestant qu’à Corbara, comme ailleurs, la population rejette cet empire du mal qui brûle à petits feux la Corse. Non à la spirale des dérives, clame la vox populi sous tous les tons. Que n’a-t-elle raison ! Cependant, il convient en ces temps de noirceur de ne pas se satisfaire d’un terme générique. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. » La citation de Camus a actuellement toute son acuité chez nous. Bannissons l’amalgame. Il ne s’agit pas tant s’en faut de séparer le bon grain de l’ivraie. Les pratiques criminelles ou délictueuses sont à flétrir sans atermoiement. Pour autant appliquer le mot mafia à toutes les exactions risque de pénaliser la clarté du constat et embuer les réponses. Désormais des petites frappes, disséminées aux quatre coins de l’île, tentent de se frayer un chemin vers l’argent facile. Sans risques probants ni actions d’éclats. Ils ne sont fréquemment pas issus du milieu dit traditionnel, celui qui avait ici ses codes et respectait certaines limites.

Le temps des gouapes

Des bandes se forment au hasard de proximités géographiques. Souvent ténues, constituées de trois ou quatre individus, elles profitent du vide laissé par les véritables parrains. Elles sont sans foi ni loi. Ciblant d’honnêtes gens pour leur soutirer des revenus durement gagnés. Dévalisant des maisons inoccupées dans les villages après le décès des occupants. Quand il ne s’agit pas d’empêcher que s’instaure une légitime concurrence. Dans ce dernier cas qui peut infirmer que les auteurs ne pourraient pas être des personnes au-dessus de tout soupçon ? Revêtant factuellement les habits du délinquant ?

Lorsque des voitures se transforment régulièrement en amas fumants. Quand ici une modeste boutique, là un restaurant familial ou une petite entreprise partent en fumée, peut-on décemment déceler la main des barons du milieu ? Ayons, au-delà des postures légitimement dictées par l’émotion, l’honnêteté intellectuelle de dire qu’au temps de leur splendeur ils ne lorgnaient pas sur les modiques recettes de commerçants. En forçant quelque peu le trait disons qu’ils faisaient même partie de la clientèle dispendieuse.

L’île comme domaine

Force est d’admettre l’époque a radicalement changé. Les équipes structurées qui agissaient sous d’autres cieux se sont partiellement étiolées, soit par luttes internes ou mises sous les verrous. Désormais des jeunes loups ne franchissent plus la mer, ils s’incrustent dans l’île pour accomplir leurs méfaits. Ils n’ont pas l’envergure de leurs aînés. Et sans doute pas les moyens de se tailler un fief, fut-il secondaire, dans le domaine qu’occupe la pègre au sein des métropoles hexagonales. Aussi, sont-ils repliés chez nous, guettant les moindres sources de profit dont ils pourraient aisément s’accaparer. Et s’en prennent essentiellement, sans l’esquisse de l’ombre d’un scrupule, à ceux qui se lèvent tôt pour travailler. Du jamais vu répète à l’envi la population. Ces groupuscules qui s’allient et se séparent au fil des opportunités sont d’une extrême dangerosité indiquent les services de police. Ils molestent, intimident le brave citoyen. Quand ils ne font pas usage de leurs armes pour des motifs futiles. Ou contre ceux qui leur tiennent tête. Mafia ? Pas dans le sens où il ne s’agit aucunement de structures, pyramidales et pour tout dire organisées, avec ses règles et ses interdits. Sans parler des tragiques bavures qui ravissent l’existence d’innocents. Ce fut le cas du jeune Jacques Baranovsky à Ajaccio, du paisible retraité Jean Livrelli à Bastelica. Et bien évidemment de Chloé. De funestes exemples, parmi d’autres, qui témoignent d’une absence totale de conscience chez ceux que les autorités nomment les chiens fous. Sans conscience et frappant à mépris d’élémentaires précautions.

Exemples éloquents

La Corse connut d’intenses règlements de comptes entre vrais caïds. À l’image de celui dit du Combinatie, relatif à un vaste trafic de cigarettes entre Tanger et Marseille. Parmi la quarantaine de morts, aucune méprise. Il n’y en eut pas aussi lors de l’affrontement que se livrèrent les anciens complices de la Brise de Mer, devenus ennemis.

Aujourd’hui, le banditisme qui sévit n’a que peu de parenté avec le terme de mafia. Celle qui s’étripait entre elle, puisait ses ressources dans de lucratives opérations hors de notre région. Interdisait la vente de drogue chez nous. Et ne s’en prenait pas à l’intégrité ou aux propriétés des commerçants. C’est un secret de polichinelle de dire que les malfrats qui s’y risquaient encourraient un rappel à l’ordre peu amène des seigneurs de la pègre.

Le poids des mots

Martelons qu’il convient de flétrir toute atteinte aux personnes et aux biens. Pour autant en maintes circonstances le terme de brigands, canailles ou crapules, sied mieux qu’à celui de mafia. Sauf à croire que les mots par facilité sémantique sont interchangeables. Désignant aussi bien la fripouille de bas étage et les vrais parrains.

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.