
Par Jean Poletti
Il est des tristes hasards de calendrier qui indiquent mieux que digressions et analyses des situations qui assaillent l’entendement. Ainsi le jour où se déroulait la manifestation contre l’empreinte mafieuse, les Restos du Cœur organisaient une collecte de dons. Les initiatives n’étaient pas comparables, pourtant elles se fondaient malgré leurs différences de degré et de valeur dans le creuset qui broie l’île. Bien sûr la voyoucratie prégnante sacrifie sur l’autel des violences une société victime. À l’évidence trafic de drogue, racket, pressions et prévarications, transcendent les faits divers pour établir un fait de société ourlé de nuages noirs. Nul ne contestera décemment que le règne des voyous asservit une région frappant d’innocentes victimes, parfois à la fleur de l’âge ou infiltrant par la coercition des secteurs commerciaux. Il pollue parfois des services chargés de lutter contre le crime et les exactions. Pour autant, nul n’infirmera qu’en regard d’une précarité qui ne cesse de croître la population subit une double peine. Celle qu’inflige les malfrats et celle que reflète la pauvreté. Les sociologues patentés esquissent l’idée que cette dualité pouvait parfois s’enchevêtrer dans une sorte d’alliance du malheur. Loin de nous l’idée d’exonérer, fut-ce en incidence, ce milieu qui s’impose par la menace et la crainte. Toutefois, nier sans nuances qu’il trouve dans cette débâcle économique et sociale un terreau propice pour cultiver le mal serait une erreur de jugement. Ou la négation d’une problématique qui pourtant devrait être d’une aveuglante clarté. Encore une fois, au risque d’insister plus que de raison, nulle excuse, ou atermoiement, ne doit atténuer le rejet du voyou. Mais osons ajouter que la culture de la légalité doit impérativement s’accompagner de solutions pour en finir avec le lancinant précepte : sous le soleil, la misère. En son temps Jaurès dans un discours retentissant avait fait l’éloge de la jeunesse, il affirmait aussi que le courage c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. À cet égard quelles offres sont offertes aux nouvelles générations ? Diplômés ou pas, trop souvent le marché de l’emploi réduit comme une peau de chagrin porte en germe le chômage. L’écrasante majorité se débat pour rentrer dans la vie active. Mais certains refusant tout effort et fascinés par l’argent facile versent dans la délinquance. Ils sont dealers, font leur apprentissage du banditisme avec une propension de vivre et braquer au pays. Contrairement à leurs aînés, qui perpétraient leurs méfaits sous d’autres cieux, parfois lointains. Une sorte de changement dans la continuité qui crée les affres que l’on sait et doit impérativement être jugulé. Et nous revient en mémoire le propos d’un parrain tué dans un règlement de comptes : « avant on braquait l’Union des Banques Suisses, aujourd’hui ils s’attaquent aux commerçants du coin, molestent des habitants chez eux pour les dévaliser, tentent de corrompre des élus par l’appât du gain ou la contrainte ». Voilà la nouvelle race de malfaisants disséminés en petits groupes dans diverses microrégions. L’élémentaire sens moral est absent de leurs panoplies d’exactions. Ils sont bien évidemment sans loi, mais également sans foi. Il fut un temps où la pègre corse interdisait la vente de stupéfiants chez nous. Et ceux qui se hasardaient à transgresser ce veto devaient en répondre devant des tribunaux occultes. Désormais cocaïne, héroïne et haschisch, inondent les villes et n’épargnent même plus les villages de l’intérieur. Autre anecdote significative un vendeur d’électro-ménager de Lupino fut en son temps cible de trois demi-sels qui lui avaient intimé l’ordre de leur verser régulièrement une partie des recettes. Ils furent sans propos diplomatiques contraints de rendre l’argent avec en prime des excuses. Autre temps, mœurs différents. Des magasins sont la proie des flammes criminelles à l’image de voitures régulièrement incendiées. Quand ce ne sont pas des maisons inhabitées dans les villages qui subissent des vols de gouapes. Ce fut le cas à Asco et en maintes autres communes au grand étonnement teinté de colère des habitants. Voilà finalement l’actuel visage du grand banditisme qui s’attaque frontalement aux habitants, tentant de s’approprier les fruits du travail d’autrui et jetant sur la population un drap d’anxiété. Quand il ne provoque pas l’indicible drame dans lequel succomba la jeune Chloé. Bannissons l’éventuel amalgame et la plausible interprétation erronée. Loin de moi l’idée d’entonner le couplet du « c’était mieux avant ». Pour autant rien n’interdit de suggérer que sans un authentique constat global le remède espéré risque d’être partiel. Se pose-t-on la question des causes du grand nombre de consommateurs de drogue ? N’est-ce pas là le signe d’une angoisse existentielle d’adolescents dans laquelle s’infiltrent les revendeurs pour en tirer profit ? Doit-on dire que parmi ceux qui sont laissés sur le bord du chemin, il en est qui, comme le disait Dominique Bucchini, répètent à l’envi « le fric, le fric, le fric ». Quoi qu’il en soit, davantage que se libérer, la parole se structure. Le défi est de taille. L’autorité étatique doit impérativement marginaliser et circonvenir les scélérats et les truands. Mais ne pas oublier de s’attaquer à cette indigne précarité qui par certains aspects est un facteur aggravant. Bref, engager la bataille du cœur et de la raison.
Nul ne peut décemment avoir une once d’excuse pour les dérives mafieuses. Mais personne ne peut occulter le fait que la pauvreté peut parfois engager des jeunes sur les chemins du banditisme.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.