Le nickel fait des vagues
Depuis un certain temps, l’île s’interroge sur les conséquences préjudiciables du projet de la compagnie canadienne Aurania d’extraire le précieux minerai sur les rivages des deux communes du Cap Corse. La crainte du saccage et des effets sanitaires prévalent dans l’opinion. Face à cette levée de boucliers, les représentants locaux de la société tentent de lever les réticences. Ils sortent de leur épais silence et appellent désormais au dialogue.
Par Jean Poletti
Les investigations initiales se déroulèrent dans la discrétion. La population fut intriguée par ces personnes qui s’afféraient à prélever des échantillons sur les bords de mer de Nonza et Ogliastro. La rumeur alla bon train se répandant comme un traînée de poudre. Pourquoi ces relevés ? La finalité ? Les discussions bruissaient de supputations qu’entretenait et aggravait l’absence d’explications. Les maires concernés en réclamèrent, frappant à plusieurs portes. En apprenant l’objet de cette prospection l’étonnement se doubla d’inquiétude fomentant légitimement l’hostilité. En cela, ils relayaient le sentiment partagé d’une grande majorité d’administrés.
La polémique enfla alliant risques de sites dénaturés et plausibles pollutions. Et en ombre portée une atteinte aux préceptes fondamentaux de l’écologie, qui désormais ne laissent plus insensibles, mais se veulent le corollaire de tout essor maîtrisé.
Sans faire de procès d’intention ou adhérer aux jugements de valeur, nul doute que le procédé de la société alimenta si besoin l’expectative aux lisières du refus.
Flots d’oppositions
Le manque de transparence fut selon le célèbre mot de Talleyrand « davantage qu’une faute, une erreur ». Elle enracina dans les esprits que ce mutisme cachait vraisemblablement de coupables agissements.
Les autorités préfectorales furent sollicitées, le ministère de l’Environnement alerté. Bref, la mobilisation s’amplifia. De citoyenne elle devint politique. Ainsi le parti Nazione dit sans ambages son opposition, tandis qu’en écho l’Assemblée territoriale eut à connaître du dossier. De leur côté, et cela n’est pas surprenant, des associations écologiques se mêlèrent aux chœurs des réfractaires, soulignant ce qui à leurs yeux induirait plaies des paysages et des effets sanitaires néfastes. D’autres laissaient entrevoir des problèmes juridiques et une sorte de tentative de passage en force des concepteurs.
Il n’en fallait pas plus pour qu’affleure le sentiment d’une complicité tacite dans les allées du pouvoir, en quête de ce nickel qui fait cruellement défaut pour élaborer les aciers inoxydables et autres batteries rechargeables, notamment nécessaires aux véhicules électriques.
L’emprise de l’imaginaire
Affaire d’État ? La prolifique imagination de certains ne l’éludait nullement. Enfourchant ce cheval de bataille comme prétexte d’une connivence entre le gouvernement et la puissante Aurania. Balivernes ? Sans doute. Exagérations opportune pour flétrir ceux qui occupent les palais lambrissés de la République ? Peut-être. Il n’empêche la dimension prise par ce projet rejaillit sur la place publique insulaire. Dans un enchaînement de commentaires, réactions et philippiques, il devint fait majeur.
À telle enseigne que la préfecture de Haute-Corse dut officiellement expliciter les autorisations diverses et variées qui devaient être validées avant toute mise en œuve. Elle indiquait par ailleurs que si une demande de forage avait été déposée, cela ne préjugeait en rien d’un accord. En toute hypothèse, il devait répondre, après étude circonstanciée et exhaustive, que soit démontrée l’adéquation avec les enjeux de préservation des lieux. Mais aussi de l’environnement et bien évidemment de la sécurité et de la santé humaine.
Anguille sous roche
Néanmoins le ver est dans le fruit. À trop avoir joué la carte de la dissimulation, les Canadiens nourrirent le dicton d’anguille sous roche. D’un processus proche du fait accompli, s’apparentant au passage en force. Vrai ou pas, l’impression est ancrée dans les esprits. Même s’il ne s’agissait que d’une maladresse, elle place les concepteurs sur le socle, sinon de la culpabilité à tout le moins de la responsabilité pleine et entière des remous occasionnés.
Sans alourdir ce que certains assimilent au procès du mystère, ou au fait du prince, il est clair comme l’eau de roche qu’aucune délégation ne prit langue en amont avec les instances qui avaient leur mot à dire. L’espace propice aux motivations et à la nature de l’opération ne connut nulles prémices. Pourtant elles auraient à tout le moins dû être informées, comme cela sied pour une entreprise désireuse d’effectuer de tels travaux. D’autant qu’ils n’avaient nulle parenté avec la philanthropie, mais dévolus à en recueillir des espèces sonnantes et trébuchantes.
Pour solde de tout compte
Face à la fronde, et persistant dans la carence, Aurania fit encore preuve d’absence d’élémentaire psychologie et d’empathie, feinte ou sincère, en mettant exclusivement en exergue l’aspect financier. Il fit en effet miroiter aux municipalités des royalties qui mettraient ainsi du beurre dans les épinards de budgets locaux. Prends l’argent et tais-toi ! Voilà le ressenti. Tel fut présenté le marché pour solde de tout comptes. Il ne pouvait qu’être mal perçu, tant il ravalait un sujet délicat à la dimension des marchands de tapis.
Ces impétrants oubliaient sans doute qu’il leur fallait, entre autres, l’assentiment de la mission régionale de l’autorité environnementale. Ou encore l’avis indispensable du Parc naturel marin du Cap Corse et des Agriates. Sans oublier l’autorisation de la ministre de la Transition écologique après les conclusions du conseil des sites. Mais les garde-fous ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Il faudra l’agrément pour l’occupation temporaire du domaine public maritime incluant certains équipements. Tout comme ceux du préfet maritime et du commandant de zone. Une liste au demeurant étoffée qui insère également la concordance avec le Plan d’aménagement et de développement durable et les documents d’urbanismes des communes.
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