Saison touristique 2025 : quels enjeux pour l’économie corse ?

Par Pascal Zagnoli, doctorant en sciences de gestion et du management à l’Unité Mixte de Recherche « Lieux, Identités, eSpaces, et Activités » et chargé d’enseignement à l’Université de Corse.

L’enjeu de la fréquentation

Alors que la saison touristique s’apprête à démarrer et avant de se pencher sur les enjeux de la saison à venir, nous allons réaliser un tour d’horizon de ce secteur prépondérant dans l’économie insulaire. Son poids que l’on peut qualifier de considérable est quantifiable en valeur de dépense et se chiffrerait d’après l’INSEE, à environ 39% d’un PIB estimé à 10 milliards d’euros. L’impact sur l’emploi est également important dans la mesure où environ 27 000 emplois sont issus du tourisme (dont un peu moins de la moitié est saisonnier). La saison dernière d’avril à septembre 2024 ce sont près de 10 millions de nuitées qui ont été vendues soit une hausse de 6,7% par rapport à 2023. L’analyse des tendances touristiques nous apprend que la Corse attire toujours plus une clientèle étrangère (+13,3% par rapport à 2023) avec 3,5 millions de nuitées qui représentent 35% de l’ensemble des nuitées vendues sur la saison. Cette hausse de la clientèle étrangère peut s’avérer être un avantage qualitatif pour la Corse, qui continue de se vendre et d’attirer une clientèle généralement avec un pouvoir d’achat plus élevé que le touriste français. Après ce rebond de fréquentation marqué par un retour massif post-Covid, le premier enjeu sera de maintenir cette dynamique tout en limitant les impacts négatifs sur le territoire.

Un équilibre qui demeure à trouver…

En effet, si le tourisme génère plusieurs milliers d’emplois il est également la source de tensions et parfois d’une mauvaise acceptabilité sociale. La saisonnalité impliquant généralement une hausse des prix qui affecte un pouvoir d’achat local déjà limité dans la région la plus pauvre de France, entraîne une mauvaise perception par les habitants qui pour certains ne quantifient pas l’apport économique direct ou indirect du tourisme, mais y voient plutôt que les effets négatifs. Deux autres points noirs sont généralement montrés du doigt : la saturation des infrastructures stratégiques (routes, assainissement, santé…) conséquence des flux touristiques engendrés par la saison impliquent une forte hausse démographique dans notre île, qui compte environ 350 000 habitants hors saison, lorsqu’elle en accueille en moyenne 3,5 millions sur la seule période estivale. Cette forte fréquentation implique également des contraintes en matière d’impact sur la faune et la flore et les milieux naturels dits sensibles tels que les réserves naturelles marines, les fleuves et lacs ou encore les sentiers les plus fréquentés. Ce qui oblige à prendre en compte ces problématiques environnementales dans les différentes politiques publiques mises en place. Les collectivités insulaires réfléchissant ainsi à des solutions pour mieux encadrer ces phénomènes tout en préservant l’apport économique de ce secteur d’activité.

Un cadre réglementaire en discussion…

Pour ce faire, le cadre réglementaire évolue et des mesures sont mises en place pour limiter l’impact du tourisme. Tout d’abord certaines communes ont décidé de majorer les taxes de séjour pour financer des infrastructures publiques à niveau ou encore pour financer des actions de préservation de l’environnement. Par ailleurs de nombreuses communes s’organisent pour durcir l’accès aux locations de courte de durée qui sont considérées notamment par les hôteliers comme de la concurrence déloyale. En termes de logement, les conséquences économiques des locations de type AirBnB sont généralement mauvaises pour la population résidente du fait de la raréfaction de l’offre locative à l’année au bénéfice de la saison estivale, entraînant également des problématiques pour les cœurs de ville qui sont amputés d’habitants à l’année. Nombreuses sont les communes qui décident de réguler ce phénomène pour limiter l’expansion du AirBnB avec une fiscalité désincitative et une limite du nombre de nuitées louées à l’année.

…vers un tourisme durable ?

Si les pouvoirs publics s’emparent de la question touristique en revoyant la législation, il est également possible de travailler à un modèle touristique nouveau. En effet, réconcilier activité touristique et préservation de notre environnement exceptionnel constitue un enjeu majeur pour les années à venir. Face aux effets du sur-tourisme – pression sur les ressources naturelles, saturation des sites emblématiques, artificialisation des terres – de nombreux acteurs locaux s’engagent d’ores et déjà vers un modèle plus responsable et durable. L’un des leviers majeurs pour réduire l’impact du tourisme est d’étaler la fréquentation sur l’année. Aujourd’hui, 80% des visiteurs viennent entre juin et septembre, ce qui crée une forte pression sur les infrastructures et l’environnement. C’est pour quoi des initiatives émergent pour valoriser l’arrière-saison grâce notamment à la mise en avant du tourisme nature et culturel organisé autour de randonnées, visites de villages, découverte du patrimoine et des savoir-faire locaux. Mais également grâce à des événements réalisés hors été : festivals de musique et cinéma, événements gastronomiques, rencontres artisanales. Ces évènements sont soutenus grâce à des partenariats avec les compagnies aériennes et maritimes qui proposent des tarifs attractifs en dehors de la haute saison. Cet objectif étalement de la saison à un double enjeu : celui de diminuer la pression démographique mais aussi de permettre le maintien de l’emploi annuel dans le secteur touristique. Un tourisme durable passe aussi par une économie locale renforcée, notamment en favorisant la consommation de produits insulaires et le savoir-faire artisanal : de plus en plus d’établissements privilégient les produits locaux et de saison (fromages AOP, charcuterie artisanale, vins insulaires, miel du maquis…), mais également grâce à l’essor de l’agritourisme avec certaines exploitations qui ouvrent leurs portes aux visiteurs pour faire découvrir la culture de l’huile d’olive, de la vigne ou encore l’élevage traditionnel. Pour conclure, il est à souligner que de nombreux hébergements intègrent des initiatives écoresponsables : utilisation de matériaux locaux, gestion économe de l’eau et de l’énergie, autonomie énergétique, démarches de certification (Clef Verte, Écolabel européen) garantissant ainsi un impact réduit sur la biodiversité.

S’il n’est pas question de remettre en cause l’apport du tourisme pour notre économie, à l’aune d’une nouvelle saison il est néanmoins impératif de réfléchir à adopter un tourisme plus durable pour préserver la beauté et l’authenticité de la Corse. Si les défis sont nombreux, ces initiatives offrent l’opportunité de concilier économie et écologie, et d’attirer un tourisme plus respectueux et qualitatif pour les années à venir.         

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