Edito : Mai 2014

Le rire du sergent

 

Les calembours du sapeur Camembert  font  des disciples dans le monde médiatique.  Ces plaisanteries peuvent surprendre par leur vacuité, mais  suscitent  parfois le courroux  lorsqu’ elles  ciblent un drame.  L’assassinat d’un haut fonctionnaire  du Conseil général fut le fallacieux prétexte pour un petit prince cathodique  de faire une digression  indigne qui heurte l’entendement et  piétine l’élémentaire respect. Gène diffuse des invités et chroniqueurs ? Qu’importe !  L’animateur, tel un cycliste la tête dans le guidon, poursuivit en danseuse   sa  coupable échappée, accentuant son coup de pédale, sans  penser  qu’il déraillait.  Atmosphère poisseuse.  Lourd climat.  Rires forcés. Triste spectacle donnée sur une chaine du service public.

Nul ne pouvait  s’empêcher de penser  à ces fades  saillies  de salle de garde. L’imagination aidant, tels  percevaient même les échos d’une chanson à succès  évoquant le rire du sergent  la folle du régiment, la préférée du capitaine des dragons.   S’agissant de notre île, l’impétrant  parait   rompu à l’exercice. Voilà quelque temps, il  tourna en dérision le guet-apens mortel d’un maire. Sacha Guitry  disait que pour un bon mot il était prêt à tout, sauf à n’importe quoi ! A l’évidence ce précepte,  coulé dans l’authentique humour,  laisse de marbre  son pâle émule.

Cette  dernière  simagrée s’inscrit dans une  longue habitude. Presque une seconde nature  lorsque des voix  continentales évoquent  la Corse. La liste   ressemblerait à un inventaire à la Prévert s’il fallait   relever toutes les inepties prononcées.  De boutades éculées  en   jugements faussement doctes,  que  d’inepties. Parfois teintées de racisme,  souvent d’inexactitudes, rarement intelligentes.

De Sénèque à Mérimée, en passant par  Poniatowski,  Raymond Barre et consorts, sans oublier un panel d’illustres inconnus,  l’ile est le terreau  privilégié des fleurs du mal.   De  Rousseau  ces  thuriféraires   ne retiennent  que le bon  sauvage. Et un lieu où tout  n’est que prébendes,  fainéantisme,  veuleries et  complicité généralisée.

Oui, la Corse est  malade, Nul doute qu’elle ploie sous le joug mortifère.   Une population est  largement victime, déboussolée. Sa jeunesse inquiète. Aussi  plutôt que de lui donner le coup de pied de l’âne, ne conviendrait-il pas  de sérier le bon grain de l’ivraie ?

Nul  ne  vilipenderait  une sorte d’enquête Corse, celle qui  évoque nos travers. Sans  que cela  devienne un réquisitoire injuste  aux accents de responsabilité collective.

Mais  déchirer un suaire  de deuil pour faire une pitrerie, est nauséabond. Dans ce droit fil,   mettre  l’ensemble d’une communauté  dans le même sac de la culpabilité est une flagrante injustice.

Et contrairement  à l’assertion du parrain   Don Corléone,  c’est une proposition que nous  pouvons  refuser.

 

Jean Poletti

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