Edito – Juil-août 2016
Le temps des guitares
Par Jean Poletti
Les beaux jours, chers à Beckett, sont propices au relativisme. Voilà du moins l’assertion de l’école freudienne. Mais sans aller jusqu’à étendre la Corse sur quelque imaginaire divan psychanalytique chacun sait confusément que l’été est la saison des parenthèses. La société insulaire n’échappe pas à cette mystérieuse alchimie qui fait du soleil une sorte de baume au cœur et à l’esprit. De l’hiver au printemps des évènements assaillirent la Corse. Nous en eûmes à satiété. C’était un peu comme à la Samaritaine, tous les jours il se passait quelque chose. Les annonces se succédaient, émaillées de polémiques et de diatribes. Et comme en toile de fond un fatalisme ambiant et des propos catastrophiques, qui assimilaient notre île a un bateau ivre. Sans port d’attache ni cap.
Juillet et aout semblent sécher momentanément les larmes du pessimisme. Une atmosphère de détente s’instaure, les villages sortent de leur léthargie. Les « exilés » sont de retour, redonnant vie aux maisons désertées durant onze mois. Jouez guitares, l’intérieur se repeuple, les ruelles résonnent de rires d’enfants. Le littoral scrute le rush touristique. Et malgré des prévisions peu optimises, hôteliers et commerçants espèrent que le pire ne sera pas sûr.
Eternel recommencement ? Sans doute. Au solstice les noires pensées paraissent s’évaporer dans le ciel serein. Illusion d’une soixantaine de jours ? Et après ? Ce répit, fut-il de courte durée, n’est pas à jeter aux orties. Il est un antidote à la sinistrose, qui depuis trop longtemps déferle en vagues rapprochées sur notre communauté. Le visage de la Corse estivale est radicalement différent de celui qui prévaut habituellement. L’imagination aidant, on se plait à rêver d’une île qui aurait toujours cette image. Exagération ? Sans doute. Mais n’en déplaise aux Cassandre, mieux vaut les éventuelles nuisances relatives à l’apport de population, que le désespoir de ce que les sociologues nomment le désert corse.
Le simple bon sens renvoie à l’idée qu’un de nos grands problèmes résident dans la démographie. Trois cent mille habitants, une population active oscillant autour de cent mille. Une pyramide des âges qui fait large place aux séniors. Voilà la réalité. Les spécialistes évoqueront une « masse critique » insuffisante pour un véritable essor. D’autres argumenteront qu’il faut trouver des chemins originaux afin d’accéder à un développement harmonieux et partagé.
En toute hypothèse, le vacancier est jusqu’à plus ample informé une source majeure de retombées économiques. C’est de l’argent qui vient de l’extérieur et reste chez nous. Ne pas l’admettre équivaut à refuser la réalité au profit de chimères dialectiques. Nos élus, profitant sans doute de leurs vacances méritées, auront tout loisir de trancher une fois pour toute l’antienne surréaliste en forme d’interrogation : Quel tourisme pour la Corse ? Nous n’aurons pas l’audace de leur demander de faire comme Saint- Louis et prendre leur décision sous quelque chêne séculaire. Les châtaigniers suffiront. Vive la rentrée ?
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