Edito – nov 2016
L’île des paradoxes
Par Jean Poletti
L’alliance des contraires est chez nous une seconde nature. Nul domaine n’échappe à cette étrange séduction qui balaie le rationalisme au profit du factuel. Souvent Corse varie pourrions-nous dire en parodiant la célèbre maxime. Au gré de considérations particulières s’étiolent les belles idées, enracinées dans l’intérêt général. Et le fameux essor global est relégué au niveau du concept, nourrissant essentiellement les colloques et autres réunions désespérément stériles.
Le traitement des déchets ? L’accord est unanime de l’en deçà à l’au-delà des monts. Mais personne ne veut de structures sur son territoire. Le développement touristique ? Certes. A condition que les sites conservent leur aspect originel. Le libéralisme économique ? Oui mais si possible avec l’apport des deniers publics pour qu’il puisse s’épanouir.
Le domaine politique constitue un spectaculaire aspect de ces antinomies. Nul besoin de souligner certaines attitudes particulières pour dire que chez nous les doctrines et l’engagement sont à tout le moins fluctuants. Mais n’est-ce pas Edgar Faure, grand spécialiste du genre qui disait : Ce ne sont pas les girouettes qui changent, c’est le vent ! Celui qui avait théorisé l’art et la manière du retournement de veste a suscité sinon des vocations, a tout le moins des émules dans l’île !
Ces quelques digressions relèvent de l’évidence, tant elles baignent et irriguent notre société. Elles alimentent de manière récurrente la dichotomie entre le sacrosaint intérêt général et la somme des intérêts particuliers. D’accord pour le premier, si tant est qu’il n’occulte pas les seconds ! Dans cette sarabande du serpent qui se mord la queue, une sorte de schizophrénie latente et bénigne autorise des attitudes individuelles et des comportements collectifs qui pourraient être insolites sous d’autres cieux. Mais pas chez nous. Pourquoi ? De Gaulle à son mystère comme nous avons la Corse disait le grand Malraux. Faut-il d’ailleurs tenter d’expliquer cette forme de particularisme au risque d’en dépouiller un éventuel charme ?
Dans une île ou tout le monde se connait, économie, syndicalisme, politique ont comme corollaire obligé le rapport de proximité. Cela influe à l’évidence sur les comportements. D’autant qu’en bons méditerranéens nombreux savent faire la part des choses. Dans un relativisme inconscient et ambiant, nul n’est vraiment dupe que les antagonismes sont souvent de façade. Et les brouilles de circonstance.
Car malgré toutes ces antinomies, ou peut-être grâce à elles, la communauté insulaire ne se fissure pas.
Dans des moments intenses, lorsque l’histoire l’interpelle elle se rassemble. Le scandale des Boues rouges ou le procès de la Cave d’Aléria en sont d’éloquents exemples. Sans parler des maquis de l’honneur, quand les bottes Nazies et fascistes martelaient la Corse.
Qui ne comprend pas cette manière d’être ne peut appréhender notre singularité. Avec ses qualités et ses défauts. Ses évidentes craintes, mais aussi ses légitimes aspirations dans un avenir meilleur.
Si l’anecdote est plus éloquente que toutes les explications du monde, en voici une qui vaut exemple et confirmation. Lors d’un long conflit social, un « patron » accusait son ami gréviste de contribuer aux difficultés de sa petite société. La discussion, vive et peu amène, se déroulait dans un bar, sans distraire le moins du monde la quiétude des consommateurs. Avant de se quitter en s’embrassant le chef d’entreprise dit au salarié en lutte : Ba bè ? Tu tiens le coup ? Tu as besoin d’argent ?
Surréaliste ? Non la Corse. Tout simplement.
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