Le révolté et le révolutionnaire
LA GAUCHE À LA CROISÉE DES CHEMINS
Depuis l’annonce de la non-candidature de François Hollande à la Primaire de la gauche et le lancement de « la belle alliance populaire » – je ne vois d’ailleurs pas bien ce qu’elle a de belle, ni où est l’alliance, et encore moins le côté populaire – et la mort de Fidel Castro, la gauche française se rebelle comme si elle se cherchait un Lider Maximo convertit à la social-démocratie.
Par Vincent de Bernardi
À l’intérieur, c’est Manuel Valls, libéré de l’enfer de Matignon qui se dit le candidat de la révolte. À l’extérieur, c’est Emmanuel Macron qui prône la révolution ! À première vue, Manuel Valls n’incarne pas spécialement l’écorché vif, le révolté, prêt à renverser la table, à prendre la tête d’une armée de sans-culottes pour marcher sur Paris. Ne nous y trompons pas, c’est une révolte contre la défaite annoncée de la gauche, une révolte aussi contre son propre camp qu’il veut, envers et contre tous, rassembler. L’heure est trop grave pour ne pas se révolter contre un FN que l’on dit assuré d’arriver en tête au soir du premier tour de l’élection présidentielle et une droite fraîchement convertie au conser- vatisme, capable de disqualifier la gauche et la priver de second tour. Manuel Valls invente la révolte tranquille, apaisée, confiante quand son concurrent, Emmanuel Macron s’agite, éructe dans des meetings survoltés et pleins à craquer. Lui, endosse des habits de candidats voulant en découdre, prêt à changer le monde. Dans son livre Révolution, il brosse le portrait d’une société bloquée comme l’avait décrite Jacques Chaban- Delmas, il y a 47 ans, et promet plus de liberté, plus d’autonomie dans une « République contractuelle». C’est en somme une révolution très conceptuelle, fondée sur le pragmatisme que nous propose un Emmanuel Macron lucide quant à la volonté des Français à adhérer au grand soir. Un imaginaire riche Quoi qu’il en soit, cette campagne s’annonce assez différente des précédentes. Le lexique employé par les candidats de la gauche renoue avec une vieille tradition que seule l’ultra gauche osait encore utiliser. On aurait attendu davantage un Mélenchon voire un Montebourg sur ce registre. Or, ce sont les sociaux-démocrates qui s’en saisissent comme s’il fallait s’inscrire dans le mythe de la lutte pour retrouver un marqueur de gauche qui a disparu à mesure que le parti délaissait les classes populaires. À vouloir se fondre dans les oripeaux d’une gauche «décom- plexée», ne laissent-ils pas là émerger une autre gauche, plus proche des réalités quotidiennes vécues par les Français, une nouvelle gauche résistante à la Bernie Sanders, plus disruptive que révolutionnaire, plus besogneuse que révol- tée et dans laquelle des candidats, de Benoît Hamon à Vincent Peillon pourraient troubler les pronostics ? Car si le thème révolutionnaire emporte un imaginaire riche et médiatiquement profitable, il est loin de faire rêver l’opinion. Interrogés, il y a quelque temps par l’Ifop pour Atlantico, les Français se disaient moins révoltés qu’au début du quinquennat et davantage résignés. Dans son analyse, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion publique de l’institut, soulignait que ce n’était pas tant la révolte qui grondait que l’indifférence qui progressait. Dans le détail, les catégories les plus résignées étaient celles qui se disaient les plus proches du Gouvernement. On trouvait les révoltés plutôt à droite et à l’extrême droite (58%). Inversement, seuls 25% des proches du PS déclaraient être révoltés. Parmi les autres caractéristiques, les plus de 35 ans étaient révoltés alors que les moins de 35 ans apparaissaient davantage résignés. Pessimisme collectif En somme plus on est à droite et plus on est révolté. Rien d’étonnant après les mesures prises au cours des quatre dernières années. « Jour de colère », «Mouvement des Bonnets rouges » ou des «Pigeons», « Manif pour tous », la révolte a grondé, un peu partout et pendant presque tout le quinquennat. Quant aux résignés, ils ont plus probablement émis un jugement sur l’incapacité du politique à gérer la situation et à redresser la barre. C’est le sentiment d’un pays en déclin qui alimente aussi le pessimisme collectif des Français. Dans ce contexte, le positionnement tant de Manuel Valls que d’Emmanuel Macron – la révolte sereine contre la révolution civilisée – apparaît bien hasardeux. On saluera l’effort de différenciation face au conservatisme de la gauche qu’ils dénoncent chacun à leur manière. Toutefois, ils choisissent l’un et l’autre de se mettre à contre-courant du jugement qu’ils ont eux-mêmes suscité. De là à ce que les gens de droite votent pour eux !
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