Chef d’entreprise et militant associatif, René Viale incarnait, depuis plusieurs décennies, l’âme du cinéma à Bastia, en offrant à cette ville qu’il aimait tant un indéniable rayonnement méditerranéen et international. Il s’est éteint dans la nuit de lundi 2 avril. Paroles de Corse s’associe à la douleur de sa famille et de l’ensemble de ses collaborateurs et salut l’âme de ce magicien du cinéma qui a marqué à jamais les salles obscures insulaires.
Petru Altiani l’avait rencontré en mai dernier pour Paroles de Corse:
Rencontre avec un homme au parcours exceptionnel dont le dynamisme et la créativité n’ont pas fini d’éclairer les salles obscures.
Des journées comme celles- ci, il en a déjà vécu des centaines. Pour autant, sa passion ne semble pas en avoir été altérée. Bien au contraire. Pour René Viale, ce vendredi a débuté par une entrevue avec Olivier Balbinot, le directeur des programmes de France Bleu RCFM, dans l’optique de tracer les contours du futur partenariat entre la radio et l’association du Festival du cinéma italien. Et vraisemblable- ment, un nouveau prix, consacré aux musiques de films, devrait voir le jour, l’an prochain, lors de la 30e édition. L’après-midi a été l’occasion de faire un point, avec son équipe, sur les éléments à finaliser concernant le millésime 2017 dont les projections ont encore offert au public local de très belles réjouissances. La recherche d’animations pour le trentième anniversaire, la préparation du budget prévisionnel et des dossiers de demande de subventions, étaient également à l’ordre du jour de la réunion, avec la volonté clairement affichée de faire de ce nouveau rendez-vous une étape exceptionnelle dans la vie du festival. «Et qui sait ce sera peut-être ma dernière », annonce le président. «J’ai des milliers de kilomètres de bobines au compteur », surenchérit-il dans un large sourire.
Assis derrière son bureau, des albums photos ouverts entre les mains, René Viale, 82 ans, se remémore de nombreuses rencontres et autant de jolis souvenirs, à Bastia comme à Nonza, Sassari ou Rome. Ses yeux sont toujours aussi brillants lorsqu’il parle de cinéma. Il a de l’émo- tion dans la voix et évoque les bons moments partagés avec plusieurs réalisateurs, scénaristes et comédiens. Dino Risi, les frères Taviani, Stefania Sandrelli, Mario Monicelli, Ornella Muti, que de grands noms venus sur la scène du Festival du cinéma italien. « Certains sont devenus des amis intimes à l’image de Dino Risi que nous avions invité en 2003 puis en 2006 », confie René Viale. « Il m’a invité chez lui, à Rome, et à la trattoria La Scala où il adorait travailler avec l’un de ses acteurs fétiches, Vittorio Gassmann. C’est là qu’ils pensaient ensemble toutes leurs répliques. Lorsqu’il nous a quittés en 2008, j’ai eu beaucoup de tristesse et d’émotion car nous étions très proches. Son fils, Marco Risi, est lui aussi devenu un ami… »
Surnommé l’imagicien
L’esprit des salles obscures éclaire les pensées de René Viale depuis sa plus tendre enfance. « Cela a commencé durant la période d’après-guerre. J’habitais non loin de la Villa Italia. Avec des amis parmi lesquels mon voisin italien Bartolomeo Camponico, Angelo Rinaldi qui a fait son entrée depuis à l’Académie française, René Fantozzi et d’autres, nous avions été autorisés à jouer dans les jardins du Consulat d’Italie. Je m’étais procuré une bobine que j’utilisais en faisant défiler les vignettes de bandes dessinées. Chaque semaine, je m’amusais à les découper dans des magazines comme Zorro ou Vaillant auxquels j’étais abonné. Mes camarades ont fini par me surnommer l’imagicien. J’ai ainsi pris goût aux images et, petit à petit, au septième art… »
Quelques années plus tard, l’opportunité de mettre le pied à l’étrier s’est présentée à lui. «Il y avait alors trois salles de cinéma à Bastia, à savoir Le Régent, L’Eden et Le Paris», explique René Viale. «Le contexte était particulier. De jeunes commerçants de la cité avaient décidé de se mobiliser jugeant que ces établissements diffusaient des films à caractère violent. Je rappelle qu’à l’époque, en comparaison à aujourd’hui, l’interprétation de la violence pouvait être assez subjective. Ces derniers ont souhaité proposer une alternative. C’est de cette façon qu’est né le cinéma Le Studio. » Et d’ajouter: «C’était en 1957, j’avais 22 ans. Je venais de passer un concours pour être opérateur de salles de cinéma. C’est le directeur du Studio, Sandro de Mari, qui était aussi journaliste, qui m’a recruté. Le cinéma rencontrant des problèmes financiers, il m’a été demandé, environ un an après, de préconiser un plan de redressement qui, dans un premier temps, n’a pas été suivi. Henri Bourdiec, l’un des gérants, m’a alors fait la proposition de reprendre l’exploitation et d’essayer de la relancer moi-même. Dès le départ, cela n’a pas été facile car le contrat de cession intégrait une clause pour le maintien du cinéma de répertoire dans le cadre de la programmation. Ce qui était assez restrictif. En 1959, je suis parvenu à transformer Le Studio en établissement mixte, en décrochant le label Art et Essai destiné à promouvoir le cinéma indépendant et permettant, en outre, l’obtention d’une subvention de l’État. Tout ceci m’a permis de développer la partie commerciale et de gagner en rentabilité.»
Un métier exaltant
Pour le Monsieur Cinéma bastiais, comme se plaisent à le surnommer les journalistes de la presse insulaire, « faire fonctionner un cinéma n’est pas une mince affaire. Cela ne l’a jamais été. À l’époque, tout le monde allait au cinéma. C’était une source d’évasion et d’enrichissement culturel qui était pour beaucoup nécessaire. Avec l’arrivée massive de la télévision dans les foyers, des cassettes vidéo, des magnétoscopes puis des DVD et d’Internet, cela a considérablement changé la donne ». Bien que confronté à des difficultés, René Viale a néanmoins toujours trouvé son métier exaltant. Car il l’a conduit à entreprendre et à redoubler d’ingéniosité. La genèse dans l’île des cinémas en plein air dont il a été précurseur restera sans aucun doute l’un des plus beaux exemples en la matière. « Durant la saison estivale, les salles de cinéma étaient désertes. Les Bastiais quittaient la ville tous azimuts pour rejoindre leur village. C’est pourquoi j’ai voulu aller les retrouver en milieu rural et en bord de mer. Le premier cinéma en plein air créé a été celui de Saint-Florent, en 1972, qui a immédiatement remporté un franc succès. Nous avons pu ensuite reproduire le concept à Bonifacio, Moriani, Macinaggio, sur la Marana, à Porto- Vecchio… Nous avons fait des émules puisque d’autres cinémas en plein air se sont montés, par exemple à Sagone, Solenzara et Sainte-Lucie-de- Porto-Vecchio. Cela a été une super aventure. D’autant que certains existent encore aujourd’hui. »
Regrets et projets
Au cours des années 70, René Viale a également fait l’acquisition de cinémas tels que Le Rex à Cervione et Le Paris sur le quai des Martyrs à Bastia qui avait une capacité d’accueil de 1200 spectateurs. « Mais cela n’a malheureusement pas duré longtemps car il s’agissait à chaque fois de structures en déficit et d’investissements risqués », regrette ce chef d’entreprise audacieux. « C’était le jeu et j’en avais accepté les règles… » Des regrets, René Viale en a tout de même, au premier rang desquels figure Le Régent dont il avait remporté, en 2011, la délégation de service public auprès de la Mairie de Bastia. «Un délai de 3 mois avait été fixé pour rouvrir le cinéma. J’avais, pour ce faire, réalisé d’importants travaux de rénovation et de mise aux normes, à hauteur de 500 000 euros. » Mais une tempête l’a empêché d’arriver à ses fins.
« L’affaire traîne depuis 5 ans », déplore encore aujourd’hui René Viale. « Les évacuations des eaux pluviales étaient bouchées et sont à l’origine des infiltrations et des dégâts. Les assurances
l’ont reconnu. La responsabilité revient à la précédente municipalité de Bastia. Nous sommes toujours en procès. » René Viale regrette, d’autre part, qu’un complexe cinématographique de six salles comme celui d’Ajaccio n’ait pas pu être initié à Bastia. « L’Ellipse est tout à fait remarquable », souligne-t-il. « Sa construction a nécessité un budget de 7 millions d’euros. Nous avons, à mon sens, manqué le coche. Mais je tiens à féliciter Michel Simongiovanni, le fondateur et gérant, que j’apprécie beaucoup et qui a notamment préparé son CAP de projectionniste en apprentissage au Studio.» Malgré ces points de déception, René Viale regarde droit devant, en suivant toujours attentivement les dernières avancées technologiques, même si, selon lui, sa carrière est «derrière».
La notion de transmission
Il y a quelques années, il a décidé de passer les rênes de la SARL Studio Cinéma à sa fille, Michèle de Bernardi qui l’accompagnera d’ailleurs, en ce mois de mai, sur la Croisette où il se rendra pour la 42e année consécutive. Il s’agit pour lui d’un véritable rituel. Car c’est au Festival de Cannes qu’il fait son marché en vue d’agrémenter les différentes programmations du Festival italien comme des cinémas Le Studio à Bastia et du 7e Art de Furiani. Furiani, justement, où un projet de création d’un complexe de trois salles est en cours, en étroit partenariat avec la municipalité. Cela fait partie des dossiers qui tiennent particulièrement à cœur à René Viale. « La transmission est aussi une notion primordiale dans notre métier», poursuit le président des associations du Festival italien et de Studio anima- tion qui comptent à elles deux plus de 300 adhérents. «Avec les employés et bénévoles, nous envisageons de poursuivre les ateliers mis en place, depuis 20 ans, à destination des scolaires autour de l’éducation artistique et de l’éducation à l’image, au titre d’un dispositif national piloté par le ministère de la Culture, l’Éducation nationale et le Centre national du cinéma. Tout au long de l’année, nous animons par ailleurs une biblio- thèque cinématographique accessible à tous et un Cinéclub repris en main, voilà 4 ans, par mon ami Marc Riolacci. »
À noter enfin que Dominique Dionisi, cinéphile averti, amoureux de Bastia, a souhaité dédier à René Viale un livre biographique intitulé Une vie pour le cinéma. Sgiò cinemà di a Corsica, coédité par Stamperia Sammarcelli et PF Editions, dont la parution est prévue avant la fin de l’hiver prochain. Et pourquoi pas un film ? De quoi mettre plus d’un réalisateur à l’œuvre..
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