Pédopsychiatre de renommée internationale, Marcel Rufo explore depuis plus de cinquante ans le monde de l’enfance. À 73 ans, plus actif que jamais, «bonifié» par l’expérience, il travaille toujours à redonner le sourire aux enfants et adolescents mal dans leur peau, jusqu’en Corse, où il assure une consultation régulière.
Par Karine Casalta
«Il faut se souvenir de son enfance, dit-il, c’est une période très importante. Il y a deux sortes d’êtres, ceux qui se souviennent de leur enfance et ceux qui croient l’avoir oubliée; ceux-là ne vont pas très bien, parce qu’alors ils la revisitent sans arrêt. » Lui, n’a rien oublié de la sienne. Fils d’immigrés italiens, il grandit dans le Toulon d’après-guerre, entre une mère aimante et un père, vendeur de légumes sur le marché, passionné de rugby, « Un modèle d’élégance, d’éthique, de générosité, confie- t-il admiratif. Il s’intéressait à ce sport et en comprenait toutes les subtilités. » Lui-même fan du Rugby club toulonnais, l’a longtemps pratiqué et assure encore aujourd’hui une chronique sportive régulière pour Midi Olympique.
Des amitiés fondamentales
Fils unique, toute l’attention de ses parents se concentre alors sur lui «Dans ma famille, on avait qu’un seul enfant, pour lui donner le plus de chance possible de réussite. » En réponse, il va très tôt se constituer une fratrie amicale forte, comptant bon nombre d’amis corses avec lesquels il entretient des liens toujours très solides aujourd’hui. Avec eux, il découvre la Corse, dont il tombera amoureux et dont il deviendra totalement «addict». «D’entrée de jeu, j’ai aimé cette île, repère des valeurs familiales, caractérisée par ses villages où toutes les générations se retrouvent et où, à la beauté des lieux s’associe la beauté des gens qui l’habitent.» Une île que ce passionné de voile ne se lasse d’ailleurs toujours pas d’explorer. C’est encore influencé par les copains, en prêtant l’oreille à des discussions d’aînés, qu’à l’heure des études il va se laisser entraîner vers la médecine alors même qu’il envisageait de faire du journalisme. Marqué sans doute aussi par le souvenir du médecin qui le suivait au lendemain d’une méchante tuberculose contractée dans sa prime enfance. Élève doué, il réussit d’emblée ses premiers examens pour se retrouver tout de suite en deuxième année. À partir de là, tout va s’enchaîner. Et comme souvent en médecine, les rencontres avec de grands patrons vont participer à construire son parcours.
Thérapeute de l’inconscient
Dès l’âge de 23 ans, il se spécialise en neurologie. Il fait son internat avec le professeur Nicole Pinsart à Marseille, qui lui ouvre son service de neuropsychiatrie. Puis, «parce que les psychoses chroniques d’adultes, bien installées et difficiles à traiter (le) déprimait », il se tourne vers la pédiatrie et se retrouve avec le professeur René Bernard qui le met immédiatement en charge de la pédopsychiatrie, un domaine dans lequel il est alors totalement inexpérimenté. «J’ai accumulé les bêtises», ose-t-il avouer,«mais aussi les patients qui m’ont beaucoup appris car, précise-t-il, en psychiatrie on est bon tard, nourrit de toute son expérience.» Par la suite, c’est Arthur Tatossian psychiatre-phénoménologue qui va jusqu’à lui donner le quart de son service quand il crée l’espace Arthur, puis Michel Soulé, grand patron parisien, pionnier de la psychanalyse du nourrisson, qui le prendra sous son aile. Agrégé en pédopsychiatrie à 37 ans, les postes se succèdent : il va diriger le service de pédopsychiatrie de l’hôpital de Sainte-Marguerite puis l’Espace Arthur à Marseille, avant d’être nommé à la Maison de Solenn à l’hôpital Cochin à Paris. Revenu à Marseille pour mettre en place l’Espace méditerranéen de l’adolescence à l’hôpital Salvator, il dirige actuellement l’unité d’adolescents: Le Passage à La Penne-sur-Huveaune.
Incurable de la pédopsychiatrie
Dans une approche thérapeutique toute personnelle à l’opposé de certains principes freudiens, Marcel Rufo dans la lignée de Donald Winnicott, Mélanie Klein ou encore Françoise Dolto, n’hésite pas à être dans l’empathie et à créer une vraie proximité avec ses jeunes patients. Sans hésiter non plus à se remettre en question «c’est moi qui suis responsable de l’évolution de la consultation, si ça ne marche pas c’est que je n’ai pas compris. Mais j’ai toujours une réserve d’espérance, ce n’est pas perdu, j’essaie toujours de comprendre ». Auteur de nombreux ouvrages, sa «désacralisation» des consultations doublée d’une aisance orale lui ont aussi ouvert les portes des médias avec lesquels il collabore volontiers, sollicité pour répondre aux questions des auditeurs et téléspectateurs. Mais pour cet « incurable de la pédopsy », l’anorexie, qui survient souvent durant la période critique de l’adolescence, reste le combat de sa vie. «Au début je ne comprenais pas, je faisais n’importe quoi. Au fil du temps, avec l’expérience j’ai commencé à améliorer ma prise en charge et j’ai compris que cette maladie est plus forte que celui qui la porte ». Fondamentalement optimiste, il juge néanmoins que les adolescents d’aujourd’hui se portent mieux que ceux d’hier «les parents sont plus attentifs à leur mal être et la parole est plus libre». Une parole qu’en praticien passionné, il a sans aucun doute participé à libérer…
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