Par Nicolas OGNO
Il y aura 40 ans, le 7 mars 2019, mon Grand Oncle, le Chanoine François Maestroni, Curé Archiprêtre de la Cathédrale d’Ajaccio de 1958 à 1979, décédait. A cette occasion, je souhaite lui rendre hommage et évoquer l’histoire di A Madunnuccia, dont j’ai réédité l’excellent petit ouvrage qu’il avait rédigé en 1978 à la demande de l’Evêque de Corse, Monseigneur Jean-Charles Thomas. Ce dernier avait été frappé par la grande dévotion et la fidélité des ajacciens envers leur Sainte Patronne, qu’ils ont qualifié affectueusement au fil du temps A Madunnuccia, célébrée chaque 18 mars.
Le culte de Notre Dame de la Miséricorde remonte au 18 mars 1536, quand Tonio Botta, un vieux paysan qui vivait près de Savone, eût une apparition de la Vierge Marie, qui lui adressa ce message : « Miséricorde et non Justice ». Ce culte fût très vivace en Italie et en Corse. Et chaque année, depuis 1656, les ajacciens se recueillent devant la petite statue de Notre-Dame de la Miséricorde, érigée d’abord en 1645 en l’église Saint Ignace, pour la remercier d’avoir préservé Ajaccio de la peste qui sévissait alors à Gênes, très liée avec la Corse par ses échanges commerciaux.
Comme tous les ajacciens, dès mon enfance, j’ai été marqué par ces soirées de prière la veille di A Madunnuccia, le 17 mars, au pied de la petite statue di A Madunnuccia, érigée en 1747, sous laquelle est inscrit en latin « Posuerunt me Custodem » (« Ils m’ont placé comme gardienne »). Et toutes ces petites bougies allumées devant la statue, sur la Place des Palmiers, symboles d’une lumière, d’une protection et d’une espérance, sur fond de « Dio Vi Salvi Régina »… Et la ville, pavoisée de petits drapeaux bleus et blancs, aux couleurs de la Vierge Marie.
Célébrée à perpétuité
D’un point de vue historique, les magnifiques anciens, c’est à dire les conseillers municipaux de l’époque, prirent par délibération du 15 novembre 1656, l’engagement solennel de placer la ville sous la protection de Notre Dame de Miséricorde: ce fut le premier vœu civil. Et lors de la messe du 18 mars 1660 en la cathédrale d’Ajaccio, les édiles ajacciens, en présence des autorités religieuses, formulèrent ce vœu de placer la ville d’Ajaccio sous la protection di A Madunnuccia, de faire célébrer à perpétuité une messe chantée en la cathédrale d’Ajaccio et d’organiser une procession générale dans les rues d’Ajaccio.
Lors de la messe pontificale solennelle, la Cathédrale d’Ajaccio est alors trop petite pour contenir l’immense foule venue prier la Mère de Miséricorde et écouter le message délivré par l’évêque de Corse et son invité de marque. A cet égard, Ajaccio a pu s’honorer d’avoir reçu à l’occasion des fêtes passées di A Madunnuccia ces dernières années des Evêques, un Nonce Apostolique et des Cardinaux et notamment notre Cardinal ajaccien, Monseigneur Dominique Mamberti.
Et en fin d’après-midi, la lourde statue processionnelle di A Madunnuccia, décorée de belles fleurs, est portée en procession par les ajacciens et quitte la Cathédrale pour parcourir les rues d’Ajaccio, en présence du clergé, des confréries Notre Dame de la Miséricorde, San Ruchellu et Saint Erasme. C’est un grand moment de communion populaire plein d’émotion et où toutes les générations sont réunies. Il faut noter que pour la 1ère fois de son histoire, A Madunnuccia, œuvre du XVIIème siècle, a quitté Ajaccio pour Calvi en novembre dernier pour y être restaurée dans le Centre de Conservation du Patrimoine. D’une Citadelle à l’autre…
Histoire d’Ajaccio
Lors de la procession, j’ai en mémoire ce très beau chant « O Mère de Miséricorde », repris par la foule et si bien joué par la musique municipale d’Ajaccio, dont les musiciens talentueux sont habillés en tenue d’apparat bleue et blanche. Et d’années en années, cette belle tradition à la fois civile et religieuse, inchangée depuis 1656, se perpétue ce qui est à la fois unique, beau et émouvant.
On verra qu’A Madunnuccia est très présente à Ajaccio au-delà du 18 mars, puisque l’hôpital a ainsi pris pour nom « Centre Hospitalier Notre-Dame de la Miséricorde » et qu’une confrérie porte le nom des « Dames de la Miséricorde » dont le but est la visite des malades et la charité.
Le petit livre sur A Madunnuccia est pleinement d’actualité. Il s’adresse notamment aux jeunes, et leur permet de mieux connaître leur histoire ajaccienne, voire de redécouvrir l’histoire de celle que leurs ancêtres avaient placé comme leur gardienne.
Oui, la Miséricorde, l’esprit de Miséricorde est une nécessité dans une société en perte de repères, et où l’essentiel semble disparaître au profit de l’accessoire, de l’immédiat… Et pour Ajaccio, sa population, ses aînés et sa jeunesse, c’est un ciment de cohésion, un cadre protecteur et une source d’espérance pour des lendemains meilleurs.
A Madunnuccia caractérise cette spécificité d’une cité très attachée à ses traditions, à son identité et dont on peut souhaiter que ses habitantes et ses habitants continueront à la célébrer encore longtemps, bien au-delà de ce 359ème anniversaire qui approche…
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