La Diaspora d’hier et d’aujourd’hui
TRIBUNE
Par Jean-Pierre Castellani (1)
Le mot Diaspora est un de ces termes ambigus, employé à tort et à travers, appliqué à toutes sortes de situations et de réalités, comme celui d’autofiction quand on parle de production romanesque. Venu des temps les plus anciens, avec la persécution des Juifs, jusqu’à notre monde contemporain et ces exodes d’Arméniens, de Palestiniens, de Turcs, de Kurdes ou d’Algériens et tant d’autres peuples dispersés à travers la terre. L’étymologie grecque du mot le dit bien : ce verbe diaspeirein signifie disséminer. Et pourquoi ne pas l’appliquer aux Corses ? Edmond Simeoni en avait même fait son cheval de bataille en créant, en 2004, l’association corsicadiaspora dont il rêvait qu’elle rassemble les Corses du monde entier. Il pensait que cette communauté, bien qu’hétérogène, devait jouer un rôle décisif dans la construction de la Corse de demain, plus libre, responsable et développée. La diaspora est un phénomène socio-politique, qui peut mettre en jeu des communautés même réduites, pas seulement des individus. Un diplomate ou un fonctionnaire en poste ou un aventurier, seul, n’est pas une diaspora. Il faut qu’il rejoigne d’autres individus de la même origine, dans le même lieu ou le même pays étranger et qu’ils établissent des liens en réseau avec le pays, la société ou le territoire d’origine. Toute diaspora implique obligatoirement l’idée de dispersion spatiale d’un peuple qui maintient une conscience d’une origine commune. Une solidarité culturelle, affective, politique, gastronomique en découle. On est EN diaspora avant d’être de la diaspora.
D’un exil, l’autre
En effet, il ne faut pas la confondre avec l’exil, la migration, le tourisme : les migrants, émigrés, réfugiés, touristes, baroudeurs, routards, étudiants Erasmus ne constituent pas forcément une diaspora.
Les motivations du départ des Corses à l’étranger n’étaient pas politiques (l’exil pour fuir une dictature) ou historiques (un génocide) mais plutôt économiques : sans être des migrants affamés, les Corses partaient à cause du manque de travail dans une île longtemps abandonnée et archaïque.
Par ailleurs, la Corse offre la particularité, étant une île, d’un mouvement d’évasion vers l’extérieur, un effacement de la mer vers un ailleurs utopique. Certes on ne peut pas mettre sur le même plan les Corses qui partaient à l’aventure vers le Continent américain, au XVIIIème siècle, qui souvent ne sont jamais revenus, sauf pour édifier de splendides Palazzi, et ceux qui, plus récemment, forment des communautés provisoirement installées dans un pays lointain. Tous, cependant, créent des diasporas qui conservent un rapport étroit avec leur île d’origine.
L’attachement à la terre
Avec ce nouveau type de Diaspora, le retour au pays n’est plus l’occasion d’y construire une maison ou un tombeau mais pour y poursuivre des activités professionnelles. Ce phénomène ne peut être qu’enrichissant pour ceux qui le vivent et pour la Corse. Il est le contraire du départ définitif et de l’enfermement. Plusieurs personnes qui témoignent dans notre ouvrage Corses de la diaspora sont parties de Corse pour vivre leur destin ailleurs, d’autres y sont revenues pour développer leur carrière ou en commencer une autre. Nombreux sont ceux qui font des incessants allers-retours entre le monde extérieur et l’île dont ils sont originaires. Tous manifestent un profond attachement à leur terre, à leur village. Défilent dans ce livre des cap-corsins partis faire fortune à Porto Rico ou au Venezuela, des militaires, des enseignants, des administratifs, des hommes d’affaires, des diplomates… d’Europe de l’Est à l’Afrique, du Moyen- Orient à l’Amérique Nord, ou en Amérique latine, au Japon ou en Chine.
Désir de renaissance
La question de la diaspora n’est pas dissociable de l’évolution politique de la Corse depuis les années 70. Paradoxalement, la notion de diaspora s’est à la fois enrichie et nuancée car le développement des moyens de communication, l’irruption récente et massive d’internet, le retour à une prise de conscience identitaire avec le phénomène du riacquistu, les possibilités économiques de la Corse contemporaine, ont modifié fondamentalement les conditions du départ et du retour des Corses de leur île et vers leur île. Nécessité absolue du destin de la Corse. Dans son désir de renaissance et à la recherche d’un élan nouveau après des décennies d’abandon ou de crise, qui dépasse les blessures douloureuses du passé.
(1) professeur des universités, coordinateur de l’ouvrage Corses de la Diaspora, Scudo ed, 2018.
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