Dans une sorte d’attirance-répulsion, notre île ne déroge pas à cette ambivalence face à Bruxelles. Les aides financières sont importantes et touchent ici de nombreux domaines. Le scrutin du 26 mai pour renouveler le Parlement se profile dans une relative indifférence générale, que brisent toutefois une tête de liste bonifacienne et les dissensions dans le camp nationaliste.
Par Jean Poletti
On se souvient de la saillie d’un Charles de Gaulle « Bien entendu on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe, l’Europe, l’Europe cela n’aboutit à rien et ne signifie rien. » Depuis, rien de nouveau sous le ciel strasbourgeois. Le clivage perdure entre les adeptes du fédéralisme et ceux qui à des degrés divers prônent les souverainetés des États. Cette bataille des idées s’enracine-t-elle en Corse ? On peut en douter. Les bateleurs d’estrade ne font pas de ce sujet le corpus de leurs interventions. Sauf à incriminer, dans le sillage du général et au gré des circonstances, les fonctionnaires européens qualifiés « d’aréopage technocratique, apatride et irresponsable. » Certes ces griefs sont recevables. Mais fut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? En vingt-cinq ans, notre île a bénéficié d’un milliard d’euros d’aides. Cela ne se trouve pas sous la fontaine du célèbre Manneken Pis ! Mieux vaudrait, comme le fait avec ténacité et efficience, Nanette Maupertuis, préparer l’avenir. La présidente de l’Agence du Tourisme, également chargée des affaires européennes, alerte régulièrement sur l’après 2020. À cette date en effet les subventions pourraient être sensiblement revues à la baisse dans certaines régions. Sans que l’on sache pour l’heure quel sera l’impact en Corse, il convient d’ores et déjà de mettre tout en œuvre pour anticiper cette éventualité et ainsi se prémunir d’un plausible épilogue regrettable.
L’insoumise de Bonifacio
Voilà finalement le véritable enjeu de l’élection, qui devrait transcender, dans notre landerneau plus qu’ailleurs, les idéologies et positionnements au demeurant légitimes. Mais plutôt que de verser dans des querelles d’Allemand, ne serait-il pas plus sage et pragmatique de s’interroger sur ces lendemains. Afin que contrairement au slogan ils ne déchantent pas ! Pour l’heure, cet avenir ne semble pas empêcher de dormir les candidats « nustrali » qui figurent sur les diverses listes. Certains sont fort connus et disons-le blanchis sous le harnais. D’autres offrent les visages de la jeunesse, sans doute en symbiose avec l’air du temps. Mais la surprise du chef vient de la désignation par Mélenchon de Manon Aubry, propulsée du haut de ses vingt-neuf ans à la tête de La France insoumise. Originaire de Bonifacio, elle possède dans cette ville de nombreuses attaches amicales et parentales. À commencer pas son cousin, le maire et conseiller territorial de la République en Marche. Un micro-duel à l’ombre des falaises ? Sans doute pas. Mais à l’évidence un sujet de curiosité qui mettra un peu de piquant sur les chemins insulaires des urnes, qui semble bien fade. Mais promis juré cette irruption n’entachera pas les bonnes relations entre eux. Même si la benjamine entraîne dans son sillage Nathalie Bourras, apicultrice dans la région. Et en incidence sa mère Catherine Poggi-Aubry.
Pas unis comme au front
Et revoilà François Alfonsi, neuvième sur le contingent écologique de Yannick Jadot, au nom des « Régions et Peuples solidaires ». Éligible ? Peut-être. Ancien député européen, le maire d’Osani connaît parfaitement le fonctionnement de l’institution. Investi par « Femu a Corsica », il pensait que tout serait une formalité dans l’univers nationaliste, dont il est une figure. Il n’en fut rien ! « Corsica Libera » dégaina la première. Avec les précautions sémantiques d’usage, elle indique ne pas avoir été sollicitée sur ce choix. Sur le fond, il est notamment question de vision européenne qui nie les peuples minoritaires et les nations sans état.
Comme en écho « U Partitu di a nazione », dont le choix s’était porté sur Roccu Garoby, enfonce le clou affirmant qu’en l’absence de concertation il met son veto. Bref, les deux formations appellent sans ambages leurs électorats respectifs à préférer la canne à pêche au bulletin de vote. Un nouveau petit coup de canif à l’union nationaliste ? Nullement disent main sur le cœur et dans une touchante unanimité les intéressés. Mais cela n’empêchera pas les esprits dubitatifs à dire dans une formule lapidaire : Se non è vero è ben trovatu.
Foin de philippique avec Michel Stefani. L’ancien conseiller territorial ne met pas son drapeau rouge dans sa poche. Il a accepté la cinquante-cinquième place que lui proposa Ian Brossat. Une présence en forme de témoignage et de fidélité à ses idées qui l’honorent. Contrairement à bien d’autres qui confondent militantisme et course à l’échalote. Nul doute n’est de mise, du côté de la place Saint-Nicolas il parlera social et précarité. Fustigeant avec vigueur cette Europe, qualifiée de libérale, ennemie des travailleurs.
Ce n’est pas un bel ami
Et les Républicains ? Laurent Wauquiez, qui peine se positionner entre Macron et Le Pen, sait que ce scrutin s’apparente à la dernière carte. Un échec signerait en interne la fin de son leadership. Aussi sort-il ce qu’il croit un atout maître : le sémillant Bellamy qui fait inconsciemment penser au roman de Maupassant. Et dans cette équipe, la vingt-sixième place est offerte à Livia Graziani-Sanciu, étudiante et responsable des jeunes républicains de Haute-Corse. Vous êtes trop bon monseigneur. Trop loin tempêtent ceux qui la connaissent et louent ses qualités politiques. D’autant que la droite insulaire, en quête de talents propices à sa reconstruction, aurait vu d’un bon œil une meilleure considération. La salve courroucée provint de Jean-Martin Mondoloni. Volontairement dépouillé de prudence dialectique le président de « Per l’avvene » assène « Chez les Républicains tu es femme, tu es corse ou d’outre-mer, tu es dernière… ou dernière. Livia mérite mieux que cette considération aussi inélégante que passéiste. » Comme louanges, on a connu mieux !
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