Venir sans rien dans les bagages après avoir joué l’Arlésienne eut été incongru. Faute de mieux, le chef du gouvernement réactive donc l’inscription de la Corse dans la constitution comme viatique au déplacement. Tout en sachant qu’aujourd’hui il ne dispose pas de majorité pour faire adopter le texte
Par Jean Poletti
Graver la Corse dans le marbre constitutionnel ? Rien de bien nouveau sous le soleil. L’annonce fut déjà faite à plusieurs reprises par le Chef de l’Etat. La dernière en date a Cozzano. Mais en faire son principal titre de séjour insulaire est sans doute pour Edouard Philippe un moyen privilégié d’éviter la morosité d’un déplacement. D’autant que cette réforme est pour l’heure au stade de vaine promesse. Elle est virtuelle. Et risque de le rester longtemps encore. Sans l’aval du congrès toute assertion relèvera de la vaine gesticulation. Et pour l’instant, par tactique ou conviction, la droite sénatoriale, ex-amie du locataire de Matignon, oppose son veto. Nœud gordien ? Comment le couper ? En coulisses se déroulent des tractations tendant à amadouer Gérard Larcher et ses amis. Mais ces derniers qui n’ont pas digéré les attaques frontales d’Emmanuel Macron veulent d’insignes garanties. Bref que la copie sur le cumul des mandats, l’encadrement du doit d’amendement, la réduction du nombre d’élus et autres sujets qui fâchent soient, sinon jetés aux orties, a tout le moins singulièrement amendés.
Le projet, déjà mis en parenthèse par le vaudeville Benalla, continue donc à se heurter à la grogne des « sages ». Mais il ne s’agit là que de l’aspect formel et pour tout dire règlementaire.
Terrain piégeux
Sur le fond cette mesure oscille entre indifférence de la population insulaire, une relative expectative de la classe politique traditionnelle et l’hostilité des nationalistes et évolutionnistes essentiellement classés à gauche. Ces mouvances qui aspirent à une autonomie de plein droit, crient à une proposition en solde. Et d’affirmer qu’en lieu et place du sur mesure Paris propose le prêt-à-porter, d’un nouvel habit strictement découpé, couturé et contrôlé. Rien sur la fiscalité du patrimoine, impasse concernant la spéculation immobilière. Bref pour reprendre une expression triviale une coquille vide. Et l’homme de la rue, dubitatif et pragmatique de se demander si cette nouveauté contribuera à résoudre ses problèmes quotidiens.
Quel que soit l’épilogue, le premier ministre sait qu’il avance en terrain accidenté. Sur les bords de la Seine comme chez nous. Sans doute perçoit-il qu’ici cette nouveauté mi- chèvre mi- choux n’enregistre aucun applaudissement nourri. Par ailleurs, Il sait pertinemment qu’avec l’hostilité de la haute assemblée l’affaire se corse davantage encore. D’où l’absence de calendrier du processus. Un flou artistique qui pourrait demeurer jusqu’au prochain scrutin sénatorial qui se déroulera dans quinze mois, et renouvellera la moitié de l’hémicycle. Sans doute avec le secret espoir que la représentativité du parti présidentiel soit beaucoup plus étoffée qu’il n’est actuellement. Compte d’apothicaire ? Spéculation sur l’avenir ?
Cadre restreint
A l’évidence, Emmanuel Macron a depuis plusieurs mois fixé les limites et donné sa feuille de route a la Garde des Sceaux chargée de présenter le document en conseil des ministres, avant qu’il ne soit vulgarisé par Jacqueline Gourault. Il sait par ailleurs les limites de l’exercice et reconnaissait en son temps que « le texte ne va pas aussi loin que certains l’auraient voulu ». Et d’ajouter en substance qu’il était, à ses yeux, le point d’équilibre entre le consensus national et les attentes des corses. Concrètement l’offre est restreinte, alliant de plausibles dérogations mais dans le cadre d’une loi organique.
On le voit, constitutionnalité ou pas, la démarche et la philosophie est radicalement différente des statuts dits Defferre et Joxe. A l’époque la finalité était éminemment politique, actuellement elle est juridique. Et telle que présentée ne fait que consacrer à maints égards le dispositif déjà opérationnel. Largement suffisant affirment certaines voix. Insipide rétorquent d’autres. Et d’autres se prêtant au jeu des augures d’inviter à clore ce chapitre sans autre forme de procès, car il restera lettre morte et ne passera pas l’obstacle de la majorité des trois cinquième de la représentation parlementaire qui devra se réunir à Versailles.
Visibilité réduite
En péroraison et pour fixer les esprits soulignons qu’ a l’issue de son récent discours de politique générale au Sénat, Edouard Philippe n’a recueilli que soixante et onze votes favorables, quatre-vingt-treize bulletins contre et cent quatre-vingt une absentions ! A la lueur de ce scrutin chacun voit clairement que même réitérée avec la force de la conviction sous le ciel estival de l’ile, la promesse faite aux insulaires par Edouard Philippe est encore ourlée des nuages de l’incertitude.
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