Les voitures flambent comme l’amadou. Incendiées par des mains anonymes. Triste record d’exactions détenu par la Haute-Corse, mais le sud, dans une moindre mesure, n’est pas épargné. Ces faits divers récurrents deviennent un véritable fait de société. Ils s’inscrivent dans une inquiétante dérive générale.
Par Jean Poletti
Il ne se passe pas un jour sans qu’un véhicule en stationnement soit la proie des flammes. L’allumette et la nuit complice permettent aux incendiaires d’agir en totale impunité. Au-delà de ces forfaits, qui sont à l’étroit dans la stricte statistique et de la comptabilité exhaustive, il convient sans doute de s’interroger sur les motivations. Ouvrir cette parenthèse équivaut à une douloureuse introspection sur une Corse trop souvent idéalisée, et que certains veulent encore croire épargnée par les affres de certaines banlieues hexagonales. Décillons les yeux. Portons un regard lucide sur ces pratiques qui dénotent à l’évidence une mutation sociétale. Deux cent quatre-vingt véhicules réduits en amas fumants en Haute-Corse en douze mois. Dont près de la moitié à Bastia. Même les communes environnantes ne furent nullement épargnées. Ajaccio, le Sartenais, et autres localités du sud connurent également leur part du feu. Sans omettre plusieurs villages, phénomène nouveau et signifiant, mieux que longs discours et silences gênés, la maléfique spirale qui happe une communauté. Faire de la psychologie de comptoir ou extrapoler plus que de raison n’est pas le style de la maison. Toutefois, rien ni personne ne peut décemment contester qu’il s’agit d’abord et avant tout de vengeances dévolues à assouvir des différents privés. Mais ces déprédations sont aussi le moyen privilégié d’intimider des socioprofessionnels. Et pourquoi le nier la phase initiale de rackets futurs. Certes dans le lot des adeptes patentés de ces coupables agissements, figurent vraisemblablement des pyromanes, en tant que tels malades. Voire sans doute des individus, happés par l’ennui et en quête de réjouissances. Sans doute trouvent-ils dans ces brasiers un remède à leur spleen existentiel.
Circulez, rien à voir
Qu’importe. Causes multiples. Constat unique. Depuis quelque temps du Cap à Bonifacio, avec un épicentre solidement instauré entre Lupino et Toga, notre île semble importer et s’approprier des techniques destructrices qui consument et altèrent ce qu’en terme générique on nomme le particularisme. Brandit tel un bouclier face aux méfaits d’ailleurs. Pulvérisée cette antienne. Au pilori ce discours lénifiant. Les faits sont là. Probants. Incontournables. On règle ses comptes avec du pétrole et un briquet. C’est comme là-bas, pourrait-on dire, en parodiant une publicité culinaire.
La police fait ce qu’elle peut. Et ce n’est pas lui faire injure d’affirmer qu’elle peut peu. Constatations d’usage, enquêtes sans lendemain. Circulez, y’a rien à voir. Les pompiers, sans cesse mobilisés sur ces sinistres, éteignent les dernières braises. En espérant que dans le même temps leur présence ne soit pas requise en d’autres lieux, parfois pour des urgences vitales.
Une « cellule » morte
Sempiternel recommencement ? Les autorités concernées affirment que les rondes de nuit seront multipliées. La belle affaire. Faut-il convoquer le passé pour rappeler que voilà quatre ans déjà un plan départemental de lutte avait été instauré en Haute-Corse ? Qu’à l’époque fut initiée une cellule dédiée à la cartographie des voitures calcinées ? L’enjeu ? Sérier les zones où devaient se porter les efforts de surveillance propice à l’interpellation des coupables. Peine perdue. Les ratés dans le moteur du dispositif se conclurent par une panne sèche des investigations. Roulez carrosses, des centaines de voitures passent de vie à trépas et l’on aligne leurs dépouilles dans quelque casse éternelle. Sans autre forme de procès.
Sans vouloir faire pleurer dans les chaumières, peut-on un instant imaginer le courroux d’un propriétaire qui a enfin achevé de payer son crédit et dont le bien part en fumée ? Certes il sera remboursé, si tant est qu’il ait une bonne couverture, mais au prix de l’argus. Pas suffisant fréquemment pour une nouvelle voiture. D’ailleurs tous les automobilistes ne sont pas atteints, mais nombreux seront touchés. Au portefeuille. Les primes d’assurance vont inévitablement augmenter dans ce « secteur à risques ».
Brûlante réalité
Étrangement, et toute proportion gardée, cela renvoie au slogan « A drogua No » lancé voilà trois décennies. La Corse ne pouvait qu’être épargnée par les paradis artificiels. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions. Aujourd’hui shit et cocaïne ont presque pignon sur rue. Stupéfiant ? Et les voitures ne sont pas près de brûler leurs derniers feux. Ainsi va la Corse, entre incantations propices aux propos d’estrade et la réalité qui la rattrape, à bas bruit ou en faisant des étincelles. Vous avez dit soyons lucides ?
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