Par Diana Saliceti
À flanc de coteaux et face au couchant, le vignoble de Patrimonio domine le golfe de Saint-Florent. Un royaume de vignes duquel sont extraites près d’1,8 million de bouteilles par an. Une quarantaine de vignerons font la renommée de cette appellation d’origine protégée et suivent le fil tissé par les générations précédentes. Un héritage dont certains jeunes producteurs s’emparent avec fougue. Alors que les vendanges touchent à leur fin, rencontre avec cette nouvelle génération de passionnés qui fait déjà couler beaucoup d’encre et de grands crus, des vins naturels élaborés avec le cœur et la tête !
Andemu à scopre vinaghjoli 2.0 appassiunati & scatenati ! Omi è donne di prima trinca chì facenu vini di sottu scala.
Il bruine. L’automne semble faire ses premières offensives sur le Nebbiu qui s’extirpe difficilement de la nuit. Le brouillard, qui a donné son nom à cette vallée, s’accroche encore un peu aux falaises de calcaire. Il est 6h30 et sur la plaine d’Oletta, les voitures sont déjà nombreuses. Entre deux véhicules de location qui filent vers la plage, un C15 remonte la vallée.
Julie Romanetti quitte la Cantina di Torra pour rejoindre son compagnon Nicolas Mariotti-Bindi, un des vignerons qui représente la nouvelle garde de l’appellation Patrimoniu. « Il y a huit vendangeurs à nos côtés qui forment une équipe de jeunes très sympathiques », explique Julie tandis qu’elle s’engage sur une piste en terre qui semble fendre la mer de coteaux verdoyants. « 16 hectares composent ce domaine qui n’est pas d’un seul tenant. » Et de préciser : « c’est une création totale, la moitié a été acquise, le reste est en fermage ». Nous arrivons sur la parcelle vendangée aujourd’hui : Mursaglia qui a donné son nom à une cuvée bien connue du jeune viticulteur d’origine bastiaise. Le premier millésime de cette vigne dont le cépage est un Niellucciu planté en 2009 date de 2012.
Les vendangeurs s’activent dans la clarté timide de l’aube. Le rythme est donné par le cisaillement des sécateurs dans les rangées où l’on entend le froissement des feuilles et les voix qui se mêlent. Le chenillard vient créer une nappe de fond avec à son bord Nicolas Mariotti-Bindi. Il avance lentement dans les rangées larges d’1,70 mètre et évolue au rythme des vendangeurs qui vident leur seau de raisin noir dans le palox — le grand box tracté par l’engin. « Lorsque nous avons planté, nous avons décidé d’accroitre la densité des vignes à l’hectare même si cela augmente la production à l’hectare et nous sort de l’appellation Patrimonio pour certaines parcelles », explique le vigneron. « Mursaglia c’est du 7 600 pieds à l’hectare. Lorsque les pieds sont plus proches les uns des autres, les racines descendent plus profondément et résistent notamment mieux à la sécheresse. »
Le club des quatre
Il est 6h45, le palox de Nicolas étant plein, Julie prend la relève avec un deuxième chenillard qu’ils viennent d’acquérir pour « effectuer un roulement et ne jamais perdre de temps ». La jeune femme qui est caviste de formation vient d’obtenir un BTS en viticulture et œnologie.Autour de nous aucun grillage ne clôture les vignes et des agriculteurs voisins évoluent à bord de divers engins. Pas de frontières imaginaires non plus entre les vignerons de la nouvelle génération : « Nous sommes énormément en contact avec les autres producteurs notamment les domaines Arena, Marfisi et Santamaria », souligne Nicolas Mariotti-Bindi qui a déjà échangé plusieurs messages avec ses confrères via leur groupe de conversation Messenger. Et avec le reste des vignerons insulaires ? « On représente 0,2% du vignoble français, on ne va pas se manger entre nous ! », sourit Nicolas. À quelques mètres de lui, Philippe réceptionne les palox débordant de raisins noirs pour les hisser au monte-charge sur le camion qui les mènera jusqu’à la cave. « J’ai rencontré Nicolas au sein de la cave d’Annette Leccia, j’y étais maître de chai, il y était chef de culture. Annette lui a permis de faire ses premières cuvées à son nom avant qu’il ne crée son propre domaine. »
De la génération spontanée à la vigne en héritage
Très vite, les deux hommes font la paire et c’est aujourd’hui en qualité de bras droit et plus exactement de directeur-adjoint que Philippe officie à la Cantina di Torra. « Ce que j’aime chez Nicolas, c’est qu’il s’engage, il va au combat, il est très rock tout en étant très organisé. Et surtout, il a un goût prononcé pour la transmission. » Des valeurs et des qualités qui font écho à son parcours. Il a fallu en effet beaucoup de foi, de force mais aussi d’appui à ce jeune Bastiais, sans foncier dans le Nebbiu, pour se lancer dans l’aventure du vin. Or, Nicolas Mariotti-Bindi a su placer très rapidement ses cuvées en très bonne place dans les calepins des connaisseurs les plus avertis comme le sommelier de Ducasse en 2007.
On quitte les vignes d’A Cantina di Torra et son épopée viticole pour rejoindre les terrains des Marfisi sur la route de Farinole. C’est sur quatorze hectares et demi de terrains familiaux que Mathieu Marfisi veille au grain. Lui « plutôt dans les vignes et sa sœur à la cave ! ». Quant au père, Toussaint, dans les coteaux depuis l’âge de dix-sept ans, c’est sur le chenillard qu’il se trouve lorsque nous arrivons en ce milieu de matinée sur la parcelle en cours de vendange. « Ma fille était en fac à Nice, Mathieu était ingénieur des mines avant de travailler dans les finances à Paris. Ils ont tout quitté l’un après l’autre pour nous rejoindre, on a bu le champagne avec ma femme : nous étions sauvés ! »Mathieu Marfisi et sa sœur Julie vont insuffler une nouvelle dynamique :« On a replanté 50% du domaine familial depuis notre arrivée avec notamment de vieux cépages comme le Minustellu, le Carcajolu ou encore le Rimenese. Nous travaillons en bio en laissant nos sols enherbés et en utilisant le moins de produits œnologiques possible lors de la vinification. »
Il est 10 heures, le soleil est maintenant haut dans le ciel qui s’est bien dégagé et c’est la mer que les vendangeurs peuvent admirer lorsqu’ils se relèvent entre deux coups d’épinette, leur petit sécateur de vendanges. Ici, les coteaux à flanc de collines et les rangées montent à la verticale rendant l’évolution du chenillard impressionnante tant la pente est forte.
« C’est clairement une année à record »
« Jusque dans les années 50, nous utilisions, à la place du chenillard, un bœuf que nous allions faire marcher dans le sable pour qu’il se muscle », témoigne le patriarche Marfisi. Mathieu pense retenter l’expérience de la traction animale au moins sur des petites parcelles, ne serait-ce que« pour garder le geste ».Si leur père les a élevés dans l’amour du travail de la vigne, il a quand même fallu à Julie et Thomas obtenir des diplômes agricoles : un BPREA pour la première et un BTS viticulture-œnologie au sein du domaine Gaffory pour le second. Mathieu Marfisi vient de recevoir un message sur son portable via le groupe de discussion Arena-Santamaria-Marfisi-Mariotti : « Nous échangeons des dizaines de photos par jour autour de notre activité. L’état du raisin, la météo,… Par exemple, si je constate la présence du mildiou alors que j’ai la vigne la plus à l’ouest et bien je préviens les autres afin qu’ils prévoient le traitement en amont. »La situation des vignes Marfisi est telle que ce sont les premières à débourrer au mois de mars. Il faut comprendre le moment auquel les bourgeons des ceps de vigne s’ouvrent. « Et puis vu que nous sommes tous en bio, on se donne des conseils car dans ce domaine il n’y a pas de curatif, l’échange est donc essentiel ! »
Cette année, les astres semblent alignés pour donner un bon millésime, en attestent les paroles de Mathieu Marfisi: « c’est clairement une année à record. Nous avons eu les conditions météorologiques idéales pour la vigne. On a eu de l’eau de mi-avril à fin mai puis un bon ensoleillement avec un temps sec et enfin, quelques grosses averses au cours de l’été qui ont permis de gonfler le raisin ».Il est vrai que les grappes de raisin que sont en train de manipuler Momo (« appelé Tony par les amis ») et Michel sont très belles. Ces deux vendangeurs qui travaillent dans les vignes Marfisi depuis quatre semaines évoluent à la même cadence d’une part et d’autre de l’allée. « Nous devons marcher ensemble ! », explique Momo. « Pensava di perde appena di panza ma mancu !, sourit Michel. « Mais ça permet au moins de mettre un peu de beurre dans les épinards. » Le chenillard a son box de raisin plein à ras bord, Marfisi père va transvaser les fruits dans le tracteur qui permettra de rejoindre la cave.
« Des vins totalement barrés »
Il est temps pour nous de rejoindre Nicolas Mariotti-Bindi et Julie Romanetti qui viennent de finir leur vendange du matin, les après-midis sont consacrés au travail dans les caves. Cependant, une pause s’impose entre les deux et nous voici à leur table avec une partie de leur équipe. On comprend, à la vue des différents mets de la table, que vigneron est aussi synonyme d’esthète, d’épicurien, mieux : d’élu ! Le repas du midi est composé de produits du jardin, de tatin d’aubergines, de quelques bons crus que l’on déguste à l’aveugle, le tout assaisonné d’une grande convivialité.
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