Le monde révolté
La révolte gronde aux quatre coins de la planète. À Hong Kong, à Paris, à Santiago, à Beyrouth. Une vague de protestations agite les démocraties comme les régimes autoritaires. Si ces mouvements populaires se distinguent par leur origine, ils ont un même mot d’ordre, celui d’appeler à dégager les gouvernants. Au-delà, ils ont de nombreux points communs : leurs méthodes de mobilisation, leur usage des réseaux sociaux, leur rejet des élites et des puissants.
Par Vincent de Bernardi
Comme les Gilets jaunes en France, ces soulèvements n’ont pas de leaders auto-proclamés. Ils ne se réclament pas d’une idéologie. Et pourtant, ils se font écho d’un pays à l’autre, créant une sorte d’internationale informelle de la protestation dénonçant les inégalités croissantes, appelant à un changement de système, sans bien savoir vers quoi se diriger.
Un récent éditorial du journal Le Monde soulignait que ces révoltes dénonçaient un « capitalisme de connivence » fait de collusion entre élites politiques et économiques. Un capitalisme qui a réduit les impôts des plus riches et augmenté ceux des plus pauvres. C’est, au fond, une forme sophistiquée du clientélisme ou du clanisme. « Que vaut la réussite scolaire ou un diplôme si une connexion politique suffit à trouver un emploi ? Pourquoi créer son entreprise si des concurrents peuvent user de leur influence politique pour remporter des contrats ? » L’économiste Branko Milanović distingue deux formes de capitalisme de connivence : « Dans certains pays, le pouvoir économique est devenu le tremplin du pouvoir politique, comme aux États-Unis, où les campagnes électorales sont financées par les 1%, voire les 0,1% les plus riches, et dans d’autres pays comme en Chine ou au Liban, c’est la proximité avec le pouvoir politique qui crée une situation de rente économique. »
Ces révoltes remettent en cause un système, soit parce qu’il promeut des politiques économiques jugées intolérables ou inefficaces, soit pas qu’il abuse de son autorité.
Politique contre social
Dans tous les cas, c’est une hégémonie qui est contestée. Bertrand Badie, professeur à Sciences Po y voit un acte 2 de la mondialisation. L’acte Ier qui s’est développé après la chute du mur de Berlin, faisant de la mondialisation le synonyme du néolibéralisme, concevant la construction du monde par le marché et marginalisant aussi bien le politique que le social. Dans l’acte 2, la mondialisation est vécue, selon Badie, comme une dépossession. Le centre se sent concurrencé par la périphérie avec qui il faut désormais compter. Dès lors apparaissent la peur du migrant, la peur de la libéralisation des échanges, et du déclassement. « Il y a ce ressenti que les périphéries viennent nous “envahir” et nous priver d’un certain nombre d’avantages et de privilèges », précise Bertrand Badie.
Pour lui, les mouvements de contestation prennent racines dans cet acte 2 de la mondialisation et sont traversés par les mêmes symptômes. Celui de l’inclusion d’abord. Quasiment aucun peuple ne peut rester en dehors de la scène mondiale. Celui de l’interdépendance ensuite, chacun se renforce des pratiques et des expériences des autres. Enfin celui de la mobilité des rapports entre sociétés. Alors que pendant des siècles, l’histoire s’est faite de coopérations et de rivalités entre États-nations, ce sont les peuples qui sont désormais en train de l’écrire, souligne Bertrand Badie. De plus en plus, le politique est instable, incertain, et le social est doté des capacités les plus fortes. « Dans le nouveau face-à-face entre le politique et le social, ce dernier l’emporte largement : l’Iran est plus sérieusement défiée en Irak par les manifestations populaires que par la diplomatie américaine », écrit-il.
Mépris du peuple
À chaque fois, ce sont des décisions économiques relativement mineures comme l’augmentation de taxes sur les carburants ou du ticket de métro qui allument la mèche. Pour le philosophe Jean-Claude Monod, ces actes sont l’abus de trop, un signe de mépris du peuple. Il rappelle les similitudes avec les révoltes du passé. « Aux xve et xvie siècles, c’est la corruption de l’Église et de ses représentants qui provoquait des indignations populaires, tournant parfois en « guerres des pauvres ». Du Moyen Âge au xviiie siècle, des révoltes visaient les taxes ou impôts réclamés par des princes. Désormais, on dénonce la collusion et la compromission accusées d’être la source de toutes les injustices. La voie de sortie est étroite pour ces peuples révoltés. Certains risquent de tomber dans les pièges du nationalisme, d’autres réinventeront la démocratie.
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