Cap sur l’avenir au cœur de l’île et de l’innovation
Par Diana Saliceti
Avenir, jeunesse, innovation, autant de mots qui constituent le crédo de l’Université de Corse. Au Palazzu, situé au pied de la citadelle de Corte, une solide passerelle entre le monde universitaire et la société insulaire est élaborée au quotidien. Plusieurs services dont la Fondation de l’Université, le Fab Lab et le pôle Pépite se consacrent à la formation et à la mise en réseau dans les domaines du numérique, du design et de l’entreprenariat. Mais pas que…
Un bagnu di sapienza, d’amparera è di spartera à prò di u sviluppu persunnale è generale ! Franchemu a porta di stu mondu arradicatu à eri per custruì un dumane di divizia è di libertà. Apertu à tutti, Paroles de Corse speru davvi u laziu d’andà ci !
Il pleut sur Corte en ce début de journée et on en deviendrait presque morose. Pas pour longtemps. Dans la citadelle, les rues pavées vernies par la pluie forment un dédale médiéval charmant. Et si nous étions au xviiie ? Peu d’éléments nous inscrivent en effet au présent si ce n’est les quelques voitures garées devant le Palazzu naziunale en ce matin d’hiver. Si la machine à remonter le temps n’existe pas, celle à entrevoir demain nous aspire tandis que nous franchissons une lourde porte taillée dans les murs de l’enceinte de la citadelle. Nous pénétrons dans le sacro-saint de l’innovation insulaire, le temple des idées qui fusent et surtout qui prennent corps.
Lana, petra è legnu
Nous voici dans un des nouveaux espaces du Fab Lab Corti, cet atelier de fabrication et lieu d’échanges de compétences, dirigée par Vannina Bernard-Leoni. Après l’acquisition de nouvelles machines comme par exemple celles permettant de compresser la laine ou de tailler la pierre grâce aux jets d’eau, le Fab Lab installé au même titre que la Fondation de l’Université de Corse au Palazzu, étend son territoire sur d’autres espaces. « Nous avons récupéré ce lieu auprès du Département d’Archéologie de l’Université, ici les machines du Fab Lab nouvellement installées vont permettre de travailler la laine, la pierre et le bois, explique la directrice. Lana, petra è legnu, eccu i nomi dati dunque à issi spazii novi di creazione. Una sala di mostra ingir’à e materie lucale hè prevista dinù. »Autour de l’imposante fraiseuse numérique, s’activent Mathilde, Jean-François et Emeline. Les deux premiers sont salariés du Fab Lab et forment notamment les usagers à la maîtrise des machines, de l’imprimante 3D à la découpe-laser.
« A Fabbrica Design »
Emeline Lavocat, quant à elle, est la lauréate de la résidence de design « A Fabbrica Design », qui valorise chaque année un matériau local. Cette diplômée de l’École supérieure d’art de design de Reims, qui se définit elle-même comme un « designer en itinérance », est donc en résidence au Palazzu pendant quatre mois pour travailler le cuir bringé de la vache-tigre élevée par Jacques Abbatucci. En fin de résidence, la jeune créatrice donnera une exposition de restitution. « Je voudrais notamment créer, grâce à cette fraiseuse, des contreformes afin de modeler le cuir »,explique cette dernière. Voyant les mines non rassurées des deux jeunes femmes devant la fraiseuse numérique qui sert à usiner et découper divers matériaux, Jean-François Andreani plaisante : « C’est plus dangereux de conduire une voiture ! Allez, on va allumer l’ordi, bouton rouge… bouton bleu… on recale la machine dans son mode initial… on déplace le bras. » La manipulation semble complexe pour le non-initié. « Je suis là pour qu’on ne se fasse pas mal tout en évitant également de faire mal à la machine car elle est précieuse »,souligne l’encadrant. Il faut compter une demi-journée à un jour de formation pour dompter chaque « bête » ultra sophistiquée du Fab Lab. Des modules de formations sont d’ailleurs ouverts gratuitement et à tous chaque samedi.
Culori di terre corse
Peu avant midi, nous voici dans le bureau de Graziella Luisi, directrice de la Fundazione (¤voir son itw en dernière page du dossier). Les missions de la Fondation sont aussi nombreuses que subtiles et variées. « Le Palazzu est le siège et le laboratoire de la Fundazione. Trois pôles coexistent ; la fondation et ses différents programmes d’intervention autour de l’innovation et entrepreneuriat, la mobilité internationale et les transferts de savoirs, le pôle innovation et développement avec son Fab Lab et enfin le pôle Pépite avec l’accompagnement des jeunes entrepreneurs », énumère la responsable dont le bureau regorge d’objets pensés et créés entre ces murs et estampillés de la marque Fabbrica design. « Voici par exemple, le produit issu de la résidence de design de l’année dernière attribuée à Pauline Avrillon, il s’agit de boîtes de pastels secs réalisés à partir des terres insulaires collectées. » Que l’on soit artiste ou pas, le produit donne envie de repartir avec ; comme un trésor. Il s’agit de boîtes de cinq pastels dont chaque couleur porte le nom du lieu où a été extraite la terre, Campo Dell’Oro, Carbuccia ou encore Tallone… Le tout disposé dans un joli écrin en hêtre de Vizzavona produit par un menuisier de la région. 1 500 pastels sont ainsi sortis du laboratoire de Fabbrica design.
Vectoriser des poissons
14h30 au Fab Lab, des enfants ont investi les lieux. Sophie, entrepreneuse inscrite au pôle Pépite pour un projet d’entreprise autour de la consigne du verre, encadre un des groupes venus de l’école Sandreschi. La manœuvre auprès de ce jeune public ? « Vectoriser des poissons ». En langage de néophytes, il s’agit de créer un fichier numérique à partir du dessin des enfants et ce afin de les imprimer en 3D ou de les graver par la suite. « Nous allons encadrer cette classe pendant quatre séances », annonce Sophie qui captive les enfants à chaque mot prononcé. Nous proposons également des ateliers destinés aux plus jeunes lors des vacances scolaires ainsi que des animations parents-enfants tous les samedis ! Ce week-end, nous fabriquerons par exemple des nichoirs à oiseaux ». Pendant que les écoliers explorent le Fab Lab, au deuxième étage dédié à la Fundazione, Emeline est en réunion avec Graziella et Jean-Joseph Albertini, enseignant en arts, afin de faire un point sur son début de résidence autour du cuir. La designeuse a un budget alloué afin de mener à bien sa mission. Au cours de l’heure du rendez-vous, les trois participants arrivent à résoudre les différentes problématiques soulevées par la lauréate notamment l’approvisionnement en matière première pour les nombreux essais.
Open spaziu
Retour au RDC, étage du Fab Lab, où Mathilde Ménager, l’une des Fab manager, travaille à son bureau. Formée à l’artisanat d’art notamment à l’École Boule ou encore au design produit industriel, elle considère ce lieu qu’elle a intégré il y a peu, comme une belle opportunité de mise en pratique. « Lors de mes études réalisées sur le continent faute de filières dans mon domaine ici (si ce n’est la licence arts plastiques), j’avais peu de rapport direct à la matière, nous faisions majoritairement de la 3D », relate la jeune employée. Tandis qu’au Fab Lab, tout le monde peut pratiquer, il s’agit d’un partage permanent de connaissances, on s’enrichit les uns les autres grâce à une émulation réelle. » Car en effet, dans ce lieu aux murs recouverts de matériaux et de prototypes en tout genre, point de cloisons, peu de pièces compartimentent ce vaste espace avec au cœur d’entre elles : l’open space. Tout cela donnant un vrai sentiment de circulation des idées autour de l’espace central.
« Des salles de réunion permettent également à des entreprises ayant des pôles à Ajaccio et Bastia de se réunir ici », poursuit Mathilde. Justement l’Ordre des architectes est en pleine réunion actuellement avec six participants venus des quatre coins de l’île. Son président Sébastien Celeri est un fidèle des lieux « Entre le Fab Lab et l’Ordre des architectes, c’est un partenariat historique ! » Tandis que la réunion de l’Ordre commence, Vannina Bernard-Leoni revient de rendez-vous sur la région bastiaise avec de nouveaux partenariats et autres projets en poche. « J’ai notamment rencontré ce matin à Bastia, les animateurs d’un des neuf Réa Lab que compte la France. Cet espace et son animateur permet aux ergothérapeutes de créer, via une imprimante 3D, des objets sur mesure pour leurs patients »,rapporte la directrice du Fab Lab et du Pôle innovation et développement.
Manu è cerbellu
Autre rendez-vous bastiais du matin pour Vannina : une rencontre avec le coutelier Jean-Dominique Susini qui participera au prochain Workshop du Fab Lab dans la série des « Manu è cerbellu ». « Une courte résidence permettant de faire collaborer un artisan et un designer autour d’un savoir-faire », explique Vannina. Un appel à candidatures vient d’être lancé afin de trouver le designer. »
Trois axes composent l’orientation générale du Fab Lab. « Le côté tiers-lieu avec un espace de vie qui mélange les publics et les générations, le côté valorisation des matériaux et des savoir-faire locaux et enfin l’aspect contenu numérique avec les modélisations, les nouveaux objets ainsi que les jeux vidéos et autres films d’animation »,énumère la directrice qui confirme, si on en doutait encore, que le Palazzu regorge de perspectives pour tous ! À quelques mètres de là, Alexandra Pagni, chargée de mission entrepreneuriat, s’entretient avec deux membres de la vie scolaire de l’Université. L’ordre du jour ? Une journée workshop de l’Università di Corsica autour de l’avènement d’un éco-campus qui améliorerait le quotidien des étudiants. « Brainstorming, icebreaking, think tank »… autant de mots empruntés à la langue anglaise pour évoquer à quel point il est important de partager dans ce lieu qui croit à la force du collectif.
Mina d’oru
Alexandra Pagni replonge dans l’écran de son ordinateur car cet après-midi elle doit s’occuper des commandes de fournitures pour le Fab Lab qui organise une manifestation autour de l’animation numérique « le Pixel week-end » mais elle doit aussi s’entretenir avec les services du ministère de l’Éducation au sujet de certains financements. « Il y a 31 pôles Pépite sur l’ensemble du territoire national »,informe Alexandra. Nous sommes en lien direct avec le ministère qui nous prête une oreille très attentive. » En cinq ans, ce sont pas moins de 150 entreprises qui ont été créées grâce au soutien du Pôle. « Lorsque nos étudiants arrivent à fonder une belle entreprise et qu’ils en vivent, je me dis que nous n’avons pas fait tout cela pour rien. »Le prochain défi d’Alexandra est le Challenge Innovation, un rendez-vous annuel organisé par la Fundazione qui est prévu à la fin du mois de mars à la Bibliothèque Universitaire : « pendant trois jours et deux nuits, vingt équipes s’affrontent pour présenter le projet le plus innovant ». La responsable l’avoue volontiers : « Ici, nous n’avons pas trop de limites. » Au centre de l’espace coworking, Eline, 22 ans, pianote sur son ordi dans un silence inspirant. Formée aux métiers du design numérique, cette jeune femme est community manageuse et créatrice de contenus visuels pour les entreprises. « J’ai monté ma boîte en étant accompagnée par le pôle Pépite, cela m’a énormément aidée à me lancer ! »,affirme la jeune cheffe d’entreprise qui collabore depuis peu avec ses premiers clients.
Il est déjà 18h30, le Fab Lab va bientôt fermer ses portes.
Au moment de quitter ce lieu dédié à l’audace et à l’imagination, une envie nous taraude, celle de revenir très vite et de relever un des nombreux défis lancés en ces murs, pas vous?
L’article complet est à retrouver dans Paroles de Corse #85 du mois de février en vente ici
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