Une loi pour ne pas oublier
L’Assemblée nationale a voté le 13 février dernier une proposition de loi en faveur d’une journée sans match de football le 5 mai en hommage aux victimes du drame de Furiani. La sacralisation d’une date ou l’aboutissement d’un combat de 28 ans.
Pae Caroline Ettori
Pour 85. Contre 1. Il aura fallu que le politique tranche. Sans aucune ambiguïté. Initiée par le député « Libertés et Territoires » de Haute-Corse Michel Castellani et soutenue par le gouvernement, la proposition de loi sur le gel des matchs professionnels le 5 mai a finalement été adoptée par l’Assemblée nationale. « Enfin » diront certains qui y voient l’aboutissement d’un combat pour la mémoire des victimes, 19 morts et plus de 2 300 blessés.
Présente au Palais Bourbon lors du vote, Josepha Guidicelli, présidente du Collectif des victimes du 5 mai 1992 revient sur cette lutte de près de 30 ans avec ses hauts et ses bas. « Le combat a été long mais quel soulagement. Au lendemain de la catastrophe, le président François Mitterrand avait assuré qu’il n’y aurait plus de match le 5 mai. Le collectif comptait alors sur la parole donnée et se préoccupait plus du procès. Or, à partir des années 2000, de nombreux matchs ont commencé à se jouer à la date anniversaire, et c’est pour ça que le collectif s’est reformé. Pour demander que ce ne soit plus le cas. » En 2012, c’est une finale de Coupe de France programmée le 5 mai qui provoquera l’indignation de tous. Vingt ans jour pour jour après la tragédie. « Là, je me suis dit que ce n’était plus possible. Nous parlons quand même de la plus grande tragédie du sport français. J’étais encore au collège et je décide d’écrire aux instances du football, fédération et ligue. Des courriers restés sans réponse. Je me tourne alors vers la ministre des Sports de l’époque, Chantal Jouanno qui demandera au président de la FFF, Noël Le Graët, de reporter la finale. » Déraisonnablement, la ligue y voit l’opportunité de maintenir sa journée de championnat de L1. « Nous étions face à un mur. C’est là qu’est née l’idée de la pétition. » Le collectif obtiendra 40 000 signatures en deux semaines. Parmi les soutiens, des sportifs comme Didier Deschamps ou Jean-Pierre Papin, des dirigeants de clubs, des supporters et beaucoup d’autres, mobilisés derrière un slogan, des banderoles et plus récemment un hashtag : pas de match le 5 mai.
« Il a fallu de l’acharnement mais nous n’avons rien lâché malgré les polémiques. Nous devions sensibiliser les gens, toucher le plus de monde possible alors que nous-mêmes n’étions pas entendus par les instances du football qui ont oublié Furiani. »
Un devoir de mémoire
Lui se souvient de tout. « Du temps, de comment j’étais habillé, de la tribune, de la foule, de l’effervescence. » De la chute aussi. François Caffarel est un ancien joueur du SCB investi aujourd’hui dans la vie du club au sein de son conseil d’administration. Il avait 17 ans lorsqu’il est tombé avec une grande partie de ses coéquipiers du centre de formation. « Je sais que j’ai eu beaucoup de chance par rapport aux autres victimes. Mais la sensation, le mouvement d’affaissement, une seconde qui dure trop longtemps. Tout ça est bien gravé dans mon esprit. En bas, je suis assis sur mon siège, calme. Une personne est sur moi, j’aide une jeune fille bloquée à se relever. Je descends les gravats et là, je me retrouve en face de mon père. Un peu plus tôt, il avait interdit à mon jeune frère de m’accompagner dans la tribune. Je comprends que tout le monde nous a vus tomber. Je n’ai alors qu’une obsession, rejoindre ma mère pour la rassurer. » Alors bien sûr que chaque anniversaire est important. « Le collectif a effectué un travail formidable pour les victimes et leur famille. Il a joué un rôle décisif en maintenant la pression toutes ces années. »
« Il fallait beaucoup de courage pour se battre durant de si longues années. On ne peut que féliciter le collectif d’avoir mené ce combat. » Avec sobriété, le président du Sporting Club de Bastia, Claude Ferrandi rend hommage aux membres du collectif. « C’est une véritable satisfaction que ces personnes qui se sont battues avec une telle énergie obtiennent enfin gain de cause. Nous les soutenons dans leur démarche et nous sommes heureux de cette avancée. »
Porter les valeurs du sport
Une avancée. Le mot est juste et le chemin encore long. Après l’Assemblée nationale, les sénateurs devront se prononcer sur la proposition de loi de Michel Castellani. « Je regrette que les instances du football n’aient pas voulu nous entendre. Ils n’ont pas pris leur responsabilité, le gouvernement l’a fait. » Depuis 10 ans, Josepha Guidicelli a eu l’occasion de rencontrer tous les ministres des Sports qui se sont succédé. Roxana Maracineanu aura été la seule à réunir toutes les parties autour d’une table. Chacune plaidant sa cause. « Cette rencontre lui a permis de comprendre pourquoi la sacralisation était primordiale pour nous. Face à cela, la FFF et la Ligue ont simplement opposé des contraintes d’organisation, de calendrier. Pour nous, ce n’est pas audible. Les mêmes sont capables de s’adapter quand il s’agit de météo ou de blocage dû aux gilets jaunes. » Il est certain que le monde du football n’en sort pas grandi. « Cette tragédie n’a pas touché qu’un club », rappelle François Caffarel. « Elle a touché toute la Corse et au-delà. » C’est peut-être justement pour cette raison que Josepha n’est pas prête d’arrêter le travail du collectif. « Je me suis battue avec mes tripes. C’était fatigant physiquement et psychologiquement et je suis soulagée d’être sortie de cette logique d’affrontement. Aujourd’hui, j’ai un poids en moins, je suis apaisée. Pour autant, le collectif continuera à organiser des journées d’étude, à collaborer avec la ligue corse de football pour porter les valeurs du sport. L’essentiel est là. » Cette année, même si la loi n’est pas encore en vigueur, il n’y aura pas de match le 5 mai. Non pas que les instances veuillent respecter l’esprit de la loi plus que leur cher calendrier. Cette année, le 5 mai est un mardi.
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