Pierre Savelli
« Il ne sert à rien de dire nous avons fait de notre mieux, il faut réussir à faire ce qui est nécessaire », cette citation de Winston Churchill, personnalité politique qu’il affectionne, pourrait à elle seule résumer le parcours et la personnalité de Pierre Savelli, fraîchement réélu maire de Bastia en juin dernier.
Il a une mémoire infaillible des dates, des rencontres, des événements qui ont jalonné sa vie et une passion sans faille pour l’humain. Il aime le rock, la nuit, les balades en montagne, les discussions qui n’en finissent plus, mais se qualifie lui-même de protestant franciscain quand il s’agit de la « chose politique » au sens grec du terme.
Mais au-delà du personnage politique, que le monde médiatique corse n’a de cesse de décrire, commenter, analyser, j’ai eu envie de rencontrer l’homme, en privé, dans son fief de Venaco, au cours d’une après-midi chaleureuse d’un mois d’août étouffant.
Parlez-nous de vous, de votre engagement, de votre parcours.
J’ai passé une enfance bastiaise et vénacaise des plus heureuses. J’ai eu mon bac scientifique en redoublant ma terminale… j’ai toujours pris mon temps… (sourire). Je suis parti en fac à Marseille suivre des études de kinésithérapie. Un cursus classique d’étudiant corse, sur le continent où nous nous retrouvions tous, issus de cette génération du riacquistu. En 1984, je rentre sur l’île, fraîchement diplômé et je m’installe à Aleria. L’expérience est brève, et en 1986, je crée mon cabinet à Bastia.
Mon engagement militant nationaliste date des années 80. Très vite, je suis persuadé que la voix démocratique est la seule issue. Cette vision atypique à l’époque ne m’a jamais quitté ; je suis donc un peu marginalisé, solitaire, je n’adhère à aucun parti. La voix démocratique est un long chemin. Une élection est de prouver que l’on a sa place. La violence, la scission des mouvements, ces années de plomb ont été pour moi, un véritable traumatisme, une sensation d’impuissance. L’assassinat de Claude Érignac a été un électrochoc. Aujourd’hui, j’ai la confirmation que j’ai raison : la vie d’un homme ne vaut pas d’être sacrifiée.
Les années qui suivent ont été riches en expériences électorales, même si les résultats ne sont pas au rendez-vous. Je suis en phase avec mes convictions.
En 2014, avec la victoire de Gilles Simeoni, à la mairie de Bastia, c’est enfin la consécration. Je me retrouve adjoint, à la tête de la délégation de la police municipale avec en charge, en autre du stationnement. J’ai l’impression à ce poste, d’enfiler l’uniforme d’un « officier nazi » (rire). Mais, je reste persuadé que le cadre profite à tous.
En 2015, Gilles Simeoni est à la tête de la liste « Femu a Corsica » pour les élections régionales. En juillet, il me dit au détour d’une conversation « On va gagner et tu seras maire. » Puis, plus rien.
Le 23 décembre 2015, date de la victoire historique des nationalistes, à l’assemblée de Corse, le choix de Gilles se confirme. Je me dis : « C’est trop gros pour moi, mais si quelqu’un peut le faire, je peux le faire. » Ce fut un grand moment pour un amoureux de sa ville, un militant.
En juin dernier, j’ai été reconduit dans ma fonction, après une campagne très particulière. C’est une grande fierté.
Comment percevez-vous votre fonction ?
Le cabinet, c’est un lieu clos, dur, féroce. Les décisions doivent être prises sans ambiguïté et l’administration doit suivre. Ma force, c’est mon militantisme, mes convictions profondes. Je sais d’où je viens et je sais où je veux aller. Ces dernières années, j’ai l’impression que je me suis émancipé, que la chrysalide que j’étais dans son cocon s’est transformée en papillon. Il faut juste que je continue à voler (sourire).
Aujourd’hui, j’ai pu mettre en place une équipe qui me ressemble, plus efficace, mieux armée, dynamique, jeune et en phase avec la vision que j’ai de la gestion et du développement de la ville de Bastia.
On peut changer le destin d’une ville, de ses habitants. Il faut passer au-delà des critiques du moment et savoir s’installer dans l’avenir.
La fonction de maire au sens « vip » du terme ne m’intéresse pas, ce sont les choses que l’on peut faire pour les hommes qui est essentiel.
Sans rentrer dans un programme politique complexe, quels sont les axes sur lesquels vous ne dérogerez pas ?
La mixité, l’intégration des minorités, la densification des quartiers sont les piliers de mon engagement. Une ville modèle ne doit pas trahir ses fondamentaux. Il ne faut pas sacrifier la terre au profit de spéculations humaines et financières. La terre est notre richesse, notre espace vital. Il faut savoir la protéger et la faire fructifier.
Je compare souvent les quartiers de Bastia à des villages et un village sert à élever nos enfants. La politique de la ville doit s’appuyer sur cette richesse, elle doit pouvoir créer une relation de respect entre ses habitants et diminuer les difficultés sociales. Aujourd’hui 10 000 personnes à Bastia vivent sous le seuil de la pauvreté, il faut réduire cette fracture. Les Bastiais sont rebelles, ils pratiquent souvent l’autodérision face à leur souffrance, mais la solidarité, l’ouverture vers l’autre, le lien social sont des valeurs ancrées dans leur intimité.
La jeunesse bastiaise a démontré pendant la campagne qu’elle pouvait s’investir, qu’elle était attachée à sa ville. Moi-même j’ai été surpris par tant de ferveur autour du projet que je défendais. Cette jeunesse, c’est notre richesse, notre dynamisme, il faut la mettre en valeur. Ce lien intergénérationnel, c’est l’ouverture sur le reste du monde.
Quelle serait votre Corse idéale ?
Ma Corse idéale serait une Corse débarrassée de tous ses freins, et que nous croyions tous fermement que nous habitons un pays incroyable. Ma Corse idéale devrait s’inspirer du Bastia d’aujourd’hui et de demain… (sourire).
Il faut libérer la parole, aborder sans tabou les sujets sociétaux. La construction d’un pays, d’un peuple, ne doit pas s’enfermer dans une idéologie quelle qu’elle soit mais se retrouver autour d’un projet commun. On doit tous, pouvoir travailler autour de valeurs qui nous rassemblent. Cette synergie doit rayonner au-delà même de nos frontières naturelles. Ce pays modèle doit pouvoir exister, personnellement moi j’y crois.
Qu’est-ce qui vous anime Pierre Savelli ?
J’ai la passion de l’humain, j’aime discuter, convaincre, j’ai le souci du détail. J’aimerais parfois être plus léger.
Quelle est votre plus grande fierté ?
Ma fille est ma plus grande fierté, elle ressemble à ce que j’ai pu imaginer, fière, équilibrée, respectueuse, ouverte sur les autres.
Avez-vous des regrets ?
J’ai toujours fait ce que j’ai voulu, mais si j’ai un regret, ce serait celui d’avoir blessé quelqu’un sans le vouloir, de pouvoir imaginer que j’ai pu lui manquer de respect.
Votre devise ?
Tu peux toujours t’opposer à des choses qui ne te conviennent pas, mais comme le disait Winston Churchill, dans un célèbre discours en 1940 « We shall never surrender », nous ne nous rendrons jamais.
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