La crise a remis la lumière sur la question de la souveraineté économique et convertit les plus rétifs à cette volonté d’indépendance. Elle redevient l’objet de toute l’attention des experts, des responsables politiques de tout bord. Tous souverainistes ! pourrait-on dire, même si de Donald Trump à Jean-Luc Mélenchon, il y a des nuances !
Par Vincent de Bernardi
« Le souverain, c’est celui qui fait et casse les lois », écrivait Jean Bodin dans Les Six Livres de la République en 1576. Celui qui influença l’histoire intellectuelle de l’Europe par ses principes de bon gouvernement a fait des émules. On ne compte plus les recours et les appels à la notion de « souveraineté », de la gauche à la droite, des libéraux aux antilibéraux, des conservateurs aux progressistes.
Et l’Europe, presque « d’un seul homme », s’y met. On se souvient du « Deal », ce tweet triomphant par lequel le président du Conseil européen, Charles Michel a annoncé l’accord conclu le 21 juillet par les 27 sur le plan de relance post-Covid de 750 milliards d’euros. « Un jour historique pour l’Europe », a de son côté déclaré Emmanuel Macron. Après un marathon de cinq jours et une bataille acharnée entre les «cigales» et les «fourmis», entre les «dépensiers» et les «frugaux» – certains diront même les «radins» –, pour la première fois, l’Europe accepte l’idée d’une dette commune adossée sur un budget de 1 074 milliards d’euros pour la période 2021-2027.
Acte de souveraineté ou seule manière de s’en sortir ? Fin de l’Europe naïve ou véritable commencement d’une stratégie de reconquête ? Pour certains, cet accord est « l’acte de naissance d’une nouvelle Europe, plus solidaire, plus verte et plus franco-allemande ».
Trois concepts
Emmanuel Macron, lui-même, proposait dans son livre Révolution de reprendre la construction européenne « autour de trois concepts : la souveraineté, le goût de l’avenir et la démocratie ». Alors que la démocratie n’est nulle part bien vaillante et qu’elle vacille de la Hongrie à la Pologne, que le goût de l’avenir peine à mobiliser les peuples dans un contexte de crise sans précédent, ne reste-t-il que la souveraineté pour reprendre la main ?
Éric Le Boucher, éditorialiste aux Échos souligne que cette idée si française est loin d’être partagée par tous. Cette prétention « souveraine » est pour beaucoup de nos voisins jugée un brin impérial. « Non pas qu’ils ne l’aient jamais eue » précise-t-il. « La Suède a été conquérante avec les Vikings […] Idem pour les Pays-Bas, qui ont battu l’Espagne, créé des colonies. L’Autriche, puissance centrale pendant des siècles, s’est éteinte une fois écrasée par la Prusse. Même l’Allemagne après 1945 s’est interdite d’avoir la moindre ambition extérieure. La France est la seule à avoir conservé cette haute idée d’elle-même et, forte des Lumières, de prétendre être un modèle universel ». Malgré la victoire sur le plan de relance de l’Union européenne, il lui reste à convaincre les autres que cette prétention à la « souveraineté » n’est pas qu’une lubie française.
Fragile Europe
La crise aidant, la France doit amener l’Europe à changer de nature, à affirmer sa « virilité » ajoute Éric Le Boucher. Pour ne pas être broyée par la Chine et les États-Unis, elle doit se construire à leur hauteur, comme une entité souveraine.
Pour autant, l’idée progresse. Dans les affaires frontalières, comme dans la gestion de la crise sanitaire, le Covid-19 a montré l’insuffisance de la coordination des États européens. C’est ce que déplore Wolfgang Schäuble, le président du Bundestag. La pandémie a mis en évidence la fragilité de l’Europe, sa dépendance des fournisseurs lointains pour les biens de première nécessité comme les masques. « L’Union européenne doit mieux se préparer afin que, dans les crises, elle soit plus résistante et plus souveraine », écrit-il, appelant à renforcer « l’autonomie stratégique » en repensant les chaînes d’approvisionnement de ces biens essentiels et en diversifiant le risque géographique.
Position assez inattendue pour un représentant du camp conservateur-libéral, il juge indispensable d’« examiner tout notre modèle économique de façon critique et de corriger les excès de la mondialisation, là où ils ont participé aux conséquences dramatiques de la pandémie ».
La longue marche
Mais comment cette notion de souveraineté européenne peut-elle s’accorder avec la souveraineté des États-Nations, à l’heure où les idées nationalistes et populistes semblent de plus en plus solidement ancrées en Europe ? Faudra-t-il demain renforcer la puissance de l’Europe pour mieux protéger les nations ou, au contraire, aller vers ce fédéralisme et ces États-Unis d’Europe que Victor Hugo appelait de ses vœux ? C’est la longue marche vers la souveraineté.
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