Le pays est en déclin. Tel est le jugement d’une majorité de Français en cette rentrée 2020. Ce n’est pas nouveau mais la crise sanitaire et ses conséquences économiques, autant que le sentiment d’insécurité, ont fait repartir la courbe à la hausse.
Par Vincent de Bernardi
C’est ce que révèle la dernière livraison de l’étude Fractures françaises du Cevipof réalisée par Ipsos début septembre. Dans un pays rempli de déclinologues, il n’en fallait pas plus pour apporter de l’eau à leur moulin. Oui, le pays régresse, s’enfonce, recule, décroche sous l’effet de multiples facteurs. Pour les éternels optimistes, le climat n’est pas clément. Pourtant, à y regarder de plus près, une majorité de Français estime que ce déclin n’est pas irréversible. Ouf ! même s’ils sont 27% à penser le contraire. Bien que la crise sanitaire ait accentué l’inquiétude générale, c’est la question de l’insécurité et le niveau de la délinquance qui pèsent sur le jugement des Français, en particulier à droite. En un an, la préoccupation sécuritaire a bondi de 18% passant loin devant l’avenir du système social. En voulant mettre fin à « l’ensauvagement de la société », le ministre de l’Intérieur n’a pas seulement lancé un débat qui a tourné à la polémique y compris dans son propre camp, il a fait renaître une thématique qui pourrait bien devenir le sujet d’affrontement de la prochaine élection présidentielle. À tel point que 7 français sur 10 interrogés par l’Ifop jugent justifié l’usage de ce terme pour désigner l’évolution de l’insécurité en France. Et au diable si le mot ensauvagement est emprunté au lexique d’extrême droite et au brûlot sécuritaire de Laurent Obertone, auteur de La France, Orange mécanique qui avait fait beaucoup de bruit lors de sa sortie en 2013. En parlant d’ensauvagement, Gérald Darmanin a mis un mot sur l’idée d’une « décivilisation », partagée par ceux qui ont le sentiment d’une rupture culturelle avec les plus jeunes, d’une faillite de l’école républicaine, de l’éducation des parents…
De Chevènement à Sarkozy
Il n’est pas le premier et sans doute pas le dernier à user de ce langage pour qualifier une situation sensée donner un avantage électoral comparatif à qui sait s’en saisir au bon moment. On se souvient des « sauvageons » de Jean-Pierre Chevènement, des « racailles » de Nicolas Sarkozy.
La sémiologue Mariette Darrigrand souligne que le passage de « sauvageons » à « racailles » puis à « ensauvagement », correspond à une intensification du langage destiné à faire écran et éviter de parler des sujets, très complexes, de criminalité en France.
Déjà à l’époque, l’usage de ce vocabulaire martial avait défrayé la chronique. Il y a 20 ans, seule une minorité de Français était choquée par le terme de « sauvageons » : 15% seulement le trouvaient « trop dur », soit une proportion comparable à celle d’aujourd’hui pour « ensauvagement » (19%). Ainsi, si l’opinion ne partage pas l’indignation d’une grande part des figures intellectuelles de gauche sur ces questions de sémantique, force est de constater que cela n’a rien de nouveau. En revanche, c’est l’hostilité grandissante de l’opinion à toute forme de laxisme dans la réponse pénale qui est nouveau : près des trois quarts des Français (73%) partagent le sentiment que globalement les juges en France « ne sont pas assez sévères », soit une proportion en hausse continue depuis dix ans (51% en 2011). Et dans le détail, un quasi-consensus apparaît pour dénoncer ce manque de sévérité en matière « d’agressions physiques contre les personnes »(86%) et « de crimes sexuels »(87%). Ainsi, jamais le « laxisme des juges » n’a été autant rejeté par les Français.
Stratégie politique
Point noir du macronisme, la sécurité redevient, en tout cas, un sujet central dans une période de grande incertitude politique. Et même si les chiffres de la délinquance ne montrent pas de manière absolument évidente une dégradation.
Depuis 2019, il y a une hausse du nombre d’homicides, de tentatives d’homicides et des violences ayant entraîné la mort. C’est l’année où il y en a eu le plus depuis 1974. « L’année dernière, 970 personnes ont été tuées en France, soit 76 de plus qu’en 2018. Cependant, sur une période plus large, entre 1994 et 2014, on constate que le nombre d’homicides a diminué de 60% »et«de 2013 à 2018, on a eu une division par deux du nombre de vols avec et des réponses pénales (ONDRP) », note Christophe Soulez, chef du département de l’Observatoire national de la délinquance donc bien une question de perception et pour faire face à une droite qui fait de la sécurité une thématique essentielle à sa survie politique, l’usage du terme « ensauvagement » montre que le gouvernement ne compte pas abandonner ce champ politique et donner davantage de place aux questions régaliennes et identitaires.
Étouffer la droite par un discours plus musclé et martial en matière de sécurité ? De la pure stratégie politique !
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