edito
Par Jean Poletti
Connivence. Le mot revient en leitmotiv, diffus ou explicite, dans les analyses de ceux qui s’autoproclament spécialistes de l’univers de la voyoucratie insulaire. Dans les Bouches-du-Rhône, la région parisienne, le Var ou le Lyonnais, elles se limitent aux rubriques du fait divers, s’agissant de la Corse, le propos aborde les rivages de la sociologie. Presque de la pathologie. Tous complices ! Tel est le message souvent subliminal, parfois asséné avec emphase. Avec en toile de fond, l’antienne de l’omerta, viatique éculé, usé jusqu’à la corde pour justifier les enquêtes qui se perdent dans les méandres de l’oubli. Faut-il ici rappeler ces maires assassinés, sans l’ombre de l’esquisse d’une piste ? Doit-on mettre en parallèle l’émotion légitime du mortel guet-apens où tomba Claude Érignac, et La curieuse absence de réaction étatique lors de l’exécution du sous-préfet Pierre-Jean Massimi ? Est-il opportun de redire les mots d’un ministre de l’Intérieur affublant les Corses du chromosome du crime ? Dans une litanie, qui court au fil des gouvernements successifs, tout concourt à enraciner l’idée dans l’inconscient hexagonal que chez nous une communauté entière est par silence, parentèle omission ou intérêt lié aux forces occultes. Argutie facile. Injuste. Qui met les victimes au banc des coupables. Jette la suspicion sur toute initiative économique ou commerciale, fut-elle blanche comme neige, pourtant fréquemment accusée de prête-nom, ou de relais. Dans une dialectique de globalisation, tout le monde est mis dans le même panier. Coupables, forcément coupables pour reprendre la célèbre formule de Marguerite Duras. On jette le bébé avec l’eau du bain. Et dans cette écume des choses, une communauté est clouée au pilori. Mais ces investigateurs qui publient des livres à succès sur cette thèse infondée se gardent bien, sauf en incidence discrète, de dire que la quasi-totalité de la population est étrangère à ces exactions. Pour autant, elle n’a pas la culture de la délation. Aussi, ne faut-il pas l’encenser lorsqu’elle protégea les juifs des griffes nazies, et lui faire le faux procès de ne pas dénoncer d’éventuels malfaisants. D’ailleurs ces derniers, jusqu’à plus ample informé, ne crient pas sous tous les toits qu’ils vont commettre crime ou délit. Et si par hypothèse d’école tel était le cas, le plausible informateur ne serait-il pas freiné dans son élan par des faits et positions de ceux qui ont en charge de faire respecter l’État de droit ? Qui n’a su qu’un ancien préfet de police partagea à plusieurs reprises des agapes avec des individus en fuite ? Exemple isolé ? Le doute taraude. À l’image sans doute de la disparition des fichiers de la police de plusieurs seigneurs du milieu, au prétexte que les mémoires d’ordinateurs étaient surchargées ! Sans verser dans une énumération à la Prévert, nous ne résistons pas au plaisir de relater cette consigne aux parquets par un ancien procureur général en poste à Bastia : « Dans certaines affaires, il convient d’agir avec circonspection. » Roulez carrosses, passez muscades. De la surréaliste conférence de presse dans le maquis de Tralonca, qui, dit-on, ne fut pas clandestine pour la Place Beauvau, aux fuites dans le récent coup de filet ajaccien, la liste est malheureusement longue comme un jour sans pain de ces connivences qui troublent le jeu du gendarme et du voleur. Pourtant dans une sorte de rétablissement digne de l’équilibriste chevronné, d’aucuns font peser sur la population l’absence criarde de résultats patents. À chacun son destin professait Sartre. Que n’avait-il raison ! Mais étrangement ici, l’opprobre est jeté sur les citoyens pour expliquer l’inexplicable et se dédouaner des ratés dans une mission cardinale de la puissance publique qui n’est rien d’autre que la protection des personnes et des biens. En lieu et place, dans les salons lambrissés se murmure un refrain amplifié par des publications de Sherlock Holmes à la plume sélective, pour jeter le discrédit, sans autre forme de procès, sur l’entrepreneur, l’employé, Pierre, Paul, Jacques et Martin. Si la justice fait chou blanc, c’est en grande partie leur faute. Ils se taisent ou sont sous influence. Circulez y’a rien à voir. Un fameux rapport parlementaire mettait pourtant en exergue toutes ces carences dissimulées sous le tapis de l’excuse officielle. Son fil rouge : « La Corse a droit à l’État de droit. » Rien de nouveau sous le soleil. Toujours la même petite brise de mer ou le Libecciu qui charrient l’alibi défraîchi de la loi du silence pour condamner tout un peuple au tribunal de l’impéritie.
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