Au plus près des étoiles
Parfois, le premier contact avec les artistes s’est noué par revues et par émissions de télé interposées pendant l’enfance. Comme l’avant-goût d’une aventure littéraire et humaine qui s’inscrit dans le temps et rencontre le succès.
Par Véronique Emmanuelli
Emmanuel Bonini, originaire de Rosazia dans le Cruzzini, auteur de nombreux ouvrages à succès sur, entre autres, Édith Piaf, Joséphine Baker, Romy Schneider, Sylvie Vartan a désormais prolongé le mouvement en se rangeant du côté de tous ceux qui se sont produits sur la scène de l’Olympia, Sur ce terrain-là, sa position est celle de co-auteur avec Roger Morizot – « Doudou », ancien régisseur de la fameuse salle – du livre Je les ai tous vus débuter paru aux Éditions de l’Archipel. C’est certain, la liste des artistes est longue et les images imprévues de Johnny, Claude François, Brel, Brassens et les autres, forcément hautes en couleur, s’enchaînent. Ainsi se dessine la carte de l’Olympia, au rythme de confidences marquantes, de potins oubliés, de grands chahuts, d’anecdotes plus invraisemblables les unes que les autres. Comme autant de petits legs pour le grand public.
Doudou, 91 ans aujourd’hui, a fait le choix de se souvenir de ce qu’il a vécu et de raconter avec une précision incroyable tout ce qu’il faut savoir sous les dessous de ce haut lieu du music-hall, trente ans durant, des débuts en 1954 jusqu’au milieu des années 1980.
Alors, en se glissant dans cette dynamique intimiste, artistique autant qu’humaine, Emmanuel Bonini continue à avancer comme il l’a toujours fait, en donnant la prime aux affinités électives, sans artifice. « Je connais Doudou depuis vingt ans au moins. Je l’appelle régulièrement pour prendre de ses nouvelles. C’est un petit gars qui parle comme il pense et qui est profondément gentil. Un titi parisien, qui s’est presque élevé tout seul. Il faisait partie de la bande des gitans de la Porte de Montreuil. J’ai découvert son existence en parcourant ses cahiers. Sous ses airs de dur, c’est un grand sentimental. »
Spectacle
Le monde décrit dans l’ouvrage est aussi très proche du sien. D’ailleurs, c’est grâce à Doudou Morizot qu’une part du cheminement d’auteur d’Emmanuel Bonini a pris corps. « Chaque fois que j’écrivais une biographie, il me fournissait des informations, des photos. De cette belle rencontre entre Doudou et moi et de ce compagnonnage au long cours émanera un livre que j’ai fait avec le cœur, parce que j’aime beaucoup le métier d’artiste. Je le connais très bien. Si bien que j’ai pu étoffer certains points du récit, opérer des remises en perspectives avec le contexte de l’époque. »
À la faveur des pages du manuscrit Emmanuel Bonini renoue avec pas mal de vieilles connaissances. « Doudou rend compte de son vécu avec les artistes qui ont tenu le haut de l’affiche à l’Olympia. Pour ma part, j’avais déjà écrit sur pas mal d’entre eux », commente Emmanuel Bonini. La ligne narrative qu’il suit depuis déjà deux décennies allait de soi. Sans doute parce qu’elle est construite à partir de situations de grande émotion. « J’aime le spectacle. Ça vient de très loin, de l’enfance. J’ai toujours voulu aller là où je ne suis pas. Mon maître-mot, c’est ailleurs. C’est découvrir des mondes que je ne connais pas », confie-t-il.
En parallèle, une autre trame à valeur d’évidence se développe. Parce que l’existence selon la définition que lui donne Emmanuel Bonini est aussi une invitation à entreprendre un voyage à rebours, à remonter le temps pour suivre les traces de personnages illustres, quitte à réinventer un peu le décor. « Mon rêve, lorsque j’étais enfant, était de me transporter dans l’histoire. Cela rejoint, je crois mon goût pour le spectacle. Le fait de pouvoir retourner dans le passé, les représentations, ce sont des illusions. Tout ce qui n’est pas faisable m’attire. J’ai toujours fait le contraire des autres. Faire un pas de côté est difficile. Mais c’est en cultivant sa différence à condition de la positiver qu’on s’accomplit », confie-t-il.
Sur les photos sépia, Emmanuel Bonini est un petit garçon de 10 ans qui lisait La Peste de Camus, « sans vraiment tout comprendre à l’époque » mais aussi les numéros de Paris Match, Point de Vue Images du monde, ou encore Jours de France, qu’il trouve dans la maison familiale à Rosazia. Les images de l’enfance qui reviennent en mémoire sont aussi celles de cours de catéchisme surjoués, improvisés dans la cour de la caserne des Douanes. Il ajoute à l’affaire un je ne sais quoi qui immerge au plus haut point ses petits interlocuteurs dans le récit. « Mon père était douanier », explique-t-il. Avant de poursuivre : « j’allais au catéchisme et je regardais beaucoup de péplums ».
La trajectoire de Jésus-Christ, hors norme et poignante à souhait, lui paraît familière et possède toutes les caractéristiques requises pour créer l’inspiration. « Je réunissais les copains et les copines devant l’immeuble et je leur racontais la vie du Christ. Je dramatisais à l’extrême », se souvient-il.
Inédits
Certains jours, les enfants prennent le parti de la fête. Chacun met un franc au pot. Il ne reste plus qu’à aller acheter quelques gâteaux et boissons au « Constellation » tout proche, puis à prendre place dans le champ qui jouxte l’arrière de la caserne. « Je faisais le clown et j’amusais la galerie et ensuite on mangeait. Les invités étaient triés sur le volet »,plaisante-t-il.
Toujours, son désir de raconter, de révéler l’emporte. « Je voulais transmettre une histoire », résume-t-il. Dans le monde décrit, Marie-Antoinette, l’épouse de Louis XVI figure en bonne place. La rencontre s’opère par le biais d’André Castelot et de son ouvrage Marie-Antoinette puis de la comédienne Geneviève Casile dans le rôle de la souveraine à la tête tranchée. « C’est l’injustice qui me motivait aussi bien pour Jésus que pour Marie-Antoinette. En outre, ces deux personnages ont toujours été au bout sans jamais se renier. Cette espèce de dignité dans le malheur, de l’acceptation de leur destin, me fascine. C’est grand et j’aime le grand. », affirme-t-il.
Le scénario s’étoffe à mesure que le temps passe. Il met en exergue d’étranges coïncidences. « J’ai rencontré Geneviève Casile. Elle a inscrit une dédicace sur le dessin de Marie-Antoinette que j’avais réalisé presque cinquante ans plus tôt. Elle m’a prédit beaucoup de succès pour mon livre. Cela fait 20 ans à présent que je travaille sur Marie-Antoinette. Je vais bien au-delà de la biographie. » Emmanuel Bonini écrit avec force et s’appuie sur de nombreux documents inédits.
Il agit en enquêteur au long cours. L’équilibre entre émotion et information est savamment dosé. C’est le principe de la démarche. C’est aussi sa manière d’être en intimité avec son sujet. Elle s’accordera avec ses différents ouvrages, tels que Goldman, le vent de l’histoire, Piaf, la vérité, La véritable Romy Schneider ou encore Brigitte Bardot par amour et c’est tout. L’écrivain échappe toujours aux processus classiques.
Parce qu’il a pris ses marques auprès des artistes en se retrouvant aux premières loges, parce qu’il dévoile, en toute connaissance de cause, un métier souvent plus fantasmé que connu. « J’ai fait un peu de scène. Mais, j’ai surtout fait mes classes sur le plateau de “La Chance aux chansons” de Pascal Sevran, pendant deux ans. J’ai vu tous les grands répéter. Au palmarès figurent Aznavour, Ivry Gitlis, Adamo, Guy Béart, Line Renaud, Marthe Mercadier.
Montand
La rencontre constitue un pan majeur de la démarche. « Avec Goldman, j’ai eu un échange épistolaire magnifique pendant des années. J’ai touché son cœur et il a touché le mien. Nous nous sommes ensuite rencontrés, lorsque j’étais à l’École des douanes de La Rochelle. À l’époque, il m’a donné plein de conseils. Il savait que j’étais attiré par ce métier, mais je ne savais pas de quelle façon. J’étais attiré par la création, la transmission. »
Avec Brigitte Bardot, c’est une lettre ou plutôt un manuscrit qui sert de déclencheur. « Adolescent, j’avais écrit un premier roman sur mon chien Prince. Il nous a quittés en 1991. Il était arrivé dans ma vie lorsque j’avais 14 ans. Mon frère venait de partir à l’armée et ma sœur de se marier, deux sacerdoces différents. Prince avait été adopté dans un chenil à Montluçon. J’ai envoyé le texte à Brigitte Bardot pour lui demander de faire la préface. Une semaine après je recevais une lettre avec une préface magnifique », confie-t-il.
Avec Joséphine Baker, l’exercice défie en plus le temps à bien des égards. Tout commence par un coup de cœur. « À10 ans, j’ai découvert Joséphine grâce à l’émission “Midi Première”. Je n’ai plus pu détacher mes pensées et mes yeux de cette femme. Une semaine plus tard à peine, j’apprenais son décès. » Les années passent mais Emmanuel Bonini ne change pas de regard. Joséphine a provoqué chez lui comme chez bien d’autres une authentique émotion. « C’était une femme exceptionnelle. Elle avait une emprise, un pouvoir sur les gens. Cela dépassait le talent, l’aura, cela venait d’ailleurs. Joséphine venait d’ailleurs », affirme-t-il.
Il y a en plus, la sensation qu’elle est un membre de la famille et qu’elle rend compte, pour partie, au moins de son ascendance guyanaise. « Une de mes grand-mères guyanaises est arrivée dans l’île par le même bateau qui amenait Dreyfus en Corse. Elle l’a quittée en 1925 pour aller rejoindre son fils, facteur, en Algérie. » Autant de raisons qui poussent « à écrire quelque chose pour transmettre la vie de Joséphine ». Sa détermination se heurte à sa méconnaissance du monde de l’édition. Mais pas seulement. « Je n’avais aucune notion de ce qu’était écrire un livre, ou bien une maison d’édition. » Il part pourtant sur les traces de l’artiste. « J’exerçais alors le métier de stewart et je voyageais dans le monde entier. Ce qui me permettait de prendre des renseignements un peu partout. Plus tard, je suis parti spécialement pour enquêter à Rome, en Sicile et ailleurs. J’ai eu la chance de rentrer en contact avec des informateurs très précieux. » Le manuscrit s’enrichit peu à peu. Il sera, au final, retenu par les Éditions Pygmalion. Au début de l’année 2000, le jeune auteur est invité sur le plateau de Bernard Pivot. L’élan est pris. Les livres et les succès s’additionnent.
Sa prochaine parution est prévue au mois de septembre 2021. Soit 600 pages consacrées à l’existence d’Yves Montand « Cela faisait quatre ans que je travaillais sur ce livre qui sera très politique. J’ai retrouvé beaucoup de choses. », assure-t-il. De quoi éveiller la curiosité des lecteurs.
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