Tant de folie. C’est le titre du très bel ouvrage que Jean-Paul Cappuri dédie à la passion que déchaîne le Sporting jusqu’à l’hystérie. Ce roman haletant de Furiani se déploie telle une banderole sur une longueur de 50 ans et autant de matchs choisis par l’auteur… arbitrairement. Frissons et émotions garantis. Entretien.
Propos recueillis par Jean-Marc Raffaelli
Une sélection de cinquante matches sur des centaines à Furiani : sur quel fil rouge avez-vous cheminé pour faire votre choix ?
Une sélection est forcément subjective et elle s’est faite à partir de mon ressenti, de supporter dans un premier temps (de 1965 à 1979) puis de journaliste (de 1979 à 2017). Mais dans ce lot de 50 matches figurent évidemment des « incontournables » qu’aurait retenu n’importe quel supporter. Je veux évidemment parler des rencontres de l’épopée européenne, celles de Coupe ayant débouché sur une qualification pour une finale, celles de championnat actant une accession, un titre ou une relégation et d’autres ayant marqué les esprits pour leur scénario ou un événement particulier. Il a aussi fallu faire des choix entre les soirées ayant donné lieu à certains débordements, et qui ont contribué à construire la « légende » de Furiani. Au final, je pense que cette sélection reflète assez bien l’histoire de ce club, faite de hauts, de bas, de liesse, de frustration et de beaucoup de tumulte.
Sur cinquante, vous étiez physiquement présent à combien ?
Je n’ai raté aucune des rencontres figurant dans cet ouvrage. Mais je me dois de préciser que je n’ai pas véritablement suivi avec attention les trois ou quatre premières auxquelles je fais référence. J’avais alors une dizaine d’années, j’allais au stade avec mon père ou mes cousins mais les matches du Sporting étaient surtout l’occasion pour moi de retrouver des copains pour taper dans un ballon entre les gradins et le grillage. Seules les plus intenses réactions du public nous interrompaient dans notre élan, le temps de voir si un but avait été inscrit.
Le récit s’étire sur plusieurs décennies : le public, le jeu, les arbitres ont-ils beaucoup évolué ?
Bien sûr ! Un fossé énorme dont on évalue mieux l’ampleur à travers certains événements. Hors la « surveillance » des caméras des chaînes de télé et des services de sécurité, spectateurs et même joueurs pouvaient se permettre des choses qui seraient aujourd’hui très sévèrement sanctionnées et provoqueraient même l’interruption immédiate de la partie. Imaginez, un match au cours duquel les deux assesseurs de l’arbitre seraient agressés à quelques minutes d’intervalle. Comment concevoir qu’il puisse reprendre normalement son cours après que l’un et l’autre aient reçu des soins sommaires ? Quant au jeu, c’est surtout au plan athlétique qu’il a évolué, avec la notion de rythme et d’intensité induite. Techniquement par contre, je ne suis pas persuadé du tout que les joueurs d’aujourd’hui soient supérieurs à ceux qui avaient appris à maîtriser la balle dans la rue ou sur une place de village. Cette école-ci équivalait à une formation sur le tas et, comme dans nombre de métiers, rien ne vaut les acquis ainsi engrangés.
Si le stade de Furiani ne ressemblait pas à ce qu’il était à l’époque, la « folie » aurait-elle été la même ?
Sa configuration très « particulière » a peut-être contribué à favoriser certains écarts mais je crois que la folie qui colle à la peau du Sporting tient surtout à la passion que la Corse voue au football et donc au club qui a fait flotter si haut sa bandera. Comme notre île est une terre d’excès, cette passion ne connaît pas de limites dans la liesse, la déception et parfois la colère. On en a tous fait l’expérience parce qu’on a tous un ami au moins qui, pondéré dans la vie, se transforme radicalement dès lors qu’il pénètre dans ce stade : le Sporting provoque des sentiments qui altèrent un peu la raison. D’où le choix de mon titre.
Si vous ne deviez emporter qu’un seul match sur une île déserte, ce serait lequel ?
Même si j’ai été marqué par certaines défaites, je ne suis pas maso au point d’en choisir une ! Le supporter que j’étais à l’époque choisira le SECB-PSG de 1977, avec le fameux duel sur corner entre Džajić et Pantelić. Le journaliste, lui, choisira la même affiche de 2015 pour l’incroyable renversement de situation et le contexte très particulier de ce match.
Comment vous y êtes-vous pris pour convaincre Frédéric Antonetti de faire la préface, lui, qui a plutôt tendance à fuir la lumière des projecteurs ?
Je n’ai pas eu à le convaincre. Si nous avons tissé au fil des années des liens d’amitié, je pense aussi qu’il a été séduit par la trame de ce livre. Je voulais que ces récits parlent aux lecteurs en les contextualisant dans leur époque et en les projetant dans leur propre vie. Fred a beaucoup aimé cette idée de moments partagés, d’union autour d’un patrimoine commun et donc fédérateur. En atteste le témoignage qu’il nous livre dans sa très belle préface, pleine d’humilité et de sagesse.
Tant de folie, Jean-Paul Cappuri, préface de Frédéric Antonetti, Coletta éditions.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.