L’université de Corse ne fait pas que dispenser le savoir. Elle multiplie les actions pour offrir l’égalité des chances aux étudiants dans la précarité. Opérations ponctuelles ou d’envergure se succèdent sur un campus où un nombre croissant d’entre eux sont confrontés à d’intenses difficultés financières.
Par Jean Poletti
Sur quelque cinq mille étudiants près de la moitié sont boursiers. Voilà qui indique sans ambages les revenus modiques des familles qui inévitablement se reflètent dans la situation de ceux qui fréquentent l’université de Corse. Parmi eux, nombreux doivent se limiter à ce maigre pécule, les confinant dans une situation peu propice à des études sereines. Une sorte de misère qui ne dit pas son nom, et met à mal la théorie de l’égalité des chances.
Ce mal qui n’épargne pas le campus est trop rarement sous le halo de l’actualité. Certes au gré des propos officiels il en est fait référence, mais de manière diffuse, fréquemment factuelle, parfois fataliste.
La réalité est douloureuse, pour ceux qui ne bénéficient pas d’aides financières de leurs proches. Contraints de gérer sans appui logistique leur existence, certains s’accrochent. D’autres, malheureusement renoncent et abandonnent leurs études.
Nulle question d’alimenter une vision misérabiliste, mais faire de cette nouvelle génération estudiantine une simple variable d’ajustement de la précarité ambiante heurte l’entendement.
L’offre des chambres universitaires n’étant pas extensible à l’infini, il en est qui ne peuvent pas en bénéficier, bien qu’ils répondent aux critères d’accessibilité. Contraints et forcés, certains s’orientent vers le système locatif traditionnel devant ainsi payer leur gite au prix fort. Celui du marché. D’autres louent des locaux qu’ils aménagent sommairement. En palliatif contraint, nombreux sont ceux qui se mettent en quête d’un emploi élégamment baptisé « petit boulot », afin de percevoir un revenu modique. Cela se fait bien évidemment au détriment de la qualité des études, et prend sur le temps qui devrait par définition être consacré aux heures de travail scolastique.
Fracture sociale et numérique
Ce handicap prégnant, qui s’apparente à l’invisible pauvreté, compagne de route pour tous ceux qui en sont victimes.
Sur un plan psychologique, l’insouciance devient chimère chez ces personnes à peine sorties de l’adolescence, confrontées à des difficultés matérielles qui rejaillissent souvent sur la qualité de leur cursus.
Peu ou pas de loisirs. Et si la culture n’a pas de prix, elle a un coût que ne peut assouvir ce contingent soumis au strict minimum.
L’université ne reste pas inerte. Bien au contraire, par Crous interposés, ou lors d’initiatives spontanées, elle tente de panser les plaies. Ici, une aide de cinq cents euros, bénéficiant à quelque deux mille étudiants. Elle a été concrétisée par une convention avec l’Assemblée de Corse, et s’élève à un million d’euros.
Tout récemment, une cinquantaine de tablettes numériques ont été offertes à ceux qui n’avaient pas les moyens d’en acquérir. Car la fracture n’est pas uniquement sociale, mais aussi dans l’accès aux nouvelles technologies, et autre Internet, devenues alliées incontournables dans l’enseignement supérieur. Aussi convient-il de souligner cette louable concrétisation associant la Collectivité territoriale et Corsica Fibra.
Missions humanistes
Tenter sinon de gommer à tout le moins d’atténuer les handicaps pécuniaires. Permettre un certain confort de vie. Éviter la marginalisation diffuse ou criante. Voilà, en corollaire de ses missions classiques, celle que s’assigne, sans le claironner sous tous les toits, l’institution universitaire sous la houlette de son président Dominique Federici.
Parallèlement, et pour renforcer davantage encore la solidarité, l’association Aiutu Studientinu s’emploie à aider au quotidien ceux qui frappent à sa porte. Son nom vaut programme. Créée et gérée par un groupe d’étudiants bénévoles, elle s’emploie sans relâche à trouver des palliatifs bienfaisants. Une démarche qui allie efficience, discrétion et anonymat, afin de ne pas blesser la dignité des bénéficiaires.
Ainsi une épicerie solidaire a été ouverte voilà plusieurs années déjà. Au fil du temps, l’affluence d’abord marginale s’est étoffée, signe patent et malheureux d’une détresse qui s’amplifie.
Dans ce commerce du cœur de la fraternité et du partage, les denrées alimentaires et les produits de première nécessité sont offerts. Dans les rayons trônent aussi vêtements et autres fournitures scolaires.
La barrière du tabou
Mais nul ne s’y trompe, certains malgré tout sont réticents à faire appel à ce service ou à d’autres. Une sorte de barrière de la honte, un indicible tabou et la peur d’être malgré tout reconnus les contraints à l’isolement en ignorant cette main tendue. Pourtant, faut-il le marteler, ils ne portent nulle responsabilité de n’être points nés nantis. Et les stratégies mises en place opèrent une claire distinction entre la solidarité, qui puise ses racines dans le vivre-ensemble et l’élévation morale et matérielle, et la charité fut-elle chrétienne, qui s’apparente à l’aumône n’incluant pas la dimension de l’injustice qu’il convient de combattre.
Loin de ces incidences philosophiques, le réel demeure. Trop d’étudiants, qui par essence et définition, seront les gestionnaires de la future Corse, galèrent au quotidien dans le temple du savoir. Jusqu’à quand ?
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