Depuis les « gilets jaunes », l’idée que la politique française, peut-être même la politique partout ailleurs, se fasse autour d’une fracture entre le peuple et les élites devient dominante.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
Même si cette explication comme beaucoup de sociologies de bistrot ne résout rien, il n’empêche que les gens tout simplement se détournent de la vie politique ou se réfugient dans des contestations de droite ou de gauche extrêmes reniant le consensus du bien-fondé des démocraties libérales qui reculent dans le monde, pour se donner à des démocraties paradoxalement appelées « alibérales » qu’on dénommait jadis de populaires comme l’ancienne Allemagne de l’Est ou de fascistes comme l’Espagne de Franco ou l’Italie de Mussolini. Ces régimes ont fait la guerre à leurs élites sans pour autant émanciper leur peuple et en le rendant plus misérable. Nous sommes donc face à une régression civilisationnelle qui refuse l’idée de progrès.
Et pourtant, les classes populaires dont le sort s’aggraverait si ces partis venaient au pouvoir se portent vers ces idéologies. Pour éviter que cette tendance ne devienne un destin, il est nécessaire de montrer que le populisme n’est pas fondé sur l’amour ou simplement le respect du peuple mais sur son mépris cynique. Tout d’abord, il faut rapprocher les deux sens les plus courants de l’idée de peuple : d’une part la sociologique et philosophiquement matérialiste qui fait référence aux classes les plus pauvres et aux populations démunies et d’autre part la juridique et idéaliste qui y voit l’ensemble des citoyens, c’est-à-dire des personnes éclairées capables de préférer l’intérêt général aux intérêts privés.
Fausses élites
Pour ne pas abandonner les classes populaires au populisme, la première action consiste à leur rendre possible de vivre dignement matériellement : il est difficile voire impossible de préférer l’intérêt général à son intérêt privé quand on est économiquement condamné à la misère. Les démocraties libérales ne pourront résister aux vagues de populisme si elles ne protègent pas leurs populations les plus précaires, qui abandonnées par les fausses élites sombreront dans la délinquance ou se donneront au fascisme ou au totalitarisme, figures de la délinquance devenue pouvoir. S’il est indispensable, par exemple, de défendre le système par répartition des retraites même au prix d’un allongement du temps de travail, il est impossible de le faire comprendre à ceux dont les conditions de travail limitent l’espérance de vie : le recul pourtant nécessaire de l’âge du départ à la retraite n’est possible non seulement qu’en tenant compte de la pénibilité des métiers exercés mais qu’en améliorant les conditions de travail. Si ceux qu’on appelle en un raccourci bien rapide les élites n’en prennent pas conscience, elles signeront non seulement leur perte mais celle de la démocratie.
Peuple méprisé
Contrairement aux discours démagogiques et faciles, une société démocratique a besoin d’élites mais comme le rappelle l’idéal républicain depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyenseule « l’utilité sociale » justifie les distinctions. C’est d’ailleurs la différence entre élites et privilégiés, différence que ne font plus les médias et de nombreux commentateurs politiques, beaucoup préférant leurs privilèges à leur rôle d’élite, eux qui dénoncent les élites en jouissant des privilèges de leur fonction sociale plus que n’en abusent les politiques. De tels commentaires et analyses précipitent la décomposition des démocraties libérales car ils sont le fait de démagogues et non de démocrates. Ainsi, ils participent au populisme, qui en réalité est mépris du peuple, car ils supposent que ce peuple ne comprend rien et qu’il n’est pas capable de s’élever de la foule pour se constituer en peuple souverain. Ne croyant pas en la perfectibilité de l’homme, ils méprisent le peuple. Les uns se voudraient avant-garde révolutionnaire manipulant un sous-prolétariat misérable, les autres leaders ou caudillos fascisants manipulant des masses maintenues dans la misère tant matérielle qu’intellectuelle.
Spectre autocrate
Pour éviter que la France ne soit sous la coupe d’un autoritarisme comme celui d’Orbán en Hongrie, d’une dictature que fut celle de Chavez au Venezuela, où se livre un mélange monstrueux des deux, prenant le visage du nationalisme et du soviétisme qu’est la figure funeste de l’autocrate Poutine, les élites doivent se faire les meilleurs alliés du peuple.
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