Pourquoi le rapport intermédiaire concernant l’agression mortelle d’Yvan Colonna n’est-il pas publié ? Officiellement Matignon qui en fut destinataire réclamait des informations supplémentaires. Mais cette mise sous le boisseau contribue à alimenter maintes supputations. Elles transcendent les simples fautes imputables à l’organisation interne de la maison d’arrêt.
Par Jean Poletti
Bannissons d’emblée le plausible amalgame. Point n’est ici quelque velléité de verser dans le complotisme. Encore moins de faire le panégyrique du parcours politique d’un homme. Mais l’épilogue aussi tragique que stupéfiant d’Yvan Colonna interpelle à tous égards la conscience collective.
Le déroulement des faits est connu. Aussi inimaginable qu’il puisse être, il laisse dans l’ombre des pans entiers concernant la mise en œuvre et la possibilité offerte à l’auteur du mortel guet-apens. Au risque d’insister plus que de raison, force est d’admettre qu’à la dimension du fait divers tragique s’ajoute celle du mystère que conforte la décision étatique qui s’apparente à la rétention d’information.
L’affaire, sensible entre toutes, qui mit dans l’île le feu aux poudres, méritait à tout le moins davantage de sérieux dans l’élaboration du rapport. Le pouvoir demanda que la copie fût revue et corrigée. Il pointa officiellement du doigt des imprécisions et autres lacunes dans le compte rendu. Mais sa décision de garder cette mouture secrète ne s’accompagna que d’une explication toute lapidaire. Presque de circonstance. Et une source proche de l’enquête de susurrer « qu’un tel compte rendu posait plus de questions qu’il n’apportait de réponses ».
Non-dits éloquents
Lesquelles ? D’abord et avant tout celle de la personnalité de l’assassin. Elle est dépeinte de manière lénifiante, alors que la réalité est radicalement différente. Ses multiples exactions carcérales sont sinon effacées à tout le moins extrêmement minorées. La raison ? Sans doute pour justifier et valider d’un surprenant emploi d’auxiliaire qui lui était accordé. Théoriquement, cette fonction laisse toute latitude aux déplacements dans l’établissement pénitentiaire. Elle n’est offerte qu’à des détenus calmes, disciplinés et respectueux du règlement. L’agresseur n’avait nullement un tel profil. C’est une litote.
En corollaire, dans un hasard de calendrier qui interroge, le système de vidéosurveillance était à cet instant momentanément inopérant et en tout cas fortement perturbé à cause d’une opération de maintenance.
Au chapitre des coïncidences troublantes, soulignons que ce jour-là un détenu corse, ami de la victime, était appelé pour un examen médical. Tous deux fréquentaient habituellement ensemble la salle de sport. Mais cette fois Yvan Colonna se retrouva seul. Sans allié potentiel. Une opportunité supplémentaire pour son assaillant, qui occulte le caractère spontané et entrouvre la piste de la préméditation.
Il est aussi question en incidence d’un islamiste longuement auditionné. Il passe pour être le mentor des « religieux ».
Ce chapelet de clair-obscur prête en onde de choc le flanc à l’élaboration d’hypothèses aux lisières d’une fatale agression menée de longue main. Pour certains, elle n’aurait rien de spontanée mais s’inscrirait dans une planification aux contours diffus. Dont l’auteur ne serait que le bras armé.
Rumeurs de conspiration
Faut-il donner consistance à ces assertions qui bruissent depuis quelque temps et renvoyant à une sorte de conspiration animée par la vengeance ? Peut-on accréditer cette thèse confinant à une sorte de raison d’État ? L’entendement répond par la négative. Mais en corollaire, tels suggèrent que la position et les décisions d’un chef de gouvernement ne furent pas de nature à chasser les doutes dans les esprits suspicieux. Il eut été sans conteste préférable de révéler ce document initial en précisant, si besoin, qu’il était en tant que tel perfectible et amendable. Cela aurait été compris et admis. Car le choix délibéré est perçu dans l’opinion publique comme un rapport caché. Avec en toile de fond son panel de rumeurs et d’extrapolations, qui couvent tel le feu sous les cendres et susceptibles de rejaillir à la moindre étincelle.
Le nouveau Premier ministre aura sur son bureau la note de son prédécesseur. D’ores et déjà, on croit savoir qu’un rapport définitif devrait être publié dans le courant de l’été.
Qui va être chargé de le réécrire ? Ceux qui en ont rédigé la première mouture ? Quels éclaircissements seront apportés infirmant le contenu originel mis au pilori ? Faute d’enquête parlementaire le défenseur des Droits aura-t-il voix au chapitre ?
Urgence de vérité
Sans qu’il soit opportun d’aller plus avant dans l’explication, chacun aura observé que dans cet événement, nombre d’intervenants firent à tout le moins preuve d’une singulière légèreté. S’agissait-il d’une réaction strictement corporatiste dont l’unique but était de dissimuler les carences factuelles d’un centre carcéral ? L’enquête n’a-t-elle pas effleuré une autre dimension qui impliquerait une nébuleuse conjonction de différentes forces occultes mues par leur vision de la loi du talion ? On n’ose l’imaginer…
Seule la vérité sans fards ni circonvolutions sémantiques permettra de lever les doutes et le scepticisme. Un devoir pour le pouvoir. Un droit pour la population. Une évidence pour la démocratie.
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