Borne nouvelle Madame Corse ? 

EDITO 

Par Jean Poletti

Les contours du dialogue entre Paris et la Corse sont désormais définis. La rencontre préalable entre Darmanin et Simeoni dans la capitale préfigurait la venue du ministre, ouvrant un cycle de rencontres sur les problématiques insulaires. Avec en toile de fond l’autonomie. Simple continuation d’un processus initié dans un clair-obscur et étayé au lendemain du climat de révolte qui secoua l’île dans le droit fil du guet-apens mortel subi par Yvan Colonna ? Poser la question paraît superfétatoire. Même si tout démocrate peut légitimement déplorer qu’un tragique fait divers conditionna la volte-face étatique. L’esprit jacobin supplanté par l’avènement du girondisme sur le terreau de la violence. Tel est le sentiment diffus de la population de part et d’autre de Vizzavona. Il occulte à maints égards l’opportunité d’une avancée institutionnelle, pour la reléguer au rang d’un contre-feu dévolu à circonscrire le bruit et la fureur. Au-delà des spéculations, l’histoire se poursuit. Elle s’amplifie même avec les propos officiels d’Élisabeth Borne. Son discours de politique générale qui consacrait sa fonction fit une signalée incidence sur le dossier Corse balisant, sans euphémisme, les chemins de la réforme balisée par la spécificité. Une sorte de feuille de route implicitement adressée au locataire de la place Beauvau, qu’elle omit volontairement de citer dans son allocution. Il est vrai qu’entre eux ne se joue pas « Embrassons-nous ! Folleville » mais plutôt je t’aime moi non plus. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse législative pourrait susurrer, malgré quelque réserve, le président du Conseil exécutif, qui en bon avocat ne cesse de plaider pour des prérogatives nouvelles. Nul ne se méprend. Si la Première ministre tint ce propos, il ne fut nullement marqué du sceau de l’improvisation. Ou de ses réminiscences personnelles de la doctrine socialiste qu’elle épousa sous l’ère Rocard et Joxe. Sauf à être béotien, tout accrédite l’idée que cette incursion sémantique ne se fit pas sans l’assentiment élyséen. Est-ce à dire que celui, qui durant un quinquennat n’eut pas pour la doctrine évolutionniste les yeux de Chimène, a singulièrement modifié sa vision ? Peut-on admettre que, contrairement à son prédécesseur Jean Castex, l’actuelle cheffe du gouvernement ne rechignera pas à s’impliquer avec la distance qu’implique sa mission dans les différentes facettes de l’avenir d’une région tout à la fois semblable et différente de l’Hexagone. Elle a son incontestable originalité forgée par son passé et sa géographie. Assurément complexe, car comme l’affirmait malicieusement Emmanuel Arène « elle est une île entourée d’eau ». Et ne serait-ce qu’à ce titre, elle mérite que les lois cadre n’aient pas ici la dureté de l’airain, mais puissent bénéficier des adaptations. Si tant est qu’elles bénéficient au mieux-être collectif. La route sera longue et vraisemblablement jonchée d’obstacles. Mais cette fois chez nous aussi la théorie du dépassement chère au macronisme semble avoir une résonance certaine. Certes, l’unanimité n’est pas de mise. Certains veulent connaître précisément le contenu de la plausible autonomie. D’autres aspirent en épilogue à un référendum local. Tels souhaitent une redite des fameux lundis organisés par Lionel Jospin. Le camp des réfractaires perdure en contrepoint, même si au fil du temps, il fondit comme neige au soleil. Toutefois, au risque de s’appesantir plus que de raison, la constance prévaut qu’immobilisme et statu quo seront les indésirables compagnons d’une collectivité plongée dans une ornière. Le principe de réalité implique sans ambages à savoir raison garder. Quelles que soient les éventuelles mesures innovantes elles ne seront pas synonymes de remèdes miracle. Il s’agira au mieux d’un socle nouveau sur lequel devra se bâtir la Corse de demain. Vaste chantier qui pourrait toutefois être un moment fondateur. Il ne devra pas être uniquement l’apanage des élus, fut-ce dans un spectre élargi transcendant les mouvances nationalistes. Il impliquera l’adhésion de la population. Et en filigrane que la haute administration ne s’évertue pas à jouer les Cassandre en traînant des pieds. Ni brandir des empêchements dirimants aux initiatives proposées par la représentation politique. Ce hiatus n’est pas vue de l’esprit. Sans remonter aux calendes grecques, chacun peut à loisir se remémorer l’attitude récente de deux représentants de la préfectorale qui avaient leurs quartiers au palais Lantivy. Bannissons le procès d’intention. Ne retenons que cette annonce « Nous sommes prêts à ouvrir tous les sujets y compris institutionnels. À les discuter dans un esprit constructif et responsable. » Les phrases concernant notre communauté, prononcées à la tribune de l’Assemblée nationale par l’hôte de Matignon, lors de son baptême du feu, ne sont pas fréquentes. Sans être gravées dans le marbre, elles valent prise de position. Élisabeth Borne se serait-elle aussi muée en une sorte de Madame Corse ? Acceptons-en l’augure… 

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