Le pays subit un choc économique et social (inflation, stratégie économique, formes de redistribution), et doit agir sur des sujets de long terme (transition écologique, souveraineté industrielle et écologique, pacte intergénérationnel). La Corse, prise dans ce bateau ivre, entre dans un dialogue, ou bien-être de la population, développement économique et visées politiques ou/et politiciennes se conjuguent.
Par Emmanuelle de Gentili
Dans cette conjoncture, le 1er écueil à surmonter est celui de l’inflation, hausse générale des prix avec des salaires et les dotations qui ne suivront pas son rythme. En Corse, elle menace d’abord les revenus et la consommation des 135 300 salariés et non-salariés et 78 000 retraités dont la consommation soutient l’économie et ensuite l’investissement des collectivités locales qui constituent 70% de l’investissement public. Deux réponses existent : le renchérissement du crédit qui amène à une baisse des investissements privés et publics, ou leur financement par des emprunts, avec une hausse de la dette.
Des solutions seront peut-être esquissées dans la partie « aspects économiques et sociaux » des prochains comités stratégiques : questions, foncières et spéculation immobilière et institutions et identité. Après la criminalité organisée exclusivement de l’État, il reste quatre autres thèmes inconnus pour le moment, c’est dire l’impréparation de ce cycle. Mais enfin, on dialogue.
Le 2e écueil est celui d’une autonomie mal ficelée, la Polynésie étant souvent évoquée. À titre de comparaison, il y a près de 280 000 habitants en Polynésie (340 000 en Corse), le PIB y est de 5,4 milliards d’euros (9,4 en Corse), le PIB /habitant est de 19 300 € (27 650 en Corse), le taux de chômage post-crise sanitaire est de 20% (7% en Corse) et le taux de pauvreté (1 102 €/mois) est identique au nôtre, 20%.
L’économie y est tirée par le tourisme, la perliculture et les administrations publiques, en somme une économie de rente identique à celle de la Corse, comportant un élément supplémentaire : la rente de distribution instaurée par un groupe d’acteurs privés.
Regards d’Outre-mer
La Polynésie bénéficie d’un transfert de compétences, compétences de souveraineté exclues : nationalité, justice, politique étrangère, défense, entrée et séjour des étrangers, sécurité et ordre publics, monnaie, liaisons aériennes entre la Polynésie et la France, police et sécurité maritime, règles de l’administration publique, communication audiovisuelle et enseignement universitaire.
Deux grands domaines, habituellement réservés à la souveraineté nationale, la fiscalité et la santé, lui ont été transférés. La fiscalité directe relève de l’État, tandis que la Polynésie détient la compétence de fiscalité indirecte, notamment la TVA sur ses activités économiques (tourisme et perliculture) qui lui permet d’alimenter ses recettes, sous réserve de la conjoncture (forte baisse avec la crise sanitaire et crainte identique avec un éventuel conflit sino-taïwanais).
Elle bénéficie d’une dotation annuelle de 151 M€ dont 91 M€ libres d’emploi pour compenser la dette nucléaire, 9 M€ pour financer la distribution d’eau potable, l’assainissement et le traitement des déchets et 51 M€ pour les dessertes routière, maritime et aéroportuaire. À titre de comparaison, la DCT pour les transports maritimes et aériens est de 187 M€. Il faudra donc avoir les yeux grands ouverts dans le cadre d’une nouvelle architecture budgétaire.
Mais le transfert de compétence le plus inquiétant est celui de la santé. En Polynésie, l’espérance de vie est de 78,5 ans pour les femmes et 75 ans pour les hommes (85,5 et 80 pour l’Hexagone), soit 7 et 5 ans de moins. Les retombées nucléaires y participent certainement, mais n’expliquent pas tout.
Centralisme parisien
De plus, la Corse n’a pas encore résolu les dossiers déchets, transports intérieurs et extérieurs, énergie, distribution d’eau, assainissement et divagation des animaux. En incidence, notons que la Polynésie dispose d’un syndicat intercommunal gérant une fourrière animale.
Il serait donc présomptueux de rajouter la santé aux compétences actuelles, en raison des difficultés du système public hospitalier et privé, du vieillissement des professionnels de santé et du quasi-abandon du rural. Au surplus, le centralisme parisien risque de mener une opération de débudgétisation : le coût des compétences transférées est compensé par une dotation, qui est sous-évaluée au fil des années (inflation et évolutions salariales non prises en compte).
Voilà les garde-fous que devront avoir en tête tous les acteurs participant à la future négociation, sachant que l’île a surtout besoin d’ingénierie financière et technique, pour élaborer ses projets et leur financement.
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