Inflation galopante, hausse de l’énergie, moral et pouvoir d’achat en berne, la rentrée s’annonce incertaine pour le commerce de proximité
La crise sanitaire a fortement impacté l’économie française, mais pas seulement. Les habitudes de nos petits commerces ont également été bouleversées.
En un an, tout s’est accéléré : de nombreux commerçants ont dû créer une boutique en ligne du jour au lendemain pour s’adapter à la demande et pouvoir continuer de vendre leurs produits. Une démarche qui leur a permis de se positionner sur plusieurs canaux, et ainsi de composer avec les enjeux du commerce en ligne.
Grâce à ces efforts, nombre d’entre eux ont pu sauvegarder une partie de leur activité. Cependant, à peine sortie d’une crise sanitaire mondiale, les voici replongés dans une crise économique naissante. Le conflit en Ukraine, une inflation inédite depuis 30 ans, une baisse généralisée de la croissance. Comment envisagent-ils l’année à venir ?
Témoignages de commerçants ajacciens.
Les questions :
1. Comment vivez-vous cette rentrée ? (guerre en Ukraine, récession économique, inflation, changement climatique, guerre de l’essence)
2. Avez-vous ressenti une perte du pouvoir d’achat ? Quel est le moral des consommateurs ?
3. Subissez-vous la hausse des matières premières, de l’énergie ? Comment la répercutez-vous ?
4. Est-ce que vous pensez que les pouvoirs publics sont conscients de ce que vous subissez ?
5. Trouvez-vous les politiques mises en œuvre efficaces ?
Bruno, propriétaire d’une boutique d’habillement pour homme à Ajaccio
- Je pense que cette rentrée est très compliquée à bien des égards. La situation économique au niveau national n’est pas brillante et inévitablement cela se répercute sur notre région.
- Évidemment que nous ressentons une perte de pouvoir d’achat chez nos clients. Et pour ceux qui ne seraient pas concernés, nous observons une forme d’attentisme. Tout le monde est dans l’expectative. Est-ce que la situation va encore se dégrader ?
- Nous subissons la hausse à la fois de l’énergie et des matières premières. Pour ma part, certains fournisseurs ne trouvent plus de tissus à des prix honorables. Ce qui est dommage, c’est qu’en situation de crise, certains en profitent pour spéculer, y compris dans le domaine du textile. Pour le moment, je ne répercute pas ces augmentations. J’essaie pour ma part de consolider ma trésorerie. Je retarde une éventuelle embauche ainsi que des travaux que j’avais prévus cette année.
- Oui je pense qu’au niveau national, la situation est prise en compte par les pouvoirs
publics.
- Les politiques mises en œuvre sont souvent contradictoires, on nous demande de faire un effort sur notre consommation d’énergie, et pendant la coupe du monde, un avion va décoller pour le Qatar toutes les 10 minutes ! Au niveau régional en revanche, je crois qu’ils ne savent même pas que nous existons, et pour nous également ils sont invisibles.
Santa et Christine, respectivement propriétaires de deux commerces en centre-ville
- Nous avons l’impression qu’Ajaccio est une ville préservée.
Christine : Peut-être que je ne fais pas assez attention, mais je ne ressens pas encore l’impact de la crise.
- Christine : Oui en effet, le pouvoir d’achat baisse, le 15 ou le 20 du mois, les consommateurs se font plus rares.
Santa : Oui en effet, nous avons l’impression que les clients achètent au coup par coup selon leurs besoins, presque au jour le jour.
- Christine : Bien entendu, nous subissons cette hausse à tous les niveaux, et même en tant qu’utilisatrice, je m’aperçois que je fais plus attention à ma consommation d’électricité par exemple. Pour l’instant, je n’ai pas répercuté ces hausses sur mes prix de vente. Je vais essayer de tenir comme ça. Je suis de nature optimiste et en règle générale, nos clients essaient de se faire plaisir même en temps de crise !
- Oui, les pouvoir publics sont conscients aujourd’hui des difficultés, mais nous ne savons pas si les politiques mises en œuvre auront les effets escomptés.
- La tâche est compliquée…
Laurence, propriétaire d’une épicerie fine à Ajaccio
- Cette rentrée est marquée pour moi par un manque de sérénité, nous n’avons aucune vision sur l’avenir.
- Oui bien sûr, ma clientèle étrangère subit de plein fouet la crise. En ce qui concerne la clientèle locale, plus que le pouvoir d’achat, c’est le climat qui a rendu les choses compliquées. Il a fait très chaud cet été et la ville a été désertée.
- Les matières premières et certains produits augmentent de façon vertigineuse. Le saumon, par exemple ou le foie gras, dont la fabrication doit faire face à la grippe aviaire. Je vais être obligée de répercuter certaines augmentations sur mes prix, je n’aurai pas le choix si je veux survivre. Je fonctionne à vue.
- Les très petites entreprises ne sont pas un sujet prioritaire au niveau national et encore moins au niveau régional. Pourtant nous sommes un vivier pour l’emploi et la formation des jeunes. Le centre-ville se meurt et personne ne s’en soucie. Tout est décidé sans concertation avec les commerçants, les travaux, les parkings… C’est une hérésie !
- En Corse, nous ne tirons pas les leçons de ce qui se fait ailleurs, des réussites, comme des échecs. Résultat : des politiques incohérentes avec notre tissu économique.
Anne-Marie, propriétaire d’un magasin de fruits et légumes
- Aujourd’hui, c’est le seul sujet de conversation de nos clients, la crise, la guerre, l’inflation. Tout le monde est inquiet, même les plus optimistes.
- Nous observons une perte du pouvoir d’achat, c’est indéniable. Les consommateurs font très attention. Ils achètent moins et les remarques sur les prix sont plus nombreuses.
- Les emballages, les produits d’entretien, voient aujourd’hui leur prix flamber. Certains de mes fournisseurs ne produisent plus. Par exemple, je ne vends plus aujourd’hui de yaourts fabriqués artisanalement, car le verre est devenu trop cher. Tout augmente, la production, le transport, l’énergie. J’essaie de répercuter ces hausses au minimum. Si je devais aligner mes prix par rapport à la situation actuelle, j’aurais honte. Nous nous posons beaucoup de questions par rapport à Noël, par rapport à tous les produits exotiques que nous vendons à cette période. Nous essayons de favoriser les circuits courts, les productions locales. Mais, elles ne sont pas nombreuses, avec peu de volume. Quand vous pensez qu’au temps des Romains, la Corse était un grenier à blé ! Aujourd’hui, peu de jeunes ont repris les productions des anciens et c’est dommage.
- Je ne pense pas que les politiques ont conscience de notre situation. Ils ne sont pas dans la vraie vie à tous les niveaux. Nous manquons cruellement de personnel, et aucune mesure n’est mise en place pour inciter les gens à travailler.
- Pour les petits commerces de proximité, tant au niveau national que régional, personne n’est à l’écoute de nos besoins. Cela fait deux ans que j’essaie de remplacer un de mes employés qui a démissionné, sans succès.
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