L’An Neuf s’inaugurera par une nouvelle bataille politique picrocholine dont la rudesse vaudra le ridicule : la bataille des retraites où personne ne veut battre en retraite.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’académie de Corse
La bataille sera rude parce que tous les syndicats ont décidé d’affronter un gouvernement qui ne peut plus céder, parce que les gens refusent de travailler plus longtemps et parce que nul ne peut ignorer que le financement du système par répartition devient très fragile quand il ne repose plus que sur moins de deux actifs pour un retraité. Mais elle sera ridicule parce que précisément ce système ne pourra durer longtemps en l’état, parce que la réforme ne sera que paramétrique et non structurelle, parce que personne en l’affaire n’est vraiment de bonne foi : réformer n’est pas aussi urgent que l’annonce le gouvernement même si c’est nécessaire et le temps de négociation aurait très bien pu se prolonger ; la partie syndicale, quant à elle, refuse tout report de l’âge légal et bien entendu toute diminution du montant des retraites comme elle se montre plus que frileuse pour augmenter les cotisations.
Personne ne voulant battre en retraite, la bataille aura bien lieu. Au Parlement, la majorité relative s’escrimera sans doute avec succès pour obtenir le vote d’une droite qui, si elle ne le faisait pas, serait ridicule car elle réclamait cette mesure depuis toujours sans l’avoir faite quand elle était au pouvoir. Dans la rue, les syndicats qui ne sont presque d’accord sur rien tenteront et sans doute réussiront à défiler massivement pour manifester une illusoire unité retrouvée.
La carpe et le lapin
Le risque d’affrontements sera important par la présence dans les cortèges ou à leur proximité d’éléments violents incontrôlables dont on ne sait trop si leur extrémisme est de gauche ou de droite.
Au moment du vote, on verra s’allier objectivement, comme on disait naguère, ceux qui regardent du côté du Venezuela ne pouvant plus décemment se tourner vers le soviétisme et ceux qui louchent vers une Italie sensible aux mânes de Mussolini faute d’un général Boulanger disponible.
Rude et d’autant plus ridicule sera la bataille qu’elle va bloquer à répétition le pays et porter des coups à son économie déjà mise à mal par une crise inflationniste liée à une guerre aux portes de l’Europe.
Pire encore la majorité des Français massivement hostiles à la réforme n’ont pas compris que les cotisations dans un régime par répartition ne paieront pas leur future retraite mais paient celles des retraités actuels. Ce système qui permet aux travailleurs à salaire faible d’avoir une retraite, fût-elle très insuffisante, n’est pas une assurance volontaire pour soi-même, ce que serait un système par capitalisation : les syndicats sont d’ailleurs à juste titre hostiles au passage à un tel système même s’ils en gèrent un complémentaire dans la fonction publique qui bénéficie de pensions et non pas de retraites. Notre système est par bonheur plus un système de solidarité qu’une simple assurance.
Laissés-pour-compte
Le ridicule est atteint parce que les uns risquent d’échouer à cause de l’hostilité de l’opinion, alors que la réforme est nécessaire, parce que les autres sont dans un déni de réalité : François Mitterrand avec Pierre Mauroy commença par ramener à soixante ans l’âge légal de la retraite au moment où tous les autres pays européens le reculaient et le gouvernement Jospin plus tard réduira obligatoirement le temps de travail à trente-cinq heures à partir du 1er janvier 2002 par deux lois de 1998 et 2000 au lieu de mieux rémunérer les salariés, en sachant que le financement des retraites poserait problème à partir de 2010.
Mais aussi picrocholine que soit cette bataille son ridicule ne se terminera pas par un éclat de rire rabelaisien, mais par des pleurs tragiques : les petites retraites ne seront pas revalorisées, la pénibilité du travail sera toujours autant ignorée, le travail des femmes toujours aussi insuffisamment reconnu et l’économie s’affaiblira alors qu’elle reprenait et la dette déjà insupportable pourrait devenir abyssale.
Mort sociale
Au lieu de se réjouir de la hausse importante de l’espérance de vie, de l’augmentation de la durée des études, qui toutes deux appellent une réforme des retraites par répartition, au lieu de réformer et d’améliorer les conditions de travail et les salaires, on tourne le dos à la vie en refusant le travail : aujourd’hui un peu plus d’un quart des Français en fait une valeur importante.
On pourrait imaginer des départs à la retraite progressifs permettant la transmission entre générations mais on continue de faire comme si la retraite était une mort sociale, antichambre du cimetière, au lieu de parier sur la vie.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.