Le projet d’un centre hospitalier universitaire suscite la polémique. Le lieu d’implantation fait débat, alors que cette réalisation joue encore l’Arlésienne. Il y a loin de la coupe aux lèvres et pour l’heure le dossier est toujours dans les cartons du virtuel. Ces dissensions alimentées par un argumentaire géographique remet en selle les dissensions entre deux Corses, celle du sud et du nord. Une frontière que naïvement on croyait détruite sous l’impulsion de l’intérêt général.
Par Jean Poletti
Pourquoi le nier. Dans maints domaines, le col de Vizzavona est tout à la fois géographique et sociologique. Vérité en deçà des monts, erreur au-delà. La formule n’est pas ici en terre étrangère. Loin s’en faut. Pourtant à coups de slogans, de propos unitaires et de formules générales d’aucuns pensaient que cette fracture était sinon résorbée à tout le moins réduite.
L’hypothèse d’un Centre hospitalier universitaire vient brutalement briser cette idée unioniste. Elle recèle le paradoxe et alimente l’interrogation. La revendication initiée d’emblée par Corsica Libera, trouva certes écho favorable dans le landerneau des praticiens continentaux. Pour autant le ministre de la Santé émit un véto qui sans être définitif obérait toute chance d’épilogue souhaité. Les parlementaires Colombani et Acquaviva cosignèrent cette requête. Et tout aurait pu se circonscrire au refus de l’État d’en finir avec le fait que l’île soit la seule région de l’Hexagone et d’Outre-mer d’être dépourvue d’une telle structure. La mariée était en quelque sorte trop belle, permettant de crier haro sur Paris et de brandir le drapeau de l’injustice. Mais rien ne se passa comme prévu. Le troisième député nationaliste joua sa partition. Non à l’implantation du CHU à Ajaccio car cela lèserait Bastia.
Certains diront qu’à tout le moins Michel Castellani met la charrue avant les bœufs. D’autres nuanceront en soulignant que si la cité impériale hérite de cette installation, il en sera fini des chances d’ouvrir un nouvel hôpital en replacement de celui de Falconaja. Qui à l’évidence a fait son temps et ne répond plus aux attentes de la population nordiste.
Élan brisé
Pour autant fallait-il d’emblée médiatiser la philippique. Dire sans ambages une opposition caractérisée alors que cette création en est à maints égards qu’au stade du vœu pieu ? N’est-ce pas dissension officialisée susceptible de réduire davantage encore les chances de voir un jour cette unité médicale, dont seule notre collectivité est dépourvue ?
En clair et pour schématiser d’aucuns pensent qu’une telle diatribe équivaut à lâcher la proie pour l’ombre et affaiblir davantage encore une démarche qui déjà se heurtait à d’extrêmes réticences dans les sphères décisionnelles. Celles-ci, ne feront-elles pas leur miel de ces cassures insulaires pour conforter leurs positions intransigeantes ?
Nulle volonté en l’occurrence de jeter un pavé dans la mare. Donnons même au député nordiste quitus sur les craintes qu’une ville devienne le parent pauvre de l’accès aux soins, tandis qu’une autre en plus d’un hôpital flambant neuf raflerait la mise du CHU.
Mais au-delà de tout jugement de valeur, l’actuelle philippique doit s’analyser au plan des principes et non de la plausible validité d’un argumentaire.
Le résultat est patent. Les conséquences aisément déchiffrables. L’élan d’emblée unanime est brisé. Il avait reçu l’apport de certains praticiens de renom, et bien d’autres, pour qu’enfin le principe de cette réalisation soit acté en haut lieu et laisse place au sentiment d’être non seulement écoutés mais également entendus.
Le scénario s’est modifié. Et au risque d’insister plus que nécessaire, cette sorte de dramaturgie entre insulaires pourrait anesthésier définitivement l’espoir d’une amélioration de l’offre, de soins dont l’île a cruellement besoin.
Au nom de l’équité
Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ? Nullement rétorqua-t-on du côté de la capitale de Haute-Corse, au nom de l’équité territoriale où il ne convient pas de déshabiller Michel pour vêtir Laurent.
Et maintenant ? Sans doute convient-il comme le font certains dans le sillage de l’édile territorial, Bianca Fazi, de ne pas confondre l’essentiel et l’accessoire. Ou s’appesantir plus que de raison sur des interrogations à tout le moins prématurées. Avant que de se déchirer sur un lieu ne serait-il pas préférable que l’île parlât d’une seule et unique voix sur l’exigence d’une création en butte à tant de pesanteurs, qui renvoient au déni de justice.
Trouver les voies du consensus. Le député de Bastia à l’évidence ne ferme nulle porte. Il prône « un CHU éclaté en deux pôles avec un siège qui ne peut être universitaire. Toute autre structure ne conviendrait pas aux réalités de la Corse. Je ne me suis pas retrouvé dans cette proposition de loi et je ne l’ai pas signée et ne la signerai pas. » Dans ce doit fil, il faisait essentiellement référence à la résolution de Philippe Juvin et de seize autres députés du groupe Les Républicains. Extrapolation ? Sauf à n’avoir pas décrypté les propos de ce dernier, rien n’indique une préférence pour le choix géographique. Mais puisque le débat est ouvert et que les divergences sont perceptibles, mieux vaux les transcender. Et ainsi trouver le point d’équilibre, source d’un accord entre insulaires, qui ôterait tout argument supplémentaire chez ceux, qui sur les bords de la Seine, campent sur une position proche de l’hostilité.
Le fond et la forme
Il est parfois utile de porter la plume dans la plaie afin de mettre chacun devant ses responsabilités. À cet égard comme nous l’avions explicité voilà deux mois dans ces colonnes, François Braun du haut de ses certitudes ministérielles opéra une amputation sur le dossier en gestation. Dans sa formulation, nulle gêne de fouler aux pieds la législation prévoyant un Centre hospitalier universitaire dans chaque région. En lot de consolation des mesures compensatoires. Ses explications laissent d’autant plus pantois que lui aussi est un médecin, et à ce titre au fait de l’importance d’une telle création. Elle se décline au niveau médical, pédagogique et comble à maints égards le différentiel que subissent les patients contraints plus souvent qu’à leur tour de se rendre sur le continent. Bien sûr, le ministre reconnaît le handicap de l’insularité. Certes, il acquiesce aux difficultés spécifiques diverses et variées. Bien sûr, il intègre les carences de l’accessibilité aux soins. Mais le constat mesuré à l’aune des évidences requiert de sa part un épilogue surprenant. La réponse ? Le développement de filières régionales comme le centre ressource sclérose en plaques ou la neuroradiologie interventionnelle. Et d’hyper spécialités articulés avec des partenaires continentaux. Palliatifs indigents rétorqueront ceux qui veulent simplement que la Corse ne fasse pas en ce domaine figure d’exception d’un dispositif en vigueur partout ailleurs. Pas plus qu’ils ne se satisfont pas de la triste formule de l’avion, meilleur médecin. La rupture de l’égalité des soins ? Elle passe sans doute cher François Braun au chapitre des pertes et profits. Jugement partial et dès lors trop sévère ? Pas vraiment quand on entend médusés son analyse qui mérite d’être gravée dans le marbre de du fallacieux. « La crise sanitaire a démontré la capacité du système de santé corse à porter et organiser des réponses sécures et de qualité. » Tout est donc presque pour le mieux dans le meilleur des mondes thérapeutiques possibles. Et dans ce cas, réclamer l’innovation relèverait de la chimère.
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