Portrait
Cinéaste curieux des autres, Guy Beauché est davantage animé par l’homme et les rencontres que par des thèmes en particulier. Sa filmographie se penche ainsi volontiers sur des histoires qui par leur singularité viennent illustrer la condition humaine, attentif à donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. C’est ainsi que son dernier film Les larmes de la Légion nous donne à découvrir, au travers le récit de trois disciplinaires, Daniel, Michel et Luc qui y ont été internés, « la section d’épreuve du domaine Saint-Jean », un camp de discipline de la Légion étrangère basé à Corte entre 1969 et 1976, où l’on pratiquait les travaux forcés mais aussi la torture. Un film fort pour témoigner d’une histoire sombre et participer à lever l’omerta.
Par Karine Casalta
Une histoire qui s’est passée en France, il y a moins de 50 ans, que les derniers protagonistes aimeraient voir reconnue pour obtenir réparation, pour eux mais aussi pour tous ceux aujourd’hui disparus ou qui n’osent pas parler et se taisent encore.
Une histoire qui a interpellé Guy Beauché, à plus d’un titre et dont il n’a pas hésité à s’emparer, car l’empathie est sans doute ce qui caractérise le mieux le réalisateur.
Fortement attaché à la Corse de par ses racines maternelles basées à Piana, et à Corte en particulier, où il s’est enraciné et se rend régulièrement depuis l’enfance pour y retrouver famille et amis, il avait depuis longtemps l’envie de faire un sujet de société en Corse, hors des clichés convenus.
S’indigner de l’inacceptable
Une amie d’enfance cortenaise lui parle alors un jour de de Michel Trouvain en grève de la faim. Attiré par le vécu et les histoires humaines, il va se renseigner sur le combat de cet ex- détenu de la Section d’épreuve de la Légion, à Corte, qu’il découvre notamment à travers un article du Monde signé de Paul Ortoli. « Son histoire m’a tout de suite interpellé et surpris. Je vais à Corte depuis que j’ai six ans et je n’avais jamais entendu parler de ce camp qui se trouve à peine à deux kilomètres du centre-ville, ni des traitements qui y étaient infligés. Ça m’a paru complètement hallucinant qu’un camp de torture ait pu exister si près d’un endroit où des gens vivaient et s’amusaient ! »
Une dérive sans contrôle, car aucun supérieur ne venait en Corse voir ce qui s’y passait. « Là aussi il était intéressant de montrer combien personne ne se souciait de la Corse dans les années 70. On y a installé des garnisons, pour donner un coup de main à l’économie de la région, mais somme toute c’était des gens de peu d’importance dont on ne savait que faire ailleurs, comme ce camp discipline de la Légion qui venait remplacer celui basé dans le Sahara jusqu’à la guerre d’Algérie. Quatre cent personnes y sont passées durant toutes ces années, des légionnaires dont personne ne se souciait, finalement peu de monde au regard de l’armée. Mais c’était avant tout des hommes et personne ne mérite de subir ce qu’ils ont vécu. »
Surpris et étonné par leur histoire, il lui est apparu évident de réaliser un film sur ce sujet, car dit-il : « Il ne faut pas hésiter à se faire lanceur d’alerte face à des choses indignes et briser les lois du silence où qu’elles se trouvent. »
Guidé par l’empathie et la tolérance
C’est ainsi qu’à travers son métier, le documentariste donne régulièrement la parole à ceux à qui l’on nie le droit de s’exprimer : « Il est vrai que j’ai la chance d’avoir le droit de m’intéresser à tout, et comme je suis curieux, je peux faire une série documentaire sur les volcans pour Arte (Des Volcans et des Hommes) comme un film en prison (Le Grand jour : de la prison à l’Odéon), ou un film sur des gens qui ont mis leur vie en péril pour sauver celle des autres (Héroïque), ou encore une série sur un autiste asperger qui voyage dans le monde entier (Voyage en Autistan)… je n’ai pas de thème particulier, mais petit à petit je me rends compte que ce sont les histoires humaines qui m’intéressent le plus, les hommes et ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils ont à raconter. Les problématiques de gens qui ont rarement la parole ont tendance à m’attirer. C’est notamment Albert Jacquard le généticien et philosophe – à travers le premier film qui m’a vraiment lancé Albert Jacquard, jamais sans les autres – qui m’a appris l’importance des autres. Il m’a appris à quel point ils étaient importants et à quel point on avait besoin des autres dans la construction de soi. À quel point aussi il fallait être tolérant et donner la parole à ceux qui ne l’ont pas ! »
C’est ainsi que travaillant actuellement sur de nouveaux films en projets, on va le retrouver aussi bien à la réalisation d’un film scientifique pour France 5 sur la grotte Chauvet à l’occasion du trentième anniversaire de sa découverte, que sur un film sur l’inceste qui retrace le portrait d’un homme qui en a été victime, pour France3 région Centre, là encore pour s’indigner de quelque chose d’inacceptable ou encore à une série pour Canal+, Voyage en Autistan qui nous fait découvrir le monde à travers les yeux d’un autiste asperger.
Une sensibilité cinématographique née dans l’enfance
Rien ne prédestinait pourtant Guy Beauché à devenir réalisateur si ce n’est une passion pour le cinéma née dans l’enfance, et l’habitude depuis tout petit de voir son père filmer avec sa caméra Super 8 et faire des montages de films de famille. Issu d’un milieu modeste, il grandit en effet loin du sérail cinématographique, à Grigny en banlieue parisienne, entre des parents animateurs en MJC passionnés de musique et de cinéma qui très tôt le sensibilisent à cet art. Ayant toujours été attiré par ce milieu, il s’engage cependant au départ dans des études de sciences économiques, avant de réaliser qu’il se trompe de voie et choisir de s’orienter vers l’audiovisuel et se former au montage. Après son service militaire, il se spécialise ainsi dans le montage de films documentaires et de courts métrages, collaborant en tant que monteur durant quinze ans avec plusieurs cinéastes de renom tels que Fabien Onteniente ou Cédric Klapisch, pour ne citer que ceux-là, et travaille régulièrement pour la télévision pour des chaînes comme LCP, Canal+ ou encore France 5.
Aujourd’hui réalisateur et cameraman, il est riche d’une filmographie extrêmement variée, qui lui permet de se risquer à tourner des sujets plus difficiles à financer tel que Les larmes de la Légion ».
Participer à briser l’omerta
« Un film qui contrairement à certain projet a été bouclé assez vite », dit-il, grâce au soutien des producteurs, Bonne Pioche et Storia Production, et la commande quasi immédiate de France 3 Corse ViaStella qui a permis la mise en œuvre très rapide de ce projet. Avec la garantie donnée aux témoins que le film allait réellement se faire, ce qui les a incités à collaborer.
Le film sera ainsi diffusé le 24 mai en prime time sur ViaStella puis dans le courant de l’année sur Public Sénat.
« J’espère que ce film a fait du bien à ces témoins que personne n’a jamais entendu et libérera la parole d’autres disciplinaires qui n’ont jamais osé parler, sûrs qu’on ne les entendrait pas. Et il y a urgence, car abîmés par la vie, ils sont de moins en moins nombreux ! J’espère aussi que cela fera bouger les choses, que le film aidera à faire réouvrir les archives pour que l’on sache enfin ce qu’il s’est passé. Et il serait tout à l’honneur de l’Armée et de l’État de reconnaître des horreurs qui se sont passées si récemment sur le territoire français. »
Désormais le film est une trace dont il appartiendra à tout un chacun de s’emparer pour ne pas oublier.
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