On croyait l’île épargnée par les délits, chapardages et autres larcins ou petits dealers. Il n’en est rien. Pis encore ce phénomène prend de l’ampleur et progresse à bas bruit dans une société qui se focalisait exclusivement sur le grand banditisme ou la violence politique.
Par Jean Poletti
Longtemps ici fut chanté le particularisme d’une région ou, contrairement à l’actualité de l’Hexagone, la délinquance ordinaire n’avait pas droit de cité.
Radical changement d’époque. Voici venu le temps des exactions sans envergure qui se répandent sur le littoral et dans l’intérieur. Elles créent au-delà des désagréments, l’incompréhension des victimes, tant l’inconscient collectif était nourri d’une Corse étrangère à ces délits.
Sans verser dans le romantisme d’un récent passé, le fameux « c’était mieux avant » résonne à nos oreilles. Les portes des maisons que l’on ne fermait pas à clé, la voiture aux portières déverrouillées, le petit commerçant qui ne craignait pas pour sa recette, des habitudes parmi tant d’autres qui témoignaient d’une quiétude certaine. Nouveaux temps, mœurs différentes. Il n’est plus rare d’apprendre que des habitations de villages, à Asco et ailleurs, sont la proie d’indésirables visiteurs du soir. Ou qu’ici et là des véhicules sont volés quand ils ne sont pas amputés de leurs pneus voire des éléments de carrosserie. Ou tout simplement brûlés. On pourrait poursuivre à l’envi l’énumération de ces méfaits dont la multiplication leur fait quitter subrepticement les lisières du fait divers pour atteindre celle du fait de société.
L’île, qui semblait faussement à l’abri, déchante. Réveil brutal. À la prégnance de la grande voyoucratie se superpose celle des petits malfrats, que les parrains nomment avec un certain dédain « les suce-mégots ».
Fulgurante progression
Ce bouleversement qui happe notre région ne suscite que peu ou pas d’interrogations. Comme si cette intense prolifération délictueuse constituait un chapelet de non-événement. Drôle de drame !
Pourtant, une statistique du ministère de l’Intérieur, révélée par Corse-Matin, détaille les crimes et délits de chaque région. La Corse y figure en bonne place. Certes, elle n’est pas sur le podium des championnes toute catégorie. Mais fait nouveau et significatif la fulgurante progression des brigandages, pillages et malversations, est dûment soulignée.
Ainsi est officialisée la hausse significative de cette délinquance dite de voie publique, qui frappe de plein fouet les personnes et les biens. Et encore ce document ne retient que les cas dénoncés par des plaintes, contraventions et gardes à vue. Par essence et définition, il laisse dans le domaine de l’inconnu les cas divers et variés qui ne sont pas répertoriés, faute de procédures dûment enregistrées.
Au-delà des froides statistiques et habituels comparatifs, un seul chiffre suffit à fixer les esprits. En une année quelque trois mille quatre cents dégradations et destructions ont été recensées. La magistrature confirme ce tableau peu reluisant, tout en attendant de déceler s’il n’est pas en partie consécutif à la dramatique l’affaire Colonna. Ou si à l’inverse, cela indique un processus, qui s’enracine et s’inscrit durablement dans le paysage insulaire.
Mais quels que soient ces arguments que l’on veut croire strictement liés à la prudence, sans autres considérations dévolues à atténuer le phénomène, un fait en tant que tel incontournable demeure. Durant trop longtemps, sans doute, l’autorité étatique et ses représentants sur place sont demeurés cloîtrés dans la certitude qu’hormis le milieu structuré nulle délinquance dite mineure n’était à redouter.
L’aubaine des petits dealers
La réalité détrône sans autre forme de procès les certitudes admises comme des vérités indéracinables.
Dans cette erreur de jugement figure en bonne place la drogue qui circule, sommairement dissimulée sous le manteau des revendeurs. Plus de six pour cent de plus que l’an dernier, soit le triple de la moyenne nationale ! Les points de deals se multiplient. Il se dit que les « fourmis » du trafic ont désormais leurs points de vente attitrés. Et qu’ici aussi la livraison à domicile est une lucrative facette du commerce des doses.
« A drogua no » le slogan qui fit florès dans un récent passé est devenu poudre aux yeux, prenant rang de fatalité. Presque de normalité.
Ne serait-il pas temps qu’un service soit exclusivement dédié à la lutte contre les stupéfiants ? Il existait naguère, mais sans doute pour des raisons d’économie il fut démantelé.
Quoi qu’il en soit, les analyses et bilans rejoignent le ressenti de la population. Rien ne va plus. La prolifération de cette délinquance participe à l’écriture de la chronique d’une Corse à la dérive, ayant perdu ses repères. Séduite par l’argent facile, ou abonnée aux crapuleries gratuites, fusse au détriment des habitants.
Certains auront beau répéter en lancinant leitmotiv que notre spécificité est l’antidote aux déprédations, rapines, et ses cohortes néfastes, le réalisme amène à une conclusion diamétralement opposée. Le déplorer ne suffit pas. Jeter l’anathème non plus.
Mauvais présages
Sans doute convient-il de s’interroger sur le causes profondes qui conduisent à ce désastreux épilogue. Désormais s’agissant de la délinquance quotidienne on ne peut plus claironner qu’ici c’est différent d’ailleurs, mais c’est comme partout ailleurs. Piètre consolation. Et comme dirait le citoyen déboussolé, mais où sont les rêves d’antan. Sans préjuger de l’avenir qui s’ourle de mauvais présages.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.