« Nation, Patrie » des concepts dont il est difficile de parler dans notre île du fait que les membres d’un mouvement politique, aujourd’hui majoritaire à l’Assemblée de Corse, ont choisi, depuis son origine de s’appeler nationalistes.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
La connotation historique du mot revêt en France une connotation négative forte depuis la Seconde Guerre mondiale. En Polynésie française, comme en Nouvelle-Calédonie, ceux qui veulent se séparer de la République française préfèrent s’appeler indépendantistes. Cette connotation négative, celle de la droite extrême s’avère excessive voire injuste à l’égard du mouvement corse qui dans les faits a en son sein des indépendantistes et des autonomistes. Mais ce sentiment d’injustice et d’excès ne doit absolument pas empêcher de penser d’autant plus que depuis quelques années les élections dans l’île pourraient bien confirmer cette connotation : quand les nationalistes corses sont absents des scrutins, les nationalistes français sous la forme du Rassemblement national se révèlent être le premier parti.
On voit bien là une contradiction du moins apparente car comment peut-on souhaiter une distance institutionnelle voire une séparation d’avec la République française et le manifester en portant son suffrage sur les partis nationalistes de la France.
Une telle contradiction n’est possible que parce qu’on a oublié ce que veulent dire « nation » et « patrie ». La « nation » que l’étymologie rattache au verbe « naître »renvoie d’abord à une hérédité, un pur nationaliste revendique d’ailleurs le droit du sang. Sa définition contemporaine, « une communauté de destin », est plus qu’insuffisante voire constitue un sophisme. Le destin, en effet, est l’ensemble des réalités passées, présentes et futures qui emprisonnent l’homme et le privent de liberté.
Héritage et hérédité
Référer l’idée de « nation » au destin c’est donc la sortir de la sphère du politique. Inversement la « patrie » appartient à la même famille de mots que « père, patrimoine » et renvoie donc à l’héritage et non à l’hérédité. Curieusement la grande conférence d’Ernest Renan du 11 mars 1882 à la Sorbonne, fondatrice dans la modernité de l’idée de « nation » se révèle être une réfutation du nationalisme au point qu’il nous apparaît plutôt définir la patrie. Voici ce qu’il dit : « L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni des cours des fleuves, ni de la direction des chaînes des montagnes. » En fait le nationalisme non seulement « c’est la guerre » comme le président François Mitterrand le déclarait pour inaugurer le 17 janvier 1995 la présidence française de l’Union européenne, mais encore, si Renan parle juste, c’est un antihumanisme. Écoutons encore Renan : « La nation est une âme, un principe spirituel », « un legsde souvenirs », « un capital social », « un héritage de gloire et de regrets ». Dans sa conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? », Renan nous définit en fait ce qu’est une patrie et non pas ce qu’est une nation. Nous suivrons Renan mais entendrons sur le continent et sur l’île, « patrie » et non « nation ».
Le président Mitterrand fustigeait le nationalisme car il savait que c’était la guerre dans le passé et qu’il pourrait le devenir dans l’avenir. La Première Guerre mondiale fut déclenchée par le mécanisme affolé des nationalismes européens, la Seconde fut celle du nationalisme devenu barbarie, puis le stalinisme et ses massacres furent le produit du nationalisme russe et ont défiguré sans doute définitivement l’idéologie communiste.
L’exemple de l’Ukraine
La guerre d’Ukraine est bien le retour du nationalisme, porteur de guerre. Churchill, patriote britannique, malgré des hauts et des bas, voyait son propre patriotisme chez le général de Gaulle.
La France Libre et la Résistance mirent à l’œuvre un patriotisme français qui ne fut pas que français mais fut arménien, lituanien, russe, espagnol, polonais… Ce qui montre que le patriotisme grandit et ouvre alors que le nationalisme réduit et ferme. Ne pouvant être nationalistes français, nous ne pouvons pas l’être corses, mais comme nous pouvons nous reconnaître dans le patriotisme français nous pouvons comprendre le corse.
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