Autorité
Lors de la passation de pouvoir entre l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, et son successeur, Gabriel Attal, nous avons pu entendre deux discours totalement différents au point qu’ils ne se répondaient pas mais demeuraient sur deux mondes parallèles : l’École et la Politique.
Par Michel Barat ancien recteur de l’académie de Corse
Le nouveau ministre a fait de la politique en répondant à une demande à la fois populaire pour ne pas dire populiste mais aussi bien réelle : de l’autorité avant toute chose. L’ancien nous a parlé de l’École. Certes l’École est ou devrait être un lieu d’autorité, celle des maîtres donc celle du savoir. La Société quant à elle réclame aujourd’hui une autorité fondée sur le pouvoir. On ne parle peut-être pas de la même chose. L’autorité que détient ou détenait le maître est celle qui selon l’étymologie du mot augmentait la puissance de la personne sur qui elle s’exerce, l’élève : l’autorité du maître élève l’élève, le rend plus grand et souhaite le rendre plus grand que le maître. Il n’y a pas de meilleur exemple de ce type d’autorité que l’instituteur d’Albert Camus, Louis Germain, auquel le prix Nobel de Littérature vouera toujours un respect reconnaissant et chaleureux.
Louis Germain avait permis d’élever « le petit enfant pauvre », pour reprendre les propres mots d’Albert Camus. Les hussards noirs de la République que furent les instituteurs n’étaient pas noirs mais lumineux, nous souhaitons qu’on leur permette de le redevenir.
Reconquérir la place du savoir
Mais quand l’autorité se confond avec l’exercice du pouvoir, elle se décrète et peut se défigurer en autoritarisme qui n’augmente ni n’élève ceux sur qui elle s’exerce mais au contraire les diminue et les abaisse. À l’École plus qu’ailleurs l’autorité se conquiert et c’est d’autant plus difficile dans une société où le savoir cesse de faire autorité, où le sondage d’opinion se substitue à l’authentique enquête scientifique, où le venin lâché souvent anonymement sur les réseaux sociaux se substitue au débat éclairé dont l’apprentissage lent exige de longues années d’École. L’Autorité de l’École, académique disait-on, a besoin de temps, celui de l’apprentissage de la lecture et de sa pratique, de la discipline scientifique qui n’est surtout pas dressage mais méthode, fût-elle celle du doute dans la tradition philosophique française. À l’école, les élèves se mettaient en rang pour pouvoir courir librement dans la cour de récréation et pour devenir des citoyens libres dans l’espace d’une société républicaine et démocratique.
Le nouveau ministre a sans aucun doute raison de permettre la reconquête de l’autorité des maîtres, mais faudrait-il encore reconquérir la place du savoir dans toute la société : à force d’avoir reproché à la République française d’être la République des savants, on court le risque d’en faire la démocratie des ignorants. Or c’est bien l’ignorance qui est la mère de tous les totalitarismes et de tous les esclavages.
L’école de la République
Un peuple qui n’aime plus l’École devient une foule prête à toutes les exactions et à mettre au pouvoir les pires dictatures. Il n’est pas interdit en forçant un peu les choses au regard des sondages d’opinion, des résultats électoraux, abstention comprise, et des violences urbaines que la France pourrait se laisser entraîner sur cette pente.
Alors Gabriel Attal a bien raison de vouloir restaurer l’autorité des maîtres, donc du savoir mais lui doit savoir que cela sera long, que les résultats ne seront pas immédiats. Peut-être même devra-t-il revenir à cette utopie non seulement de l’École française mais encore de la République : ce n’est pas l’École qui est faite pour la Société mais la Société pour l’École. S’il veut réussir, il doit écouter le discours de son prédécesseur qui inscrit l’action du ministre de l’Éducation nationale dans toute l’histoire du fait républicain depuis l’Instruction Publique à nos jours et comprendre que le temps de l’École est celui de la vie avant d’être celui de la Politique. Or ce temps prend son temps. Peut-être faudra-t-il que le jeune homme pressé se fasse vieux professeur.
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