U RUGHJU D’UN INDIANU
« Occuper l’espace public et faire passer des messages » voilà ce qui anime le graffer bastiais qui sévit dans la rue depuis quasiment sept ans. Le rouge, le noir et le blanc décorent les murs des quartiers de la ville de Bastia avec un sens artistique de plus en plus aiguisé.
Par Vannina Angelini-Buresi
Les bombages qui fleurissent depuis des décennies le long de la route et sur les différents murs de nos villes et villages ont toujours plus ou moins inspiré l’artiste. Il a délaissé ses feutres noirs, ses personnages aux allures fantastiques, ses planches de bandes dessinées pour s’armer de bombes de peintures. L’enjeu ? Prendre part au grand débat de société qui se déroule depuis bientôt cinquante ans à ciel ouvert aux quatre coins de l’île.
L’environnement, la terre, la langue, l’injustice… sont autant de sujets qui le bouleversent et le passionnent à la fois. Pour cet autodidacte, son moyen d’expression a toujours été le dessin.
PIOMBU, c’est le nom d’artiste qu’il a choisi depuis qu’il s’exprime au grand air. Bien plus que des bombages améliorés, c’est de l’Art qui orne désormais les murs de la ville. Il a apporté aux « traditionnels » bombages de revendications, une véritable touche artistique et souvent même philosophique. Il y a de la recherche dans son travail, un vrai sens de l’esthétique accompagné pour la plupart de messages subliminaux.
Un artiste engagé
Ugo Peter a toujours dessiné et n’a jamais vraiment été attiré par les couleurs, très jeune il réalisait des dessins très sombres avec des personnages étranges, héros de bandes dessinées. Le feutre, le crayon, le pinceau et aujourd’hui la bombe sont ses outils de communication. Il ne cesse d’expérimenter de nouvelles techniques, son travail évolue en même temps que sa réflexion, or depuis quelques années son champs de prédilection est resté figé !
Il suffit qu’il observe autour de lui. Le quotidien et ce qui se passe en Corse vont le révolter et du coup l’inspirer.
Sa signature exacte est PIOMBU 1976, nom de scène très symbolique, Piombu en référence à la chanson de Canta u Populu Corsu « A Palatina » et le fameux : « U piombu salterà… ». Son logo, à la façon d’un émoji noir séparé en deux par un trait rouge est un clin d’œil à la cagoule portée par le FLNC créé auparavant en 1976…
Son univers s’est construit autour des revendications du mouvement nationaliste, mais pas que, les revendications écologiques sont formulées très clairement via son travail.
Dernièrement, elles ont été explicitement exposées à travers le décor des deux concerts des Chjami Aghjalesi à Bastia è à Aiacciu. Sur scène en toile de fond, des messages forts et des dessins qui dénonçaient très clairement la spéculation et la bétonisation qui détruisent la Corse. Une réalisation en étroite collaboration avec CastaLibre, graphiste, concepteur de site web et ami de l’artiste avec lequel il avait déjà travaillé par le passé.
Il commence à avoir la cote et on le sollicite pour diverses collaborations, c’est le fruit de son travail.
L’étau se ressert, l’espace se rétrécit
Récemment, la Galerie Joal soutenue par la ville de Bastia proposait un projet artistique à Ugo pour valoriser le graffiti et revitaliser les espaces publics. Piombu a réalisé à leur demande une fresque qui habille désormais un grand mur délabré de Bastia, rue Gabriel Péri, une œuvre qui délivre divers messages tous en lien avec les problèmes que connaît malheureusement la Corse. La Galerie Joal souhaiterait que ce projet se pérennise avec d’autres artistes d’ici et d’ailleurs.
La Galerie Joal qui possède également une galerie à Paris a embarqué il y a quelques semaines les œuvres de Piombu 1976 dans ses valises et a permis à l’artiste de travailler en résidence sur 3 œuvres durant 15 jours. Le vernissage de « Rughji Neri » a eu lieu le 10 novembre dernier. Encore un tournant dans le parcours artistique de notre graffer, qui a exploré d’autres techniques et a dû travailler sur des toiles avec différentes matières et divers outils comme une meuleuse. Au cours de cette résidence, Ugo s’est inspiré de très nombreux graffitis qui illustrent les murs de la ville mais il a visité également les musées.
Parmi les œuvres réalisées sur place, un nouveau portrait d’Yvan Colonna sur toile cette fois, portrait déjà créé à Bastia qui surplombe la mer, ainsi qu’une affiche « Rabbia » qui représente le triste sort du militant disparu en mars 2022, portrait inspiré à Paris, siège de l’État responsable de sa mort tragique a profondément inspiré le peintre.
Au nom du père
Cette œuvre parmi tant d’autres comme celle d’un vieux corse transportant un trop lourd parpaing qui semble avoir « blessé » sa canne, sont actuellement à découvrir à Bastia à la Galerie Joal. Le 24 novembre dernier, elles étaient dévoilées en présence de l’artiste, à l’occasion du vernissage. C’est une dizaine d’œuvres qui y sont exposées jusqu’au 24 décembre.
Graffer, peintre, dessinateur, poète et philosophe, Ugo allias Piombu 1976, artiste engagé aux multiples techniques est influencé par cette Corse qu’il chérit tant mais son talent lui a été transmis aussi par son père, il le tient en héritage de Phil Peter illustre tatoueur bastiais, aujourd’hui disparu.
Les chemins de la clairvoyance
Depuis 2022, c’est Ugo qui tient les rênes d’Art Tattoo Concept, atelier de tatouage et concept store où certaines œuvres de Piombu sont exposées. Ugo a su s’entourer de talentueux tatoueurs et s’exercent lui aussi au métier, encore une corde à son arc. Tous les supports et matériaux l’intéressent, il s’essaye, se forme, se régale… Mais la rue, l’espace, la nuit resteront ses terrains de jeux favoris.
Notre Banksy nustrale qui ne cherche pas à être populaire, agit telle sa conscience, il souhaite juste s’exprimer et nous invite à réfléchir.
De la propagande ? Non, de la clairvoyance !
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.