Crise institutionnelle : DES CONSÉQUENCES POUR LE PROJET D’AUTONOMIE ?

La Corse touchée en onde de choc ? Le refus de l’Assemblée nationale d’examiner la brûlante question de l’immigration crée un schisme de grande ampleur. La secousse frappe de plein fouet l’Élysée. Un gouvernement fragilisé, Darmanin démonétisé aura-t-il la force et l’allant nécessaire pour porter et défendre la réforme institutionnelle insulaire ?

Par Jean Poletti 

Le Palais Bourbon fut le théâtre d’une révolution de palais. Dans une stupéfiante conjonction d’intérêts divergents, une majorité de députés asséna un violent camouflet au ministre de l’Intérieur. Coupable, forcément coupable, disent mezzo voce ceux qui dans son camp ne sont pas peinés de voir un candidat trébucher sur la route de la présidentielle. Lui qui briguait voilà peu encore de s’assoir dans le fauteuil de Matignon. Et qui dans la foulée avait lancé depuis Tourcoing une sorte d’appel en forme de candidature élyséenne est brusquement stoppé dans sa stratégie de conquête. Du côté d’Édouard Philippe ou de Laurent Wauquiez sans parler d’autres prétendants, tel Gabriel Attal, les larmes sont de crocodile. Sans parler d’une Élisabeth Borne jouant avec son encombrant pensionnaire de la place Beauvau à une sorte de « je t’aime moi non plus ». 

Cette petite guerre picrocholine, qui confond l’accessoire et l’essentiel, trouva ses limites sur un sujet qui rassembla les extrêmes pour faire chuter de son piédestal un homme qui voulait forcer le destin. Mais qui fait aussi voler en éclats l’apparence d’une unité gouvernementale, qui avait à n’en point douter la fragilité du cristal. 

À l’épreuve des faits 

Osons souligner par ailleurs que le « fameux en même temps » théorisé par Macron se brisa cette fois sur l’écueil de la réalité. En incidence, comment expliquer son silence ou ses atermoiements sur ce problème de l’immigration qui hante la population ? Où était Olivier Dussopt qui aurait du co-défendre le texte ? Qui oserait soutenir que Matignon mit les mains dans le cambouis ? Tout se passa comme si on avait laissé seul et en première ligne le voltigeur Darmanin. Sans doute pensait-il que son entrisme et ce qu’il croyait sa force de persuasion allaient faire triompher de haute lutte son projet. Un succès qui lui aurait permis d’engranger un atout maître dans le scrutin majeur. Pari risqué. Gageure. Revers. 

La Corse éloignée de ces turbulences ? Qui peut le croire. L’interrogation qui prévaut est de savoir si désormais la question de l’autonomie pourra être examinée dans un climat serein. Dans cette foire d’empoigne qui s’est instaurée chez les parlementaires rien n’est moins sûr. Une majorité relative et friable, des oppositions antagonistes à tous égards qui franchirent le Rubicon pour voter à l’unisson. Des querelles de chapelle. Des soldats de la macronie qui désertent ou s’inscrivent aux abonnés absents. À l’image des cinq députés de Renaissance qui manquèrent à l’appel le jour de la Bérézina. Leur présence dans l’hémicycle eut au moins permis que le texte fut débattu. Évitant le camouflet. 

Abandons de postes 

Mais dans une sorte de comedia dell arte, Monique Iborra était ce jour-là à Toulouse dans le sillage de Macron qui présentait sa stratégie industrielle ! Une autre, élue au titre des Français de l’étranger, était en Arabie Saoudite pour une réunion. Le député de Charente-Maritime avait lui aussi déserté et sa collègue Anne Genetet, pourtant vice-présidente du groupe, se trouvait en Chine pour un déplacement « prévu de longue date. » Et Michel Lauzzana, du Lot-et-Garonne avait sans doute piscine ce jour-là. 

Voilà qui montre mieux que long discours l’état de déliquescence de cette formation qui se targuait de faire de la politique autrement. Belle réussite. Les caciques rompus aux arcanes du pouvoir en rient sous cape. 

Cela indique que la discipline toute aléatoire d’un aréopage, déjà peu nourri, fait craindre le pire lors de prochaines joutes. Ne pouvant compter sur le fait majoritaire celui qui aura à défendre au banc des ministres le projet d’autonomie redoubler de pugnacité. Mais aussi et peut-être surtout d’une crédibilité lui permettant sinon d’être entendu à tout le moins écouté. Sera-ce le cas ? Pour l’heure dans une folle surenchère d’extrapolation tout et le contraire est dit. Remaniement, dissolution, et autres scénarios sont discrètement suggérés par des ennemis intimes. Ou, ce qui est de bonne guerre, martelés à l’envi chez les Insoumis et le Rassemblement national. Ce climat délétère sera-t-il résorbé rapidement. Laissera-t-il des traces, transformant une Assemblée nationale en foire d’empoigne qui transcendent les doctrines et se veulent propices aux coups de théâtres en tant que tels imprévisibles. 

Débats incertains 

En bannissant tout pessimisme exagéré, il n’est pas surfait de dire que si cette jacquerie persiste le débat sur l’autonomie ne se présentera pas sous les meilleurs auspices. Pis, si le précédent de la loi sur l’immigration avait fait tomber les tabous par l’union de la carpe et du lapin qui pourrait raisonnablement décrypter les futurs épilogues ? Qu’on le déplore ou pas, une situation nouvelle a brutalement fait irruption dans les allées parlementaires. Un gouvernement désarçonné, une Assemblée déboussolée un président en quête d’un vital second souffle. Voilà la situation. Éléments de langage et autres arguties n’y changeront rien ou presque. Tout l’édifice craquelle. Au risque de verser dans la redite, qui peut prévoir l’issue du dossier Corse dans un tel maelstrom, pour reprendre l’expression prisée de Prosper Alfonsi. 

« Le pire n’est pas sûr nul n’en disconvient ». Mais aucune nécessité d’être grand clerc pour admettre en contrepoint que le Sénat devient une référence de stabilité et de sagesse. Par nécessité devenu incontournable pour la puissance étatique. Or, on sait sa position sur l’évolution institutionnelle de l’île. Non à tout ou presque. 

Précédent inquiétant 

Dès lors sans avoir à lire dans le marc de café, Darmanin, ou un autre, aura à tenir compte des positions de l’omnipotent Gérard Larcher et la droite majoritaire au Palais du Luxembourg pour espérer qu’en résonance le groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale ne taillent pas le document en pièces. Et chez les mélenchonistes, au demeurant plutôt favorables à l’évolution statutaire, certains ne seront-ils pas tentés de donner le coup de pied de l’âne pour accroître davantage encore le trouble dans le landerneau macronien ? Politique fiction ? Sans doute. Mais au gré des circonstances, elle se concrétise parfois. Ainsi, pour ne prendre que cet exemple, qui aurait parié un kopeck sur l’issue stupéfiante du chapitre Immigration. 

Et dans un leitmotiv lancinant affleure l’idée que cette coalition hétéroclite n’a finalement que le seul et unique but de briser Macron. Le contraindre, quelle que soit sa plausible riposte, de l’enserrer dans le rôle d’inaugurateur de chrysanthèmes ou de gesticulateur sur la scène internationale ? Bref le dépouiller de ses attributs régaliens et d’en faire un roi nu. Dans cette hypothèse, les répliques du véto parlementaire récent pourraient bien se reproduire, fut-ce dans des questions n’ayant nulle parenté entre elles. 

Vendetta parlementaire 

Toute l’opposition parlementaire serait alors parcourue par un seul mot d’ordre : haro sur le Président. Une attitude qui pourrait être une vendetta à la méthode de l’exécutif fréquemment enclin à « cornériser » les parlementaires par l’abondance du sacro-saint article 49-3 brandi à profusion. 

Si tel était le cas, quel serait l’accueil fait au tout prochain débat sur l’inscription de la Corse dans la Constitution ? À cette éventualité se greffe et se superpose, comme nous l’avons indiqué en filigrane, le fait que celui qui aura la charge de défendre cette initiative a un genou à terre. Et dans ses hypothétiques remplaçants, qui déjà se pressent à bas bruit au portillon, on peine à deviner celui pourrait remplir une telle mission. Ce qui dans un tel combat, qui se veut âpre, pose une seconde inconnue dans une équation en comportant par ailleurs bon nombre. 

Certains ont assisté aux débats tendus lors du second statut. Une droite réfractaire, des radicaux attentistes, certains socialistes hostiles. Mais Pierre Joxe, au charisme indiscutable, sut mettre de l’ordre chez les récalcitrants de gauche. Et François Mitterrand s’impliqua personnellement. Ainsi, il téléphona à Michel Crépeau alors chef de fil d’une importante mouvance radicale pour le persuader en termes assez toniques qu’il ne devait pas faire faux bond. Message reçu. D’ailleurs en pleine session, Joxe fut nommé ministre des Armées pour cause de conflit. Il fut remplacé Place Beauvau par Philippe Marchand, qui presque à son corps défendant, hérita du débat statutaire. Dire qu’il n’eut pas la tonicité de son prédécesseur relève de la litote. José Rossi qui était le rapporteur dut faire flèche de tout bois pour pallier certaines hésitations ou atermoiements ministériels et le potentiel risque d’enlisement. 

Garder espoir 

Et cette fois ? La donne est différente. L’ombre tutélaire d’alors n’est plus de saison. L’avocat du projet n’a plus la solidité de l’airain. Et la Chambre des députés est devenue un lieu de cacophonie. Une sorte d’exercice de fuite en avant. 

Voilà une trilogie qui n’incite pas à dire que le chemin de l’autonomie, déjà ardu, se parsème de nouveaux obstacles. Dont la Corse est le simple témoin, en espérant qu’elle n’en soit pas une innocente victime de remous dont elle est étrangère. 

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